Pour seulement quatre représentations, l’Opéra national du Capitole vous ouvre les portes pour cet opéra de Benjamin Britten de 1946, ouvrage que nous qualifierons de rarity, tellement il est peu joué. C’est pourquoi, tout d’abord, grand merci à la direction d’avoir osé le programmer, et tout pour que cette remarquable production rencontre le public le plus fourni possible. Les vrais amateurs de chant lyrique ne peuvent se dérober !
L’ouvrage était prévu pour l’automne 2020. Une bien mauvaise période d’où le report alors. Mais Christophe Ghristi, Directeur artistique est un homme déterminé. Et voilà le résultat. Avec presque la même distribution, un spectacle enthousiasmant qui a “scotché“ le public de cette Première. Une date dans les créations au Capitole. Les allergies n’ont que très peu perturbé l’air respiré. Ovation finale pour tous. Et, lors du pot d’après Première, que des mines réjouies et réjouissantes pour tous, chanteurs, staff, les douze musiciens, régisseurs, techniciens. Une vraie communion !
On peut relire mon annonce parue et compléter avec tout le travail de vidéos de la Maison Capitole.
Rappelons que The Rape of Lucretia, (Le Viol de Lucrèce), opéra en deux actes, s’appuie sur le livret de Ronald Duncan d’après la pièce éponyme d’André Obey. Un livret époustouflant, construit comme une pièce de théâtre antique, d’une efficacité redoutable, donnant une place primordiale au texte dont chaque mot est choisi avec le plus grand soin. Grand merci à la qualité des surtitres. Créée au festival de Glyndebourne, le 12 juillet 1946, c’est le premier « opéra de chambre », ainsi désigné par le compositeur. La partition nécessite huit chanteurs, sollicités comme solistes dont deux incarnent chacun, le chœur masculin et le chœur féminin, et douze instrumentistes et le chef. La mise en scène d’Anne Delblée est, si je peux me permettre, d’une rare théâtralité, sobre et expressive, en accord parfait avec le livret, la musique, Benjamin Britten, évidemment, et ce ,à chaque instant. D’où la réaction du public. Mémorable. Émilie Delblée et Arthur Campardon ont collaboré.
Peu de décors et d’accessoires, mais quel choix ! – Hernán Peñuela -, un travail remarquable sur les lumières – Jacopo Pantani -, pour parfaire le tout et une occupation sobre de l’espace décidé, suffisent à la narration de la tragédie. Sans oublier les costumes de tous de Mine Vergez dont la robe rouge de Lucrèce et la toge de Tarquinius resteront longtemps dans les mémoires, ce Prince étrusque, décrit ici comme un personnage inquiétant, impulsif, dangereux, errant aux bords extrêmes d’une folie qui finit par le détruire. Le baryton Duncan Rock fut l’homme de la situation, si je puis dire, une voix, une présence, un jeu, un physique, un vrai Tarquin le Superbe !
« Cette nuit Tarquin m’a violée Il a déchiré l’étoffe de notre amour Ce que nous avions tissé, Tarquin l’a déchiré. Ce que j’ai dit, jamais ne pourra être oublié Mon amour, notre amour fut trop rare Pour que la vie puisse le supporter… et que le destin puisse s’abstenir de le souiller. Pour moi cette honte, pour toi cette douleur. » Lucrèce, c’est la mezzo Agnieszka Rehlis, juste à chaque instant, sans excès aucun.
On loue la présence au piano et à la direction d’orchestre de Marius Stieghorst et l’investissement de chacun des douze musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse présents dans une fosse bien opportunément surélevée.
Le chœur masculin et le chœur féminin, chacun incarné par une seule voix expose la situation de Rome : la ville soumise par le roi étrusque Tarquin le Superbe s’apprête à subir l’assaut de l’armée grecque. Le point de vue des deux chœurs annonce le drame « païen », soulignant pour chacun selon son sexe, l’état d’esprit des personnages masculins et féminins. Les deux chœurs mettent en parallèle les souffrances du Christ et l’atrocité commise sur le corps de l’innocente épouse. L’histoire met en relief en effet la barbarie contre la vertu, incarnée par la belle et fidèle Lucrèce, celle dont le viol sera le point de déclenchement de la chute de Rome. Le ténor Cyrille Dubois et la soprano Marie-Laure Garnier sont surprenants d’aisance dans leur rôle, le premier semblant avoir été choisi par Britten-même. Idéal l’un et l’autre pour l’option choisie, à savoir les faire intervenir dans le déroulement du drame et non pas, les bras croisés, les laisser sur le côté. Une option plus “opératique“.
On n’oubliera pas les deux Nourrice et Servante de Lucrèce que sont Bianca et Lucia avec la mezzo Juliette Mars et la soprano Céline Laborie, excellentes toutes les deux, dans le chant comme dans le jeu, et pareils pour le baryton Philippe-Nicolas Martin et la basse Dominic Barberi dans Junius et Collatinus, jeu, chant et …physique ! Décidément, quel cast !
Vous avez compris ce qu’il vous reste à faire, si vous avez encore quelque hésitation pour découvrir cet opéra.