Fondateur de la compagnie le Grenier de Toulouse, le comédien et metteur en scène Maurice Sarrazin (1925-2023) vient de mourir.
Homme de théâtre, Maurice Sarrazin s’est éteint à Luchon, le 12 avril dernier. Encore étudiant, il avait fondé avec ses amis dans le grenier de la maison de ses parents, en 1945, la troupe du Grenier de Toulouse, toujours active aujourd’hui. Il écrira dans son autobiographie « l’Imaginaire vie »: «Dès 1945, nos options sont prises et les gestes faits. Le premier, la ferveur. Le sens de la cérémonie théâtrale, hérité de Copeau et renouvelé au contact du public. Le théâtre redevient populaire. Les gens retournent au théâtre et vont à un théâtre nouveau. (…) Constantin Stanislavski demandait “de l’amitié dans l’art et de l’art par l’amitié”. Cette vérité simple, cette poésie réelle étaient là dès le départ et ont duré»(1).
Deux ans plus tard, on pouvait lire dans un programme du Grenier de Toulouse: «La décentralisation n’est pas de vouloir éduquer la province. Elle en a moins besoin que Paris, elle a la fraîcheur en plus. (…) Décentraliser à Toulouse, c’est veiller à ce que ce foyer nouveau prenne racine en terre toulousaine et s’en nourrisse»(1). Labellisé Centre dramatique du Sud-Ouest en 1949, le Grenier de Toulouse devînt alors le troisième CDN, s’inscrivant ainsi dans le projet de décentralisation du ministère de la Culture.
«Le succès du Grenier reposait sur son origine et sa cohésion. Il y avait moins à chercher des pièces qui conviennent au public que des pièces qui conviennent à la troupe. On parlait du style de la troupe comme du style d’un peintre. Penser théâtre, c’était penser troupe. En sept ans, la compagnie avait déjà mis à son répertoire trente-cinq pièces. Le public n’allait pas à une pièce, il allait à une troupe. Nous aimions monter du Molière parce que nous étions la reconstitution de ce que devait être son Illustre Théâtre»(1), écrit Maurice Maurice Sarrazin.
Sans lieu fixe et en tournée permanente, la troupe transforma en 1964 l’ancien auditorium du Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse en salle de spectacle baptisée Théâtre Sorano. Puis, en 1970, le Grenier de Toulouse s’installa finalement au Théâtre de la Digue, nouvellement construit, où est représenté « la Vie de Galilée », de Bertolt Brecht, spectacle qui bénéficia d’une tournée internationale. La compagnie connut une longue éclipse à partir de 1985, lorsque Jacques Rosner fut nommé directeur du CDN de Toulouse. Maurice Sarrazin s’est alors installé à Paris où il a ouvert une école de théâtre qu’il a dirigée jusqu’en 1991. Il y a formé 450 comédiens, parmi lesquels Régis Goudot, Denis Rey, Laurence Roy qui se sont installés à Toulouse, ou encore Vincent Cassel, Laurent Lucas, Anne Roumanoff, etc.
Lorsque le CDN de Toulouse investit les murs du tout nouveau Théâtre de la Cité en 1998, Maurice Sarrazin obtient la réouverture du Théâtre Sorano et reforme le Grenier de Toulouse, dès l’an 2000. Il rappelle des anciens de la troupe et intègre de nouveaux venus tels Pierre Matras et Stéphane Battle qui codirigent aujourd’hui le Grenier de Toulouse. Les deux directeurs artistiques rappellent que le texte n’était pour lui qu’«un prétexte» et que le comédien devait briller par sa sincérité: «Il voulait de la vie et de la vérité servies sur un plateau. Le reste ne compte pas ! Décors, costumes, lumière… peu lui importait. Le Grenier était né et sa profession de foi d’une modernité rare pour l’époque. Car en plus de ses qualités de comédien et de metteur en scène, Maurice était un visionnaire de la direction d’acteur».
Maurice Sarrazin décide de quitter le Théâtre Sorano au terme de la convention de trois années conclue avec la mairie: le Grenier de Toulouse deviendra itinérant, jusqu’à son implantation à Roques-sur-Garonne en 2005, et à Tournefeuille depuis 2012. Comme le rappelle Sébastien Bournac, actuel directeur du Théâtre Sorano: «Maurice Sarrazin a été un éclaireur, l’instigateur d’une aventure théâtrale généreuse et l’auteur d’une page emblématique du théâtre toulousain, faisant preuve toujours d’une acuité suffisamment développée et inventive pour recueillir la pulsation du monde et s’inscrire durablement dans l’Histoire. (…) De cette conviction, de cette énergie, de cette audace, nous sommes aujourd’hui, gens de théâtre, toutes et tous redevables.»
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
(1) éditions Privat (2015)