La compagnie Cléante a fait appel à Grégory Bourut pour mettre en scène son adaptation du « Prénom ». La pièce sera présentée au Théâtre Marc Sebbah du 15 au 18 mars prochains, dans une scénographie épurée. En attendant, rencontre avec Grégoire. Non, Greg… Ou plutôt Grégory Bourut.
Culture 31 : « Le Prénom » est une comédie de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière. Celle-ci a rencontré énormément de succès auprès du public depuis 2010. Y a-t-il une pression supplémentaire lorsque l’on s’attelle à une pièce aussi reconnue ?
Grégory Bourut : Non, je ne l’ai pas abordée avec une pression particulière. C’est une commande de la compagnie Cléante donc je n’avais pas choisi la partition, mais j’ai trouvé le challenge sympa. Tout en sachant, effectivement, que le succès de la pièce est déjà assuré. À moins d’une grosse contre-performance en terme d’équipe, de distribution, et de parti pris, je ne voyais pas trop de danger. Si ce n’est celui qui se renferme dans la partition en elle-même, à savoir qu’on est dans une comédie de théâtre bourgeois, de théâtre privé.
Et malgré tout, c’est une pièce qui est superbement écrite. Elle mérite d’avoir un traitement qui la sort justement de cet aspect de théâtre privé parisien, de salon. Ces fameux décors que l’on voit toujours, les scénographies identiques… C’est là que se situait le challenge et je crois que la compagnie Cléante m’a convoqué car je travaille sur des choses épurées. Donc j’ai quand même pu apporter ma patte. Je suis assez satisfait de la rencontre de la pièce avec une scénographie épurée qui propose un questionnement sur ce qu’est ce repas de famille.
« Le Prénom » est en effet un huis-clos. Les scènes se déroulent alors dans un lieu unique. Comment réfléchit-on le décor dans ce contexte ?
J’ai surtout pensé à la situation : le repas. Ce repas de famille qui fait qu’on arrive tous pleins de bonnes intentions et que, finalement, ça se disloque. On a travaillé autour de la table. Sur la manière de la construire et de la déconstruire. Sur comment on construit les choses et comment elles se détériorent. C’est un peu l’axe. Et, sans dévoiler des astuces, on part vraiment avec une proposition qui est très théâtrale. C’est un narrateur qui commence la pièce. Puis, petit à petit, on recentre la situation dans cet appartement, ce salon, cette salle à manger qui finira à peu près de la même manière que les protagonistes. C’est-à-dire un peu fissurée.
Tout part d’une question simple : comment le couple formé par les personnages (eux, sobrement nommés) Vincent et Anna comptent-ils appeler leur enfant ? Au delà du prénom en lui-même, sur quoi repose essentiellement l’aspect comique de la pièce ?
Sur le malentendu. Le quiproquo. Il y a un twist théâtral qui ne se fait pas autour d’Anna et Vincent mais autour de leur meilleur ami et de la mère de Vincent. Là aussi je pense que la pièce et le film ont suffisamment dévoilé de choses mais, effectivement, leur meilleur ami entretient une relation avec la mère de Vincent. C’est un malentendu qui reste sacrément efficace car c’est bien écrit, bien détourné. La joute intellectuelle autour du prénom d’Adolphe est aussi assez croustillante. Mais c’est surtout le bas les masques juste après qui devient intéressant. Pour le coup, ce qui est peut-être le plus efficace je trouve – dans cette comédie qu’on qualifie plus volontiers de comédie dramatique – c’est une possibilité qui est laissée à l’émotion et à des gens qui, au final, se parlent pour de vrai.
Bernard Murat, metteur en scène initial de la pièce, a confié au Figaro en 2018 : « Le repas du Prénom, je le dirige comme une tragédie, on ne cherche pas à faire rire. Mais plus c’est tragique, plus c’est ridicule ». Vous partagez donc son analyse ?
Tout à fait. Je n’avais pas connaissance de cette analyse de Murat et je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il en ait une de la sorte. Mais effectivement, ce qui pourra peut-être étonner et agréablement surprendre dans notre mise en scène, c’est qu’on a travaillé aussi sur le registre de l’émotion et de vraies fêlures, de vraies choses qui sont lâchées à un moment. Des piques dont on ne ressort pas indemne. Ce n’est pas une tragédie non plus mais on n’a pas évacué le drame et l’émotion. On ressort donc de la pièce avec cette émotion.
Sur les planches, on retrouvera Jean-Baptiste Artigas, Lise Laffont, Mallory Casas, Inès Pech et Robert Simon. Comment se sont-ils imprégnés de leurs personnages ?
Déjà, je leur ai demandé de ne pas du tout prendre connaissance de ce qui avait été fait avant. Même si ça avait été vu, à un moment ou un autre, je leur ai demandé de ne pas se rafraîchir la mémoire. Ça passait vraiment par notre prisme à nous. Et je pense que chacun a été puiser un peu dans les dramas familiaux qu’ils ont pu essuyer au cours, par exemple, d’un repas de Noël qui a dérapé avec un tonton qui a un peu trop bu ou une discussion autour de la politique qui a tourné en pugilat. Ces choses qui ont été lâchées et qui font qu’il y a vraiment un avant et un après le repas. Que les choses ne peuvent plus être tout à fait comme avant. Et c’est plutôt chouette que les gens aient ce point de rupture à un moment donné, pour pouvoir se parler enfin.
Ce que je peux dire de la distribution, c’est que j’avais déjà travaillé avec certains : Lise Laffont notamment, et Jean-Baptiste Artigas. Les autres, je les ai découverts au cours d’auditions. Et je crois qu’on a tapé juste. Il y avait une justesse initiale chez eux dans l’abord des partitions. Je ne dirais pas qu’ils étaient dans l’emploi mais il y avait une harmonie. Après, on est restés exigeants dans le travail même si la partition est super bien écrite. C’est vraiment efficace et c’est pour ça que ça a été un carton pendant des années.
Question inévitable, de votre côté, avez-vous vu l’adaptation cinématographique du Prénom (2012), co-réalisée par Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière eux-mêmes, et, si oui, qu’en avez-vous pensé ?
Je l’avais vue il y a longtemps et j’ai dû la regarder à nouveau pour voir comment ils avaient adapté. Notamment en terme de langage, et pour certains passages de la pièce. L’adaptation de l’entrée est d’ailleurs super bien opérée. Après, j’ai beaucoup de mal avec Patrick Bruel. C’est un peu subjectif mais j’y crois peu. Ça sonne un peu faux. C’est un point de vue très personnel. Même si, par ailleurs, le film a aussi très bien marché. Guillaume de Tonquédec était fantastique. Je crois même qu’il a été découvert avec cette partition. Le personnage lui va comme un gant. La Suisse incarnée ! Valérie Benguigui était fabuleuse également.
C’est par ailleurs une comédie très rythmique et on a aussi voulu travailler ça, peut-être comme on travaillerait un Feydeau rythmiquement. Les répliques doivent vraiment s’emboîter. C’est assez verbal. Donc on a essayé de mettre du corps, des choses qui me sont très importantes dans mon travail, même avec le Blutack ou quand je travaille en plateau.
Vous vous êtes notamment formé auprès de Francis Azéma, lequel de ses enseignements est aujourd’hui le plus précieux pour vous en terme de mise en scène ?
J’ai pu faire ma cuisine avec différents metteurs en scène avec qui j’ai travaillé. Évidemment, Francis a marqué une partie de mon travail, notamment dans le sérieux apporté dans le rythme, le texte, comment se mettre les choses en bouche… Ensuite, c’est plus sur la direction d’acteurs que je suis proche de lui. Dans ma manière de faire, j’ai aussi beaucoup appris avec Didier Carette, Brigitte Fischer, et d’autres collaborations que j’ai pu avoir avec la compagnie de théâtre de rue Le Muscle. Le travail sur le corps a quand même beaucoup été avec Brigitte Fischer. Ma formation d’acteur-danseur a amené ce travail sur la corporalité.
Pour finir dans le thème, si vous ne vous appeliez pas Grégory, quel prénom auriez-vous aimé avoir ?
Ce n’est sûrement pas mon deuxième prénom, Thierry. Je ne sais pas pourquoi on me l’a attribué d’ailleurs. Je le trouve assez terrible et je suis content de ne pas l’avoir. Mon prénom me convient assez bien je trouve. Même s’il a été marqué par le fait divers de l’affaire Grégory. Ce prénom a ensuite été complètement lâché. Plus personne ne voulait appeler son enfant Grégory. D’ailleurs, on m’appelle plus volontiers Greg. Je me présente comme Grégory, et les gens font eux-mêmes le diminutif. Je ne me présente pas comme Greg. Puis si les gens entendent plusieurs fois Greg, ils m’appellent Grégoire aussi. Mais je suis satisfait de mon prénom.
Propos recueillis par Inès Desnot