Comme une formule sacrée destinée à tourner la page de l’ère Ohayon, du nom de l’ancien directeur du théâtre Garonne, c’est en citant François Tanguy que se terminait la conférence de presse de la prochaine saison : « Il nous faut y reprendre et couturer et rapiécer, çà et là, les lambeaux d’air et de souffle et d’énigmes / refaire l’espace. » Couturer la plaie d’un départ non seulement inattendu et précipité mais tempétueux, et réhabiter ce théâtre.
Le vent a soufflé et tout balayé, et il souffle encore, comme la respiration de François Tanguy disparu l’an dernier. Par autan, ultime création de sa compagnie, le Théâtre du Radeau, entamera la saison, testament involontaire de mondes et souvenirs où correspondent musique et verbe de grands auteurs : Walser, Kafka, Shakespeare, Tchekhov, Dostoïevski, Kleist. Le Garonne rend hommage aussi en début de saison au chorégraphe allemand Raimund Hoghe, autre habitué du Garonne parti en 2021. D’autres âmes flotteront dans cette enceinte avec l’installation scénique Fantasmagoria. Pour une première en France, le public fera face à un cimetière de pianos ayant appartenu à de véritables musiciens, pour un show spectral sans interprète. Avec Rituel 5 : La Mort, c’est par le biais de l’humour que le thème est traversé. Il est question des rites funéraires, des croyances et ce théâtre documentaire pose la question de ce qu’on fait de nos morts.
L’imbroglio de la fin de saison dernière n’ayant rien entamé des fidélités, des visages et des noms déjà connus du public reviennent, comme le tg Stan qui redonnera vie au maître du cinéma Alfred Hitchcock dans leur pièce Que sera sera, prenant comme point d’appui les échanges entre lui, Truffaut et Godard. Autre habitué du lieu, qu’il définit lui-même comme « une maison de famille, où je me sens vraiment chez moi (…) », Tiago Rodrigues, directeur du festival d’Avignon depuis 2021, revient avec sa pièce à succès By Heart (déjà complet), où l’apprentissage de la littérature devient un acte de résistance. Shakespeare hante aussi sa deuxième pièce, présentée ici même en 2017, Antoine et Cléopâtre, où les personnages historiques sont un prétexte à creuser le sens de l’amour.
Une autre collaboration inscrite dans les murs, celle de Sylvain Creuzevault, nous plonge à l’époque de l’Occupation et de la collaboration. Dans Edelweiss (France Fascisme), et par le biais de la comédie, son travail sur la mémoire et l’histoire actualise les débats de cette époque trouble et tourmentée. Un peu plus tard dans la saison, et comme un flash-back, le metteur en scène s’attardera sur une tranche de vie de l’auteur Walter Benjamin, de son exil parisien à son suicide en 1940. La musique de cette pièce sera l’œuvre du compositeur Pierre-Yves Macé, accompagné par le Garonne sur deux saisons.
Le travail pluridisciplinaire de Pierre-Yves, habitué à fouiller des documents sonores de tous horizons, le conduira à transformer des chants d’oiseaux pour Notes sur les diapasons invisibles. Après Variations Belvédère, une évocation de la Catalogne et de son univers musical, son ultime participation de la saison, The Game of Life, servira de point d’appui à une improvisation entre 3 musiciens et 3 danseurs. Cette pièce sera le premier volet d’un diptyque dont la seconde partie, Dancer of the Year, verra le chorégraphe Trajal Harrell, en solo, se mettre en doute et réfléchir sur ses capacités et sur la signification d’une récompense internationale dans une vie, celle qu’il reçut en 2018, comme « danseur de l’année ».
Véritable laboratoire de musique, le Garonne accueille aussi une série de concerts dans le cadre d‘InaLandscape, programmation musicale tournée vers des formes expérimentales proposée depuis 2018 à des artistes de la région ou internationaux. C’est le cas de l’artiste libanais Raed Yassin, dont le concert improvisé mêlera contrebasse et électro ou encore de Lauroshilau, qui croisera un saxophone, un pianiste électro et une batterie.
En dehors de ce festival, et présenté avec le GMEA (Centre National de Création Musicale Albi-Tarn), Maya Dunietz jouera les compositions d’une religieuse éthiopienne, Emahoy Tsegué-Maryam Guébrou, qui vivait dans un couvent orthodoxe à Jérusalem, non loin de chez elle, et qu’elle a fini par rencontrer. Un échange, une complicité et un legs ont fini par tisser un lien devant l’éternel depuis la disparation cette année d’Emahoy à l’âge de 99 ans. Une autre communion mêle ‘musique’ et ‘mystique’ avec le concert Tubi Nebulosi. Pour l’occasion, le Garonne, transmué en lui de culte, avalera un orgue d’église et sur scène, son instrumentiste Giulio Tosti et le trio de saxophonistes No Noise No Reduction improviseront et ouvriront « un abîme tellurique », empli de sons semblant jaillir autant des fonds marins que des cieux.
Et parce qu’avec le tourbillon des corps, on lutte contre l’appesantissement, la stagnation et l’asphyxie, il est naturellement question de danse au Garonne. Parmi les 7 spectacles présentés en partenariat avec la Place de la Danse, il faut compter sur Nadia Beugré et son Prophétique : une pièce politique jouée par six interprètes trans et non binaire, qui part d’une enquête sur une communauté en marge d’Abidjan, pour interroger la question du genre mais plus largement celle des déclassés d’une société. Une autre place est offerte à Robyn Orlin, une grande dame de la danse déjà accueillie au Garonne. Dans In a Corner the Sky Surrenders, elle aussi se penche sur d’autres déclassés et aborde le thème de la survie et des habitats précaires des sans-abris. Ce spectacle itinérant, créé en 1994 à New York, est en perpétuelle recréation avec une nouvelle danseuse dans chaque ville de sa représentation.
Parmi les autres propositions, la chorégraphe La Ribot créé Happy Island pour une compagnie portugaise qui fait intervenir des artistes avec ou sans handicap et parle de la norme et de l’empêchement, du désir et de la fureur de vivre. La norme est aussi un des sujets de la pièce The Shadow Whose Prey the Hunter Becomes, de la compagnie australienne Back to Back Theatre, interprétée par des déficients mentaux. L’autre sujet étant l’intelligence artificielle, son impact dans nos vies futures, et le bouleversement éthique qu’elle déclenche dans un monde sous contrôle.
Les partenariats et coproductions se poursuivent avec le Sorano (une fidélité inscrite depuis 2016) et le ThéâtredelaCité. Côté Sorano, avec la pièce Heimweh / Mal du Pays. Dans le cadre du festival Supernova#8, Gabriel Sparti, ce jeune suisse qui vit en Belgique, confronte un étranger à 3 figures suisses et avec humour questionne ce qui fait l’identité d’un pays. Ou encore avec Le songe, dans lequel Gwenaël Morin convoque 4 comédiens qui joueront tous les rôles de cette pièce de Shakespeare pour en faire une « comédie libre et cruelle (…) à laquelle le rêve donne toutes les licences. »
Côté ThéâtredelaCité, avec la reprogrammation de Falaise de la compagnie régionale Baro d’evel, un spectacle en noir et blanc de circassiens accompagnés de leur faune atypique. Ou encore avec Sans tambour, pièce à la fois musicale et théâtrale, au décor tranché en coupe, prêt à s’effondrer, dans laquelle Samuel Achache revient sur sa rupture amoureuse avec la metteuse en scène et comédienne Jeanne Candel. L’an dernier, le Garonne avait programmé la pièce de celle-ci, Baùbo, De l’art de n’être pas mort où la figure de ce personnage de la mythologie grecque était un prétexte pour raconter « la vie intérieure du trouble passionnel, et montrer (…) le mystère de cette énergie qui peut emporter n’importe quelle existence. »
L’artiste taïwanaise I-Fang Lin s’empare aussi du thème de l’amour dans Co.m.bat (présenté avec la Place de la Danse), pièce chorégraphique pour 3 danseur-ses et un musicien électro-acoustique où la rencontre des corps confine autant à l’art martial qu’au burlesque. C’est peut-être, en effet, dans la parodie du combat, que l’on peut trouver de quoi dénouer les conflits passés et à venir, tout autant que trouver un moyen de faire la paix avec ce qui fait de nous des êtres fragiles, en perpétuel équilibre.