Dans le cadre de la saison des Grands Interprètes, le concert du 12 avril dernier réunissait deux jeunes artistes au rayonnement exceptionnel : le violoniste Daniel Lozakovich et le pianiste Alexandre Kantorow. Alors qu’ils ont déjà été accueillis et acclamés séparément sur cette même scène de la Halle aux Grains, le duo qu’ils forment depuis déjà quelques années vient de s’affirmer à Toulouse avec panache.
Né en 1997 dans une famille de musiciens (ses deux parents sont violonistes et son père est également un chef d’orchestre réputé) Alexandre Kantorow a connu un fulgurant début de carrière qui a littéralement explosé lorsqu’il a remporté en 2019 le Concours Tchaïkovski de Moscou. Il est ainsi devenu le premier français à obtenir ce prix prestigieux. En récital, en musique de chambre ou comme soliste concertant, ce jeune interprète occupe une place importante au sein de la nouvelle générations des acteurs du clavier. Il s’est produit à plusieurs reprises, et avec quel succès, au festival Piano aux Jacobins et comme soliste auprès de l’Orchestre national du Capitole.
Daniel Lozakovich, né à Stockholm en 2001, a débuté une carrière de soliste avant l’âge de dix ans auprès des Virtuoses de Moscou et de Vladimir Spivakov. Cet élève du professeur Josef Rissin à la Hochschule für Musik Karlsruhe de 2012 à 2015 est lauréat de nombreuses récompenses internationales. Dès 2017, il faisait ses débuts à Toulouse avec le Poème pour violon et orchestre d’Ernest Chausson, en 2018, il y interprétait magistralement le Concerto pour violon et orchestre n°1 de Max Bruch et en 2021 recueillait un grand succès avec le Concerto de Mendelssohn.
Ces deux jeunes artistes trouvent ce 12 avril dernier un terrain commun d’expression musicale. Ils investissent le programme franco-germanique qu’ils ont élaboré avec un enthousiasme commun évident et dans la complémentarité de leurs talents. Le piano d’Alexandre Kantorow resplendit grâce à un toucher lumineux, franc et net. Le violon de Daniel Lozakovich exprime à tout instant une sensibilité extrême selon un large gamme de nuances, de la douceur proche du silence à l’éclat dorée de sa sonorité de miel. Les premières notes de la célèbre Sonate en la majeur de César Franck témoignent de cette complémentarité fructueuse. De la confidence douloureuse et comme murmurée du violon émerge un échange avec un jeu pianistique qui semble consoler. L’Allegretto moderato porte ici bien son nom. Dans la suite des trois autres mouvements, les deux musiciens alternent l’expression passionnée et la rêverie. La transparence limpide du toucher du pianiste complète harmonieusement la variété infinie des phrasés du violon dont le vibrato, à la fois léger et serré, évoque irrésistiblement une voix humaine. Marcel Proust aurait certainement apprécié la manière dont « la petite phrase » de la Sonate à Vinteuil évoquée dans A la Recherche du temps perdu balise l’œuvre et finalement enflamme le mouvement ultime.
La seconde partie du concert réunit deux sonates pour violon et piano de compositeurs amis et emblèmes du romantisme germanique, Johannes Brahms et Robert Schumann. Ces deux partitions proches et néanmoins très caractéristiques de leurs auteurs sont données cette fois dans la continuité, sans interruption entre les deux. Curieusement, la salle reste silencieuse à la fin de la sonate de Brahms, entraînant un enchaînement avec celle de Schumann. Ce n’est qu’à l’issue de la seconde que les applaudissements éclatent en une grande ovation qui salue chaleureusement les deux exécutions. Il semble d’ailleurs (dixit les musiciens eux-mêmes) que ce phénomène se produisent chaque fois que ce programme est donné.
La Sonate n° 2 en la majeur opus 100 de Johannes Brahms, composée en 1886 sur les rives du lac de Thoune près de Berne, s’ouvre dans un climat apaisé et serein. Les deux interprètes soulignent poétiquement le caractère de lied que revêt cet Allegro amabile bien nommé. Encore une fois, le violon chante comme une voix humaine. Le deuxième volet, son aspect composite, motive visiblement l’ardeur des musiciens qui alternent les nuances Andante et Vivace avec sensibilité et finesse. La référence au lied se retrouve dans un mouvement final joyeux au lyrisme largement rhapsodique.
Le premier volet intitulé « Mit leidenschaftlichem Ausdruck (Avec une expression passionnée) » de la Sonate n° 1 en la mineur de Schumann saisit l’auditeur par son énergie, l’Allegretto qui suit le séduit par son lyrisme. L’agitation du « Lebhaft (Animé) » qui conclut se traduit par une volubilité des deux instruments, un temps interrompue par un épisode nostalgique si typique de l’imagination et de la fantaisie de Schumann, si bien traduite par les interprètes.
L’acclamation qui accueille ces deux exécutions remarquables obtient une rafale de bis de caractères divers. Après la douceur élégiaque de la Mélodie de Tchaïkovski, explose l’incandescence du Scherzo de Brahms extrait de la Sonate « collective » FAE. La soirée s’achève sur une très poétique transcription pour violon et piano du fameux « Clair de lune » de Debussy extrait de la Suite bergamasque.
Voici un duo qui devrait perdurer et prospérer.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse