L’un de mes lieux de prédilection où je vais toujours avec plaisir dans ma chère ville de Toulouse, c’est l’Instituto Cervantes (1) du nom du célèbre écrivain espagnol Miguel de Cervantes, dont la belle devise est Hablo español, hablo con el mundo, Je parle espagnol, je parle avec le monde. J’ai parfois une petite pointe de regret qu’il n’y ait pas l’équivalent italien…
Si la « très forte prégnance de l’espagnol » à Toulouse, où cette langue est plus répandue que dans d’autres villes françaises, c’est que les Espagnols réfugiés dans cette ville suite aux années noires du franquisme (les exilés de 1939 plus les immigrés qui ont suivi), rejoints par des Hispano-Américains fuyant 35 ans plus tard d’autres régimes totalitaires d’Amérique du Sud, ont pris part à la vie de la cité en apportant leur créativité et leurs talents ; un apport culturel et artistique, économique, politique et humain de cette communauté à la ville d’hier et d’aujourd’hui.
Ce n’est pas un hasard si Toulouse l’Espagnole, le festival créé par la Mairie de Toulouse en 2009, à l’initiative de mon ami Vicente Pradal, illustrait bien l’histoire très ancienne des relations entre Toulouse et l’Espagne, depuis les échanges des Troubadours occitans avec les cours du Royaume d’Aragon jusqu’à l’arrivée massive des quelques cinq cent mille Espagnols fuyant les forces victorieuses de Franco et trouvant refuge à Toulouse en 1939, à l’issue de la Retirada, dont la grande photographe toulousaine Germaine Chaumel (1895-1982) a fixé des images inoubliables avec son appareil photographique Rolleiflex: elle a photographié en particulier le bâtiment où se trouve l’Instituto Cervantes de Toulouse qui était pendant la guerre « La maison du soldat », où sa petite-fille, Pilar Martinez-Chaumel qui fait vivre son œuvre pense « qu’on y logeait des jeunes (entre autres) » puisque sa grand-mère les a photographiés ainsi que le bâtiment tel qu’il est toujours aujourd’hui.
Toulouse aime comme moi sa tradition hispanique et le démontre bien avec de très nombreux événements culturels autour de l’Espagne : outre le festival susnommé, la ville de Toulouse accueille également les festivals internationaux du cinéma d’Amérique latine Cinélatino depuis 1988 et Cinespaña, consacré au cinéma espagnol depuis 1995 (au début des années 2000, le festival MIRA aujourd’hui disparu rendait hommage au théâtre espagnol).
Ouvert en 1997 à Toulouse, l’Instituto Cervantes propose de nombreux cours diplômants et rencontres culturelles ; de plus, il permet au grand public de découvrir ou de redécouvrir un univers dont notre ville est intimement proche, géographiquement comme historiquement et culturellement, celui de l’Hispanisme dont il est le foyer le plus vivant en Occitanie.
Comme à chacune de mes visites, avant de pénétrer dans le charmant bâtiment XIXème siècle modifié en 1911 avec l’ajout, en façade, d’une terrasse et d’une tour-porche, dotée d’un très joli décor Art Nouveau surmontée de fenêtres en encorbellement à vitraux faisant rentrer la lumière du jardin (c’est maintenant une salle de réunion où ont lieu les cours donnés par l’Institut), je m’arrête un moment pour me recueillir devant le buste de Manuel Azaña par le sculpteur Evaristo Bellotti.
J’ai rendez-vous avec la nouvelle directrice, la Señora Luisa-Fernanda Garrido-Ramos, qui me reçoit, avec un délicieux thé aux fruits, dans la Bibliothèque Manuel Azaña, « la bibliothèque de d’exil républicain » comme disait ma chère Claire Pradal.
Née à Madrid, cette grande Dame est diplômée en Histoire et Géographie de l’Université Autonome de Madrid, spécialisée en Histoire Médiévale des Balkans, peu étudiée, pour laquelle elle a eu très jeune une appétence, et également diplômée en Langues Serbo-Croates et et Littératures Yougoslaves de l’Université de Zagreb !
Rapidement, elle s’est passionnée pour les littératures de Slovaquie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine et Monténégro, apprenant même les bases du Russe pour mieux approfondir sa connaissance des langues slaves ; et elle a été pionnière dans ce domaine où il y avait de nombreuses lacunes. En plus des langues slaves et de l’espagnol, elle parle également l’italien et l’anglais.
Ayant décroché une bourse spécialisée pour l’étude de la Philologie (l’étude historique d’une langue par l’analyse critique des textes) yougoslave, elle a consacré cinq années à la découverte de ces langues et de ces littératures avant de se consacrer à la traduction de ses auteurs préférés dans cette aire géographique.
Elle a traduit plus de quarante titres en espagnol, mais aussi écrit des récits de ses voyages.
Elle a aussi participé aux activités de l’Atlas (2), l’Association pour la Promotion des Traductions Littéraires qui gère les activités de lors d’un séjour d’études à Arles où elle a découvert la Maison des Traducteurs animée par Claude Bleton, spécialiste de la Littérature espagnole en France.
Elle a ensuite été interprète assermentée au Ministère des Affaires Étrangères et membre actif de la Section Autonome des Traducteurs de l’Association des Écrivains Espagnols, dont elle fut de 2003 à 2006, vice-secrétaire et responsable des relations internationales du Conseil d’administration.
En 2005, elle a reçu la plus haute distinction consacrée à la traduction : le Prix national de traduction du serbe vers l’espagnol pour Le kapo de l’écrivain Aleksandar Tišma ; et en 2020 le Prix Estado Crítico de traduction.
A partir de l’an 2000, elle a été directrice des Centres de l’Instituto Cervantes à Sofia, Amman, Tunis et Prague ; et maintenant à Toulouse. Où sa mission est toujours la diffusion de la Langue (la 2eme dans monde aujourd’hui avec ses 6oo millions d’hispanophones, Amérique du Sud compris) et de la Culture espagnole.
Elle me précise tout de suite qu’elle est venue « pour apprendre autant que transmettre » dans cette ville espagnole de cœur.
Avec son équipe, elle va bien sûr continuer à développer des synergies avec les partenaires culturels toulousains avec lesquels ses prédécesseurs ont tissé des correspondances, comme le Festival Cinespaña ou le Marathon des Mots, sans oublier la superbe revue Gibraltar, (3) animée de main de maître par Santiago Mendieta, dont je vous ai parlé dans mon avant-dernière chronique .
Surtout, comme en juin l’Espagne prendra la présidence tournante de l’Europe, ce sera l’occasion pour la Señora Garrido Ramos d’organiser la venue à Toulouse d’intellectuels, d’artistes et de scientifiques,
D’ici là, elle présentera là l’Instituto Cervantes le 8 mars, Journée Internationale des Femmes faut-il le rappeler (je me dis toujours qu’une seule journée par an, ce n’est pas suffisant, puisque la Femme est l’avenir de l’Homme comme l’écrivait Louis Aragon), des jeunes chercheuses espagnoles qui travaillent à Toulouse, à l’INRA en particulier, et leurs projets novateurs et d’actualité.
Elle a inauguré le jeudi 26 janvier l’exposition Manuel Azaña, l’intellectuel et l’homme d’état (4), en présence, entre autres personnalités, de Santiago Martinez Carro, Consul général d’Espagne à Toulouse, Ernesto Pérez Zuñiga, sous-directeur de la Culture de l’Instituto Cervantes de Madrid, Angeles Egidio, historienne et commissaire de l’exposition, et Fernando Martinez, Secrétaire d’État à la Mémoire Démocratique du Gouvernement espagnol (voilà une fonction qui, me semble-t-il, fait cruellement défaut en France…).
Cette exposition, avec de nombreuses photos inédites et ouvrages issus de la Bibliothèque de l’Instituto Cervantes, entend offrir une image complète de Manuel Azaña, dans sa triple dimension : humaine, intellectuelle et politique, soulignant son statut d’intellectuel de prestige, ainsi que les conditions difficiles de son exil, qui s’est conclu avec sa mort en 1940 dans la ville de Montauban, où son souvenir est encore bien vivant quatre-vingts ans plus tard.
Elle sera visible jusqu’au 17 mars, avec le mardi 7 février une conférence de Jean-Pierre Amalric, Professeur émérite d’histoire contemporaine de l’Université Jean-Jaurès, et de l’éditeur espagnol des publications de l’écrivain et homme politique à la pensée toujours d’actualité.
J’ai noté cet extrait de l’un de ses discours aux Arènes de Madrid le 28 septembre 1930 : « Nous avons tous notre place dans la République, personne n’est banni pour ses idées ; mais la République sera républicaine, c’est-à-dire pensée et gouvernées par des républicains (…) qui admettent tous la doctrine que l’État est fondé sur la liberté de conscience, sur l’égalité devant la Loi, la libre discussion, la prédominance de la volonté de la majorité librement exprimée. La République sera démocratique ou elle ne sera pas. »
Et cette belle citation : « La Liberté ne rend pas simplement les Hommes heureux, elle les rend avant tout hommes. »
En titillant un peu la Señora Luisa-Fernanda Garrido-Ramos avec mon Questionnaire de toutes les couleurs, car elle n’aime pas se dévoiler et craint de ne pouvoir nommer toutes ses passions, elle finit par m’avouer quelques-unes de ses préférences : la couleur Bleu, Azul (comme moi), la violette et le genet, Don Antonio Machado, celui que l’on surnommait El Bueno, Le Bon, (comme moi aussi), la zarzuela, les nombreux plats à base d’œufs, avec un verre de vin de Somontano en Aragón, la Légende arthurienne avec en particulier le personnages de Mélusine, et celui d’Aliénor d’Aquitaine dont l’on dit qu’elle serait la descendante de celle-ci. Elle ne dit pas quels sont les défauts qui la révulsent le plus, mais précise la qualité qu’elle apprécie en premier chez les Femmes et les Hommes, l’intelligence (on s’en doutait en l’écoutant).
Quant à son plus beau Rêve, c’est que« le dialogue triomphe de l’horreur ».
Voilà une belle pensée pour conclure cette chronique.
PS. Horaires d’ouverture de l’exposition Manuel Azaña: Du lundi au jeudi de 14h30 à 18h30 et le vendredi de 14h30 à 18h. Entrée libre
Pour en savoir plus :
1) Instituto Cervantes (Toulouse) 31, rue des Chalets 31000 Toulouse 05 61 62 80 72 https://toulouse.cervantes.es
Initialement créé à Madrid en 1991, l’Instituto Cervantes œuvre pour la diffusion de la culture espagnole et latino-américaine dans 86 villes de 43 pays sur les cinq continents. Les cours prodigués font référence en matière de diplômes d’État et de formation.
Parmi les 4 instituts situés en France, la bibliothèque Manuel-Azaña abritée par celui de Toulouse propose non moins de 25000 ouvrages, films, musique et revues en espagnol.
Il était donc légitime qu’un centre culturel espagnol y soit rapidement mis sur pied. Après 69 rue du Taur, là où se trouve maintenant la Cinémathèque initialement siège du PSOE, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, dans les années 1960, un centre culturel espagnol apparut au 3, boulevard de Strasbourg sous le contrôle du Consulat d’Espagne , l’institut Cervantès de Toulouse fut installé dans les anciens locaux de la Casa de España, institution créée par Franco pour répondre aux demandes d’éducation et d’assistance des émigrés espagnols (et les contrôler bien sûr). Les travaux de réhabilitation commencèrent en 1994 et, jusqu’en 1996, la bibliothèque ainsi qu’une salle d’exposition et une salle polyvalente furent remodelées afin de répondre aux ambitions de l’Instituto Cervantes. C’est le 3 juin 1996 que l’institut Cervantès de Toulouse, situé au 31, rue des Chalets, fut inauguré en présence du maire de Toulouse, Dominique Baudis, du recteur de l’Académie de Toulouse, Philippe Joutard et de nombreuses personnalités locales et régionales. Rappelons que Toulouse fut le berceau de l’hispanisme française et la communauté espagnole y est toujours importante : c’est dans un tel cadre que l’institut Cervantès de Toulouse entendait dès son origine, ainsi, consolider sa position de centre de référence de la langue et de la culture espagnoles en offrant des activités variées notamment académiques pour aider et orienter les hispanistes et devenir un collaborateur privilégié de l’hispanisme local.
2) Association pour la promotion de la traduction littéraire qui accueille en résidence des traducteurs du monde entier a pour but de soutenir, transmettre, faire connaître la traduction littéraire : tel est le projet d’ATLAS, à travers l’organisation de résidences, de manifestations littéraires, d’ateliers de traduction et de prix de traduction.
3) Santiago Mendieta et Gibraltar: https://blog.culture31.com/2023/01/10/santiago-mendieta-lespagne-et-la-mediterranee-chevillees-au-coeur/
4) Manuel Azaña (Alcalá de Henares, 1880-Montauban, 1940) est l’une des figures les plus importantes de l’histoire contemporaine de l’Espagne. Il fut homme politique, écrivain et journaliste, président du Conseil des ministres (1931-1933) et président de la Seconde République (1936-1939). Il collabora à différents journaux, dirigea la revue España et fonda La Pluma. Il a reçu le Prix national de littérature en 1926 pour un travail sur Juan Valera et a été un remarquable traducteur de l’anglais et du français. Dans sa dimension politique, Azaña est l’un des principaux promoteurs de l’arrivée de la République en avril 1931. Les grands débats de la période comptent avec ses interventions remarquables : le statut de la Catalogne, la réforme agraire, la question religieuse ou le vote des femmes…