La Cinémathèque de Toulouse consacre une rétrospective à Gus Van Sant, cinéaste américain installé à Portland, dont le premier spectacle est au même moment accueilli au Théâtre de la Cité.
Gus Van Sant est attendu à Toulouse pour rencontrer le public de la Cinémathèque de Toulouse, à l’occasion de la rétrospective qui permettra de voir quinze longs métrages parmi les dix-sept qu’il a réalisés depuis 1985. Installé à Portland, où il a tourné plusieurs de ses films, Gus Van Sant est aussi l’auteur d’un important corpus photographique, dont la série « 108 Portraits ». Également musicien, il a enregistré en 1983 un album intitulé « 18 Songs about Golf », et a signé un roman, « Pink » (paru en France en 2001), qui a pour décor les coulisses gay du show-business. Pour son premier spectacle, « Trouble »(1) qui est à l’affiche du Théâtre de la Cité au mois de mai, il a choisi de mettre en scène Andy Warhol au cœur de la Factory – il rencontrera également le public au CDN de Toulouse à cette occasion.
Le cinéaste américain racontait récemment au quotidien suisse Le Temps: «Dans ma jeunesse, c’est le cinéma expérimental qui m’intéressait, et notamment la scène new-yorkaise, qui était essentiellement composée de peintres faisant des films. Je vivais à cette époque juste en dehors de New York, et j’allais voir leurs travaux au MoMA ou à l’Anthology Film Archives. J’avais acheté une caméra 8 mm, et mes premières expérimentations consistaient à dessiner sur la pellicule ou à la gratter. Je n’étais pas intéressé par la narration, sur laquelle je ne me suis véritablement penché que lorsque j’ai rejoint la Rhode Island School of Design, qui proposait à la fois un cursus en peinture et en cinéma. Alors que je venais d’y entrer, en 1971, ils ont créé un tout nouveau département cinéma et vidéo, et soudain, il y avait à notre disposition un incroyable studio, une magnifique salle de projection et des équipements de montage. C’est comme cela que j’ai véritablement commencé à faire du cinéma.»(2)
À l’image de la carrière de certains peintres, la filmographie de Gus Van Sant est constituée de différentes périodes stylistiques souvent liées au contexte économique de production, son travail se déployant alternativement en dehors ou au sein de l’industrie hollywoodienne. Influencés par le mouvement beatnik, ses quatre premiers longs métrages sont caractéristiques du cinéma indépendant américain: ils ont en commun les thèmes de la jeunesse face à la mort et la quête des origines ; ils témoignent de l’affirmation d’une identité homosexuelle ; ils adoptent des dispositifs narratifs similaires et une écriture visuelle très découpée reflétant l’instabilité des personnages.
Ainsi, « Mala noche » (1985), qui décrit la relation impossible entre un jeune immigrant mexicain et un écrivain beatnik, précède le succès de son adaptation en 1989 d’un roman post-beatnik, « Drugstore Cowboy », un road movie retraçant les errances d’une bande de junkies. Sorti en 1991, « My Own Private Idaho » (photo) raconte la passion exclusive et malheureuse d’un jeune bourgeois (Keanu Reeves) en rupture de ban pour un orphelin narcoleptique (River Phoenix) dans les milieux de la prostitution, à Portland. Enfin, « Even Cowgirls get the Blues » (1994), avec Uma Thurman, est l’adaptation du roman de Tom Robbins, auteur proche du mouvement beat.
Gus Van Sant assure: «J’ai été influencé par les anciens beatniks, comme Jack Kerouac. Avec, en plus, un goût prononcé pour les Beatles et Samuel Beckett. Je transmets leur ancien message libertaire, qui comportait pas mal de fragilités et d’irresponsabilités dangereuses. Mais quel élan de l’âme et de vie ils avaient ! Cet élan, le monde doit le retrouver. Quoi de plus beau que de partir sur une route dont on ne sait ce qu’elle offrira à son terme ? La vie, d’ailleurs, est semblable à cette route. Sa fin apportera-t-elle bonheur, malheur, morosité ou poésie, y croiserons-nous des porte-poisse ou des êtres qui nous grandiront ? Choisissons bien cette route.»(3)
Pour la Columbia, Gus Van Sant tourne ensuite « Prête à tout » (1995), d’après le roman de Joyce Maynard, avec Nicole Kidman. C’est le premier d’une série de quatre films bénéficiant de budgets importants et de distributions prestigieuses. « Will Hunting » (1997), qui réunit Matt Damon et Robin Williams, et « À la rencontre de Forrester » (2000), avec Sean Connery, narrent des parcours initiatiques associant un jeune homme talentueux, pauvre et sans père, à une figure parentale de substitution. Approché par Universal, Gus Van Sant en profite pour livrer un autre « Psychose », en couleurs et en respectant le découpage initial du film d’Alfred Hitchcock.
Le cinéaste précise au sujet de son « Psycho »: «L’envie première était de réaliser un anti-remake. À Hollywood, la notion de remake consiste à reprendre non pas un film mais un scénario. Et le plus souvent, l’idée est d’en changer le dénouement pour le rendre léger, car dans les films plus anciens, les fins étaient souvent sombres. Mon « Psycho » (1998) consistait ainsi à ne pas uniquement reprendre un scénario, mais également toutes les autres contributions artistiques. (…) Je pensais que si cet anti-remake fonctionnait, Hollywood allait peut-être aimer cette idée; mais le film n’a pas rapporté d’argent et il n’y en a eu aucun autre dans ce genre. Reste que je continue à aimer l’idée de l’appropriation d’une œuvre d’art, comme Marcel Duchamp a pu le faire.»(2)
Constituant une «tétralogie de la mort», les quatre films suivants sont libérés des conventions hollywoodiennes, mais aussi de l’influence du cinéma indépendant. Expériences formelles radicales et variations poétiques autour de l’adolescence, ces œuvres se cristallisent sur des instants de vie face à la mort. Adoptant une structure narrative complexe, en forme de mosaïque ou de collage, la mise en scène tend vers l’épure en harmonie avec l’effacement du récit: dans « Gerry » (2002), deux jeunes hommes se perdent dans le désert au cours d’une longue errance ; remportant en 2003 la Palme d’or à Cannes, « Elephant » s’inspire de la fusillade de Columbine dans un lycée du Colorado ; l’année suivante, « Last Days » décrit les derniers jours d’une rock star nourrie de la figure de Kurt Cobain, chanteur du groupe Nirvana qui s’est suicidé en 1994 ; « Paranoid Park » (2007) suit les faits et gestes d’un adolescent qui a tué un agent de sécurité par accident. Gus Van Sant confie alors au quotidien belge Le Soir: «Chacun d’entre nous a un jour été confronté à une faille personnelle dans laquelle notre pureté s’est abîmée. Vous comme moi. Étudier ce moment fugitif où quelque chose se brise dans l’âme humaine est plus passionnant que de filmer la chute spectaculaire. Ce sont ces histoires-là que j’aime mettre en scène.»(3)
Gus Van Sant quitte ensuite les aventures expérimentales pour des formes plus classiques. Avec le biopic « Harvey Milk » (2008), incarné par Sean Penn qui reçoit alors l’Oscar du meilleur acteur, il retrace le bref parcours politique du premier gay élu à une fonction officielle en Californie et qui fut assassiné en 1978. Il retrouve Matt Damon en 2012 pour « Promised Land », qui aborde la question de l’exploitation du gaz de schiste. Auparavant, il réalisait « Restless » (2011), lorsqu’une jeune fille atteinte d’un cancer en phase terminale, mais animée d’un puissant amour de la vie et de la nature, rencontre un jeune homme qui a perdu l’envie de vivre.
Dans « Nos souvenirs » (2014), il met en scène un homme devenu veuf se préparant au suicide qui doit secourir un autre homme. Son dernier film, « Don’t worry, he won’t get far on foot » (2018), avec Joaquin Phoenix, est basé sur l’autobiographie de John Callahan, dessinateur de presse devenu paraplégique à l’âge de 21 ans, à la suite d’un accident de voiture dû à l’abus d’alcool. Gus Van Sant précisait à ce propos dans Télérama: «Dans « Don’t worry… », John entreprend une sorte de thérapie avec quelques personnes qui ont affronté des problèmes d’alcoolisme, et dans « Nos souvenirs », l’Américain qui a perdu sa femme rencontre cet homme japonais dans les bois, ils se trouvent l’un l’autre. C’est quelque chose que j’ai souvent montré dans mes films à partir de « Drugstore Cowboy » (1989): des personnages qui forment une famille à l’écart du monde, une famille de voleurs, de toxicomanes, qu’importe. J’avais une théorie à ce sujet mais je l’ai oubliée. Dans l’autobiographie de John, il y a toute une partie sur laquelle je ne me suis pas étendu mais qui raconte exactement la même chose: il rencontre d’autres dessinateurs, il entre dans cette famille de créateurs, il crée des liens forts.»(4)
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
(1) représentations les mercredi 24 et jeudi 25 mai à 19h30, rencontre avec Gus Van Sant le mardi 23 mai à 20h00, au Théâtre de la Cité, 1, rue Pierre-Baudis, Toulouse.
(2) letemps.ch (24/10/2017)
(3) lesoir.be (24/10/2007)
(4) telerama.fr (04/04/2018)
Journée d’étude, mardi 23 mai, de 9h30 à 18h00 (entrée libre) ;
Rencontre avec Gus Van Sant, jeudi 25 mai, 19h00 (entrée libre).