Après une tournée à pied menée de septembre 2017 à décembre 2019, Manu Galure reprend la route avec une tournée cette fois tout-terrain. L’occasion d’infuser de musique les murs de lieux peu habitués à accueillir des concerts. Culture 31 a pu échanger avec l’artiste toulousain, qui décloisonne les mélodies.
Culture 31 : De septembre 2017 à décembre 2019, tu as fait un tournée de 400 dates dans tout l’Hexagone à pied. Comment trouve-t-on l’énergie pour la scène après tous ces efforts ?
Manu Galure : Ça a été pris en compte dans la tournée, la fatigue et les répétitions. J’avais des temps de sieste tous les après-midis et je marchais essentiellement le matin. Et surtout, les temps d’installation du spectacle étaient très courts. Le but était que le piano soit prêt et qu’il ne me reste plus qu’à vérifier que le micro marche et chanter. Et même s’il n’y avait pas de lumière je m’éclairais avec ce que je trouvais. Ce côté très minimaliste fait que je m’installais en 10 minutes et j’étais prêt à jouer. Généralement, ce qui est le plus fatigant, c’est l’installation.
Le spectacle en lui-même, ce n’est pas si fatigant que ça. Et puis pour garder un peu de fraîcheur, j’ai écrit tout le long de la tournée, et le soir, quand je chantais pour les gens, j’essayais de nouvelles chansons en permanence. Je racontais la marche de la journée, des anecdotes amusantes de la semaine. Donc j’avais toujours des nouvelles choses à raconter, des nouvelles chansons à essayer, et alors il n’y a pas eu de monotonie. Puis, jouer, c’est quand même vachement agréable.
Ce qui m’a sûrement le plus pesé, c’est d’être loin de chez moi, de toujours dormir dans un nouveau lit. Même si j’aime beaucoup les gens, rencontrer de nouveaux gens tous les jours, réengager des conservations un peu similaires tous les jours, ça peut être fatigant aussi. Alors que la scène, c’est un endroit où je fais ce que je veux et où je suis un peu tout seul à prendre des décisions.
Comment ton équipe a-t-elle vécu l’aventure de son côté ?
L’équipe, c’était pas grand monde. C’était Philippe Pagès, qui est un peu connu des gens du département puisque c’est l’ancien patron du Bijou à Toulouse. Et c’est lui qui a organisé la tournée. Lui était à Toulouse, il ne bougeait pas. Il passait sa vie au téléphone et a réussi à trouver des concerts tous les 20-25 kilomètres. Donc c’était une toute petite équipe, et j’étais tout seul sur la route.
La tournée s’est précisée au fil des kilomètres ?
L’organisation des spectacles demande généralement de s’y prendre à l’avance, parce qu’il faut que les gens soient prévenus et qu’il y ait du public. La plupart des spectacles étaient prévus au moins six mois à l’avance, si ce n’est un an. Il y en a qui se sont organisés sur la route, une semaine ou un mois avant, mais c’était plus rare.
L’objectif d’être à pied était d’être le plus écologique possible ?
C’était une conséquence mais ça n’a jamais été un objectif. Je me méfierais d’injecter de la vertu écologique dans les spectacles. Parce que je ne pense pas que le spectacle soit la plus grande source de déchets et de gaspillage d’énergie. Je pense que c’est assez anecdotique par rapport à ce que les industries rejettent. Avec le yacht de Jeff Bezos, on peut organiser quelques années de spectacles. Mais c’était effectivement une conséquence, à la fin c’était un peu une tournée zéro carbone, même si ça n’a jamais été fait pour ça. Je trouvais que c’était une belle image. Que c’était joli à faire, que ça faisait un joli décor.
Ça créait d’office un contexte chaleureux et accessible autour de la tournée.
C’est-à-dire qu’il n’y avait pas vraiment de décor. Je jouais avec le piano, le micro et les décors qui étaient là. Du coup, j’avais le sentiment que cette tournée à pied et le fait de raconter ces histoires de marche, ça créait un décor – même sans rien – dans la tête des gens. C’est aussi pour ça que ça m’intéressait comme tournée. Elle est très liée à l’imaginaire chez les gens.
Cette année, c’est encore un autre concept de tournée que tu proposes, cette fois tout-terrain. Tu pourras jouer dans des salles et même, pourquoi pas, chez l’habitant. L’idée, c’est de tout rendre propice au spectacle ?
On peut jouer chez des gens, mais il faut quand même qu’ils aient un peu de place. Avec les pianos, on est quand même dans les quatre mètres de diamètre et dans les trois mètres de haut donc ça fait déjà un grand salon. Surtout si on veut mettre des gens en plus. Mais par contre, dans la mesure où on amène tous les instruments avec nous – on a un piano à queue et un piano droit sur scène – toute la lumière et tout le son, on peut s’installer dans la salle des fêtes du coin. Hier on a joué dans un gymnase, la journée d’avant dans une petite salle des fêtes, et on fait ça très souvent dans cette tournée. On va jouer dans des endroits où il n’y a pas souvent de spectacles, ou de chanson en tout cas. Et c’est assez agréable à faire. C’est en ça qu’on est tout-terrain.
Le spectacle proposé sera nouveau aussi. Le public retrouvera des duos de pianos, préparés avec Lorenzo Naccarato. Quelle est l’histoire de votre rencontre ?
On buvait des cafés au même endroit, rue Gambetta, parce qu’à l’époque il habitait par-là. Il habite toujours pas loin, aux Carmes, et je suis en plein milieu de Toulouse. On a commencé à discuter de piano parce que c’était une passion commune, et puis on a parlé de piano préparé. Ça a piqué sa curiosité et je lui ai proposé de faire un spectacle avec deux pianos et ça lui a plu. Il s’est mis corps et âme dans les préparations.
Vous serez aussi accompagnés par Simon Chouf, percussionniste et régisseur-acteur. Quels sont vos points de convergence ?
Il a lui-même son propre spectacle qui tourne en même temps, et qui est également autonome techniquement. Il a son propre son, sa lumière, son praticable et tous ses instruments qu’il trimballe avec lui. L’intérêt qu’il joue avec moi, c’est qu’on a monté un collectif de chanteurs, Le Cachalot Mécanique, et on se forme les uns les autres à, justement, faire sa propre lumière, etc. En participant aux spectacles des autres, on apprend un peu comment transposer ça pour nos propres concerts.
Et donc, Chouf, il tourne lui-même son spectacle autonome, et Lorenzo aussi organise en ce moment une tournée qui se jouera en 2024-2025, et qui sera aussi autonome techniquement. Marin, qui prend le rôle de Chouf quand il n’est pas là, a aussi un spectacle autonome techniquement qui sera prêt pour 2024-2025. Puis il y a Claire, qui est une autre artiste toulousaine avec qui on travaille pour son prochain spectacle, autonome techniquement. On est une compagnie qui se monte en ce moment et se forme aux savoir-faire du spectacle.
Ta spécialité à toi, c’est de trafiquer tes instruments, les cogner, les scotcher… Comment tu t’es découvert cette inventivité ?
Depuis que je fais de la chanson avec Manu Galure, c’est au piano. Et un jour j’ai découvert quelqu’un qui mettait des bidules et des machins dans le piano. J’aime bien faire des trucs idiots, donc je me suis dit, c’est vraiment idiot, et je vais le faire. Et je me suis pris de passion pour le piano préparé. La difficulté avec cette discipline, c’est que, comme on met des vis, du scotch, et qu’on fait des bêtises dans le piano, les loueurs d’instruments ne sont pas d’accord pour qu’on fasse du piano préparé en général. L’une des règles pour faire du piano préparé, si on veut le faire bien, c’est quand même d’avoir ses propres pianos. Voilà pourquoi j’ai mis autant de temps à faire ce type de spectacles.
Troubadour, baladin… Ce sont des termes qui reviennent lorsque l’on t’évoque. Ça te convient ?
En faisant une tournée à pied et en chanson, il y a un lien qui se fait assez rapidement dans l’imaginaire des gens avec les troubadours, les baladins, les poètes errants, etc. Et moi ça me va très bien. D’autant plus que pour les chansons que j’interprète actuellement, je me suis beaucoup servi des textes de troubadours. J’ai essayé de voler des bonnes idées là-dedans. Il y a certaines de leurs images et de leurs manières de faire qui sont devenues bateau et qui ont été très utilisées. Ce sont presque des poncifs mais il y en a qui sont passées entre les mailles du filet, et comme elles datent d’il y a mille ans, les gens ont oublié que ça existait. Je vole ça avec grand plaisir ! Je me sers de différentes écritures de troubadours pour injecter ça dans mes chansons.
Des infos complémentaires sur la tournée en cours ?
On a aussi une version jeune public de notre spectacle à deux pianos. On la joue essentiellement pour des scolaires et on fait énormément de dates pour les écoles, dans des théâtres. Les écoles viennent nous voir en journée. Cette année, on va faire environ 120 concerts. C’est un spectacle qui tourne très bien et je pense que c’est aussi parce que l’autonomie en fait quelque chose de léger pour les organisateurs. Puis c’est un très bon spectacle !
Propos recueillis par Inès Desnot