Encore trois opéras pour cette saison sous le titre d’Opéra national du Capitole de Toulouse. Et quatre donnés, et quatre triomphes. La maison est en pleine forme. Son directeur artistique Christophe Ghristi surfe sur une écume virevoltante tandis que le gouvernail est maintenu de main de maître par Claire Roserot de Melin.
La brochure étant trop conséquente, commençons par le traitement des 7 œuvres opératiques. Comme la saison passée, nous consacrerons un second article aux 5 productions de ballets puis aux 5 récitals, aux 6 Midis du Capitole, aux 8 dates de concerts et autres réjouissances.
Pour solde de tout compte, cette saison nous avons encore Le Viol de Lucrèce et le Mefistofele pour ce trimestre à venir, sans oublier fin avril La Traviata aux huit représentations affichant complet depuis…octobre !!. Et donc, à venir, dès fin septembre, Les Pêcheurs de perles de Bizet en ouverture de saison et en fin, Eugène Oneguine de Tchaïkovski et juste avant Pelléas et Mélisande de Debussy. Chose promise, chose due. Ce sont les trois opéras contrariés sur les trois saisons passées et reportés. Notre Directeur tient parole, aussi bien pour le public mais peut-être bien davantage pour les artistes.
Bien sûr, signalons en préavis, que chaque production est entourée de rubriques passionnantes intitulées Préludes, ou Journée d’étude, ou Conférence, ou Mon métier à l’opéra et enfin Atelier d’écoute, ouvertes à tous.
Pour Les Pêcheurs de perles, dans la fosse, c’est le jeune pianiste et chef Victorien Vanoosten qui tient la baguette pour son baptême “capitolin“. Qu’il dirigera par la suite au State Opera de Berlin, rien que ça. Le spectacle est du chorégraphe Thomas Lebrun. Le ballet est maison. Antoine Fontaine est aux décors comme pour cette Traviata actuellement. Grand retour en Leïla de Anne-Catherine Gillet si souvent applaudie en ces murs. Nadir, c’est Mathias Vidal, notre inoubliable Platée. Il faisait aussi la paire dans le fameux Cosi fan tutte avec Alexandre Duhamel, Ferrando et Guglielmo, Cosi qui avait justement remplacé Les Pêcheurs de perles, opéra prévu en ouverture de saison 2020 et reporté. Ici, il est Zurga. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se …
Pour Eugène Oneguine, c’est en juin 24. Toute l’affiche prévue il y a trois ans est là, du chef Gábor Káli au metteur en scène Florent Siaud responsable de la nouvelle production, en passant par Valentina Federeva en Tatiana, Brog Magnus Tedenes en Lenski, (excellent Tamino dans La flûte), Eva Zaïcik en Olga ( notre Carmen et notre Rosine ), la basse Andreas Bauer Kanabas en Prince Grémine et bien sûr Stéphane Degout en Oneguine, non plus sa prise de rôle mais qu’importe car, nos oreilles, en différé de Bruxelles, sont déjà averties du bonheur à venir. Et on sait son russe d’une clarté exceptionnelle.
Le mois de mai sera sous le signe du drame de Claude Debussy, son unique opéra Pelléas et Mélisande, dans une nouvelle production due à Éric Ruf. Pour servir au mieux le langage prodigieux de Debussy, Christophe Ghristi met à l’affiche un Pelléas de luxe avec Marc Mauillon, à la tessiture changeante soit ténor, soit baryton, une Mélisande sous les traits de Victoire Bunel en prise de rôle et un baryton grec pour Golaud, Tassis Christoyannis, qui a chanté de très nombreux rôles pour baryton et a une excellente réputation de mélodiste. Et osons-le, pour Golaud, il y a un physique. Janina Bachle, contralto, sera Geneviève, mère des deux demi-frères. Et tous, solistes, musiciens, choristes dirigés par la baguette inspirée de Léo Hussain que nous avons déjà apprécié, aussi bien dans Die Tote Stadt que dans Wozzeck.
Une seule reprise de production, ce sera pour La Femme sans ombre, Die Frau ohne Schatten de Richard Strauss, opéra achevé en 1919. Mais quelle production de 2006 pour cet ouvrage ! Un conte magique en référence à une légende persane. Le monde des esprits avec Empereur et Impératrice, confronté à un monde où se rencontrent esprits et humains, et le monde des hommes, celui des labeurs et des larmes, traduit ici par Le Teinturier Barak et sa femme. La production sera dirigée par l’incontournable Frank Beermann (Parsifal, Tristan, Elektra). La mise en scène fut l’une des plus étourdissantes dues à Nicolas Joël avec ses acolytes Ezio Frigerio, Franca Squarciapino et Vinicio Cheli. L’Empereur, c’est le ténor Issachah Savage (remember !!Ariane à Naxos), L’impératrice, une nouvelle coqueluche, Elizabeth Teige, soprano dramatique rompue aux rôles wagnériens auxquels on peut rajouter Elektra, Turandot et autres. Est-il besoin de présenter La Nourrice, rôle dévolu à Sophie Koch ? Et la femme de Barak, Brian Mulligan, ni plus, ni moins que l’Impératrice de 2006, Ricarda Merbeth, ici donc La Teinturière mais aussi Elektra, il y a peu, prête à vendre son ombre, symbole de fécondité ?
Attention, il n’y a que 4 représentations. Et les surtitres vous seront d’un grand secours pour saisir tout le génie d’un compositeur et de son acolyte le poète Hugo von Hofmannsthal. Grand émoi en perspective fin janvier. J’oubliais le rôle du Borgne, interprété par Aleksei Isaev, le Vodnik de Rusalka si à l’aise pour plonger dans la piscine au milieu de ses ondines ! Présent aussi en Messager des esprits, le baryton Thomas Dolié (Victoire de la musique 2008 à Toulouse), et ici même en Fritz dans Die Tote Stadt.
Novembre verra le retour d’un certain Matthias Goerne. Le public du Capitole ne s’en lasse pas, et d’autant moins que sa voix est de plus en plus en adéquation avec les rôles qui lui sont dévolus. Et maintenant dans Boris ! après Amfortas, le roi Marke, que pouvait-on espérer ? Une nouvelle production encore, confiée à Olivier Py et à ses acolytes Pierre-André Weitz et Bertrand Killy. Nous avons tous en mémoire leur Gioconda ! Que vont-ils faire de cette réflexion sur la solitude du pouvoir et ses excès ? Quel aspect va donc prendre ce singulier chef-d’œuvre du compositeur atypique à l’existence chaotique, et le mot est faible, j’ai nommé Modeste Moussorgski ? Dans la version originelle de 1869, celle retenue pour cette nouvelle production, le drame est ramassé, très concentré dramatiquement. La noirceur du propos est soulignée par une orchestration à la fois sauvage et flamboyante, mettant à nu la psychologie du rôle-titre. « Je veux que le son exprime l’idée, je veux la vérité » écrivait Moussorgski. Alors, pour incarner un tel titan, il en fallait bien un autre pour porter ce rôle de colosse, et qui d’autre que Matthias Goerne sur l’échiquier pour l’incarner avec la force mais aussi l’intériorité qu’il requiert ? Quand on a entendu et vu de quelle manière il nous a incarné ce Winterreise de Schubert le 24 février dernier ? Sûr que la distribution nécessaire, conséquente, va être galvanisée par une telle présence, sans parler des musiciens et des choristes.
L’hiver 24 nous retrouvera en Crète avec Idoménée, roi de Crète de Mozart et voguant vers le Japon. En chef de troupe, le jeune Michele Spotti tout droit venu de Marseille où il officie depuis peu en tant que Directeur musical de l’Opéra et de l’Orchestre Philharmonique de Marseille. Les conditions du voyage sont accomodées par le metteur en scène Satoshi Miyagi assisté de Kayo Takahashi Deschene pour, essentiellement, des kimonos, et Yukiko Yoshimoto pour les lumières, la mise en scène nécessitant des chargés de scénographie et de chorégraphie. On est en plein opera seria traditionnel avec une princesse troyenne Ilia, Marie Perbost, La Folie dans Platée, Pamina dans la Flûte !! captive d’Idoménée, Ian Koziara, jeune ténor américain né à Chicago, et bien sûr, amoureuse du fils du roi, Idamante, le rôle parfait pour le timbre de Cyrille Dubois. La jalouse Elettra ira comme un gant à Andreea Soare, idéale Musette il y a peu. On remarque avec plaisir la collaboration du Chœur Les éléments.
Un peu de fantaisie tout de même en suivant pour fêter l’arrivée du printemps 24. Ce sera avec Rossini et sa Cendrillon, La Cenerentola qui n’a guère eu les faveurs du Capitole depuis sa création. Les raisons, Qui sait ? Les décors ? les costumes ? les voix ? Si Le Barbier était régulièrement à l’affiche, par contre, point de carrosse et de citrouille. Vengeance avec deux distributions concoctées par le “patron“ pour cette nouvelle production, dans lesquelles on a grand plaisir à lire des noms comme Florian Sempey, Vincenzo Taormina, Levy Sekgapane, Adèle Charvet, Philippe Estèphe et autres. De la jeunesse toujours pour animer une telle partition avec le chef Michele Spotti et, après leur réussite cette saison dans La Bohème, le retour du duo Barbet & Doucet dans Mise en scène, décors, costumes et chorégraphie. Tous les ingrédients sont réunis pour le franc succès des huit représentations.
Rossini a 25 ans lorsqu’il compose ce dramma giocoso en deux actes. Il jouit déjà d’une brillante renommée en Europe. Jacopo Ferretti, le librettiste, choisit de s’inspirer du conte de Cendrillon écrit par Charles Perrault, moins cruel que la version des frères Grimm. Il rédige le livret en vingt-deux jours et Rossini compose la musique en vingt-quatre seulement, grâce à l’utilisation de morceaux de partitions, simplement deux !! de certains de ses opéras précédents (dont La Gazzetta pour l’ouverture).
C’est le vingtième des quarante opéras, remaniements compris qui composent le catalogue du “grand panda fainéant“. La Cenerentola n’est pas pour autant équidistante, en termes chronologiques, du début et du terme de la production du compositeur de Pesaro. Avec cette œuvre écrite pour la saison du Carnaval, en effet, le soir du 25 janvier 1817, au Teatro Valle de Rome, Rossini prenait pratiquement congé de l’opéra-bouffe, un peu plus de six ans après ses débuts au San Moisè de Venise avec La Cambiale del matrimonio. Tous comptes faits, la grandiose explosion de l’opera buffa rossinien, si on se limite aux quatre chefs-d’œuvre, partant de l’Italienne à Alger, de mai 1813, et passant par Le Turc en Italie, de 1814, et le Barbier de Séville de 1816, n’occupe que moins de quatre ans.
> Entretien avec Christophe Ghristi / Saison 2023-2024