Au cours de la présente saison et de la suivante, le Capitole invite le jeune maestro Michele Spotti à se confronter à trois chefs-d’œuvre de l’art lyrique : La traviata, Idomeneo et Cenerentola. Verdi, Mozart et Rossini, largement de quoi (é)prouver sa valeur.
Rencontre.
Classictoulouse : Quel a été votre parcours à ce jour ?
Michele Spotti : Je suis natif d’une famille de musiciens. Déjà ma grand-mère m’enseignait la musique. Mes parents me disent que tout petit déjà je voulais être chef d’orchestre. Tout cela m’a amené au Conservatoire de Milan. J’ai poursuivi et achevé mes études de direction d’orchestre à Genève. Après avoir été lauréat d’un concours à Liège, très rapidement ensuite j’ai pris des responsabilités dans le domaine symphonique et lyrique. Aujourd’hui je suis directeur musical de l’Orchestre et de l’Opéra de Marseille.
Vous parlez plusieurs langues
Effectivement. Je pense qu’un chef d’orchestre se doit de maîtriser plusieurs idiomes car, que ce soit dans le domaine symphonique ou lyrique, je suis persuadé que la langue est étroitement liée à la musique.
Connaissiez-vous le Capitole avant de venir y diriger La traviata ?
Oui car étant un peu curieux j’ai lu l’histoire de ce théâtre. De plus et pour tout vous dire, j’étais dans la salle pour une représentation de Lucrezia Borgia en 2019, j’avais 25 ans… Par ses dimensions le Capitole m’a paru de suite idéal pour du répertoire italien.
Quel a été votre premier contact avec Christophe Ghristi et votre réaction lorsque celui-ci vous a invité d’emblée pour 3 ouvrages ?
C’est bien sûr une affaire d’agents. Mais pas seulement. Le contact avec Christophe Ghristi s’est fait très facilement car c’est un homme de théâtre. Je sais qu’il m’avait écouté, j’ignore où d’ailleurs. Il est très direct en communication et c’est assez rare dans le métier. Son invitation à me produire trois fois est pour moi un grand honneur car nous savons tous que le Théâtre du Capitole est l’un des plus grands opéras d’Europe.
Vos premières impressions sur vos débuts au Capitole ?
C’est une maison qui a le souci du détail et qui donne le temps aux interprètes de le travailler. Ce temps en question nous oblige à creuser notre approche de l’ouvrage. C’est un théâtre qui a également une équipe musicale de premier plan, je pense en particulier à Robert Gonnella et Miles Clery-Fox. J’ai une véritable relation personnelle avec Robert Gonnella car il m’apprend beaucoup de choses sur mon métier. C’est un homme extrêmement précieux. Je dois préciser que pour la première fois j’utilise l’édition critique de cette partition qui est en quelque sorte un résumé de toutes les modifications apportées par Verdi lui-même sur l’original. C’est peu de choses à vrai dire, mais cela permet de pénétrer au plus près de ce que souhaitait finalement le compositeur.
Votre activité aujourd’hui est-elle plus lyrique que symphonique, l’inverse ou à équivalence ?
A égalité. Je suis né comme chef symphonique et je me suis passionné pour l’opéra plus tard. En fait j’ai longtemps joué du violon dans l’orchestre.
Quel est votre répertoire lyrique ?
Verdi surtout mais aussi Bellini, Rossini, Donizetti. J’ai commencé ma carrière lyrique comme assistant de Alberto Zedda. J’adore également Offenbach. Je suis en train de planifier mon premier Wagner pour les années prochaines. Ce sera Le Vaisseau fantôme. J’aime beaucoup aussi diriger les Strauss, Richard et Johann. En fait j’aime bien me définir comme étant “sans” répertoire préétabli. Entre Lakmé et Elektra, je n’ai pas de préférence. Il y a de la marge, n’est-ce pas ? En réalité, je tombe amoureux de toutes les œuvres que je dirige.
Avez-vous un ou plusieurs modèles en matière de direction d’opéra ?
Chaque époque a eu son lot d’excellents chefs, tout comme aujourd’hui. Cela étant, mon modèle absolu est Leonard Bernstein. Dans un live à Berlin j’ai été très impressionné par Kirill Petrenko. Mais comment ne pas citer aussi Daniele Gatti, Gian Franco Noseda, Esa Pekka Salonen, George Prêtre, Paavo Järvi. Au niveau de la gestuelle, c’est certainement Zubin Mehta qui me fascine le plus. Je suis un fan de la technique et franchement la droite de Zubin Mehta est quelque chose de passionnant. Bien sûr tout cela dépend du répertoire dirigé.
Quelles vertus particulières doit développer un chef lyrique ?
Certainement de la patience ! Surtout bien connaître la voix. Le travail avec un chanteur tient aussi de la psychologie. Il faut toujours lui tailler un vêtement sur mesure. Avoir deux distributions, comme ici dans La traviata, veut dire que je dirige deux opéras différents. Et c’est pour moi très intéressant. Sans trop entrer dans des détails techniques, il faut savoir que chaque orchestre a son temps de réponse donc le travail de la main gauche doit s’adapter en conséquence.
Vous avez déjà dirigé La traviata ? Comment un chef d’orchestre aborde-t-il un ouvrage pareil ?
Autant chez moi qu’au Conservatoire, La traviata s’écoute en boucle. Pour répondre à votre question, non ce n’est pas la première fois. Mais par contre, c’est la première fois que j’ai la chance d’avoir le temps de vraiment me pencher sur cette partition dans une production. Tout le monde s’imagine connaître cet opéra. C’est possible mais le raffinement de cette partition est tel qu’on ne la connaît véritablement jamais.
Avez-vous un enregistrement de référence pour cet opéra ?
Il y a quelques années, j’écoutais beaucoup les enregistrements pour travailler. Aujourd’hui ma référence c’est uniquement la partition. Sauf que j’enlève les mauvaises habitudes que j’avais prises les années passées sur cet ouvrage. J’interroge Verdi en permanence et j’essaie de comprendre pourquoi il a écrit telle ou telle chose. Tout en faisant l’impasse sur une certaine tradition. La suite appartient à mon interprétation. Il a fallu parfois que je me batte pour conserver les cabalettes. Or si elles sont supprimées on trahit l’architecture générale de l’œuvre. Il n’y a pas de raison. Elles participent à une sorte d’équilibre. Et puis franchement on est toujours au cœur de notre espace de créativité dans lequel il nous appartient de trouver dans cette musique de cabalette des couleurs, un rythme, une ambiance, tout cela sans mettre le chanteur en difficulté bien sûr. J’ajoute que je n’ai rien contre tel ou telle interprète qui souhaite extrapoler des notes vers l’aigu car cela fait plaisir au public et nous sommes là pour ça. Le son des applaudissements est certainement le plus beau qu’un artiste puisse entendre.
Quelle place donnez-vous à cet ouvrage dans le corpus de Verdi ?
Il faut d’abord partir du sommet et pour moi c’est Falstaff. Pas très loin il y a Don Carlos en version française. L’opéra parfait de Verdi est certainement Rigoletto. Le génie de La traviata est de se frayer sans faillir un chemin jusqu’au cœur du public.
Que nous raconte cet ouvrage au 21ème siècle ?
Il est d’une modernité hallucinante. Aujourd’hui nous connaissons pas mal de situations qui sont similaires à celles que Verdi a mises en musique dans cet opéra. A n’importe quelle époque et dans n’importe quelle situation sociale, nous trouvons toujours ces problèmes familiaux concernant les origines sociétales des uns et des autres.
Comment concevez-vous votre fonction de chef d’orchestre dans une représentation lyrique ?
Avant toute chose il faut qu’il soit un interprète de la partition qu’il dirige. Tout en la respectant, il faut qu’il lui donne quelque chose qui n’appartient qu’à lui. Sans exagérer ma contribution à un spectacle, ma responsabilité est énorme. D’une part parce que le spectacle lyrique, nous le savons, coûte beaucoup d’argent et nous sommes redevable de cela. De plus il est la liaison indispensable entre tous les artistes de la représentation. S’il se trompe, tout le monde se trompe.
Après Toulouse et avant de revenir au Capitole pour la saison 23/24 pour Idomeneo et Cenerentola, quels sont vos projets ? Allez-vous aborder de nouveaux ouvrages ? Quelles sont vos envies ?
Avant Toulouse j’étais à Dresde pour une Bohème. Après le Capitole je pars à Valencia pour Ernani. Dans mes souhaits profonds, il y a Simon Boccanegra, Falstaff, Tristan aussi car la musique est inimaginable de beauté. La réponse à votre question n’est pas évidente car à certains moments nous avons envie de telle ou telle œuvre et plus tard cette envie se porte sur d’autres ouvrages. Cela dépend aussi de notre mental. Mais bon, en principe, la carrière d’un chef d’orchestre peut être très longue. Ce qui nous permet d’assouvir tous nos souhaits.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Une chronique de ClassicToulouse
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