Quatre ans après leur Orfeo, I Gemelli reviennent à l’Opéra national du Capitole pour une version mise en espace d’Il Ritorno d’Ulisse in Patria de Claudio Monteverdi. Ce tout jeune ensemble baroque a été fondé par le ténor Emilio Gonzalez Toro, directeur musical et par la soprano Mathilde Étienne, sa directrice artistique.
Deux dates pour l’avant-dernier opéra du compositeur de Mantoue, soit le mardi 28 novembre à 20h et le samedi 2 décembre à 16h.
Un bref historique de l’œuvre : « Dramma per musica » en un prologue et trois actes, d’après l’Odyssée d’Homère, chants XIII à XXIV, Il Ritorno d’Ulisse in patria. Le librettiste Giacomo Badoaro retrace bien le retour d’Ulysse après la guerre de Troie. Il fut le premier opéra écrit par Monteverdi pour Venise, en 1640. Il a 73 ans. Il est alors Maître de chapelle à la Basilique Saint-Marc depuis 1613. Il jouit d’une situation prestigieuse auprès du public vénitien, l’un des plus avertis, sur le plan musical comme d’ailleurs sur tous les plans artistiques. Son opéra va être créé avec beaucoup de succès. Il sera joué dix fois en suivant.
Ce n’est qu’en 1880 que l’on retrouve à Vienne une copie manuscrite anonyme d’Il Ritorno d’Ulisse in patria. Depuis 240 ans, aucune copie n’était disponible, et déclarée donc, perdue.
La première reprise, disons moderne, a été exécutée par le compositeur français Vincent d’Indy à Paris en 1925. De nombreux compositeurs du XXè siècle ont édité ou “traduit“ l’œuvre pour la jouer. Parmi eux, on remarque Luigi Dallapiccola (Il Prigioniero) et Hans Werner Henze (musique de l’opéra Le Prince de Hombourg). Finalement, l’opéra entre dans le répertoire en 1971 avec des représentations à l’opéra de Vienne.
Sur le plan stylistique, les spécialistes vous diront qu’un monde sépare cette œuvre de la première de la trilogie, l’Orfeo daté de 1607. De la riche palette orchestrale de l’Orfeo, on passe à un petit ensemble de cordes et nous nous plaisons à énumérer, un luth, un théorbe, une guitare, une harpe, deux claviers, deux violes, un lirone ou lira da gamba, un basson, une tromba marina, une basse de violon, deux violons, deux flûtes et deux cornets. Nous sommes dans le récitatif expressif et il ne faudra pas moins de quinze chanteurs pour pallier au besoin du livret côté personnages et chants. Le récitatif prédomine tout en alternant avec des ensembles qui ne freinent jamais l’action dramatique. L’élément théâtral est au premier rang de ce « dramma per musica ». Et n’oublions pas que c’est le récitatif qui fait avancer l’action !
Lançons nous, quelque peu, dans le synopsis qui est toujours plus ou moins redoutable dans les ouvrages en ces temps-là. Une distribution vocale conséquente car, bien sûr, dans les opéras baroques il y a nombre de personnages. Après le prologue allégorique qui présente la Fragilité humaine – elle est confiée à la voix de contre-ténor de David Hansen – tentée par le Temps, la Fortune et l’Amour, une voix pour chacun, le premier acte s’ouvre avec Pénélope se lamentant sur la longue absence d’Ulysse. La guerre est finie depuis dix ans au moins et son époux est toujours en Méditerranée. C’est la mezzo-soprano Fleur Barron. Son monologue (Di misera regina) est un récitatif scandé par des airs récurrents qui accentuent le mot “retour“.
Bientôt, les courtisans se dévoilent et révèlent leur projet d’épouser la reine solitaire tandis qu’Ulysse, endormi, est transporté et débarqué à Ithaque. La Nourrice Mélantho – Mathilde Étienne – et son amant Eurimarque – Alvaro Zambrano – intriguent pour que Pénélope prenne époux. Eurimarque est aussi sur les rangs des prétendants. Encore une fois, les commentaires courroucés de Neptune et Jupiter soulignent le mot-clé, le mot-titre de l’opéra : ritorno (« lorsque le ciel est contre, le voyage humain ne connaît pas de retour »).
Son chemin de retour, Ulysse – E. G. Toro – , paradoxalement, ne le reconnaît pas tout de suite. Il croit d’abord se réveiller en terre étrangère. C’est Minerve qui le renseigne en un récit d’une noblesse de style tout à fait remarquable ! Il décide alors de se rendre en son palais et se déguise en mendiant pour déjouer les complots des prétendants. Il se fera insulter par Eurimarque en tant que mendiant. Autre mendiant, Irus – Fulvio Bettini – qui apporte une note comique par les railleries qu’il décoche aux prétendants, note faisant contraste avec les scènes plus graves de la partition.
L’acte se termine quand, toujours en mendiant, Ulysse annonce au berger Eumée – Nicholas Scott – , sans se dévoiler, que son maître va être bientôt de retour. Mais Eumée n’est pas dupe. Enfants, ils ont joué ensemble.
Les actes II et III présentent les étapes de ce retour étrangement différé. Après l’arrivée de Télémaque – Zachary Wilder – (son voyage dans le char de Minerve – Emöke Barath – est décrit par les mouvements ondulants de la musique), Ulysse se dévoile à son fils et ils entament tous deux un duo de retrouvailles se signalant par une remarquable liberté sur le plan mélodique et rythmique. « Te stringo, o mio diletto ( je t’étreins, ô mon fils aimé).
La grande scène avec les prétendants (II, ) culmine dans le style concitato cher à Monteverdi, lorsqu’Ulysse, toujours déguisé en mendiant, met à mort ses rivaux. S’est déroulée l’épreuve de l’arc “montée“ par Pénélope qui se termine par un véritable massacre des prétendants. Il ne lui restera plus qu’à se faire reconnaître de Pénélope elle-même, et ce, à la fin du dernier acte. Pénélope n’a pas cru en Télémaque, en Eumée, en Euryclée, la propre nourrice de son époux, en Minerve non plus. Il vaincra finalement la méfiance de Pénélope en lui décrivant le tissu de leur lit conjugal en bois, avec la broderie de Diane chasseresse que lui seul peut connaître. Enfin, Ulysse est donc reconnu, et l’opéra s’achève par un sensuel duo final, célébrant leur union. (Notons que la reconnaissance par le chien d’Ulysse, Argos, ne figure pas dans cet ouvrage !!).