Fondé en 2015, le forum de création musicale ByPass, animé par le très imaginatif studio éOle, présente sa 8ème édition 2022 sous la forme d’un festival de deux semaines mêlant de nombreuses manifestations adoptant les formes les plus diverses et proposant d’originales créations musicales. Le forum ByPass entend tisser une relation privilégiée entre les compositeurs, leurs interprètes et le public, en s’appuyant sur les forces vives que constituent les institutions d’enseignement musical et les scènes de diffusion artistique.
Le fondateur de cette stimulante manifestation, Bertrand Dubedout, a bien voulu répondre à quelques questions que se posent probablement les curieux et amoureux de culture.
Classictoulouse : Comment est né le studio de création et d’expérimentation éOle et son expression périodique sous la forme du Forum ByPass ?
Bertrand Dubedout : éOle est issu de la fusion de SAM-Structure d’Action musicale, studio de création musicale fondé par Pierre Jodlowski en 1997 et de l’ensemble Pythagore que j’avais fondé en 1988. Pierre et moi en assurons la direction artistique, et avons décidé en 1998 le lancement d’un festival dédié aux expressions musicales de notre temps : Novelum, qui a connu 17 éditions successives jusqu’en 2014. En 2015 j’ai lancé l’idée du Forum ByPass, qui reprend certaines caractéristiques d’un festival, mais insiste sur une présence prolongée des personnalités artistiques sur place, ce qui permet de nombreuses rencontres et interlocutions avec les publics et une relation plus approfondie avec les élèves et étudiants des institutions toulousaines telles que le CRR, l’Isdat, l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès, etc.
Quelles sont les institutions qui s’impliquent dans cette manifestation ?
Ce sont des institutions clés dans la transmission artistique, toutes disciplines confondues : en premier lieu le Ring – Scène périphérique à Toulouse qui est notre principal partenaire, le CRR avec qui nous avons un lien très ancien et approfondi, l’Isdat avec qui nous travaillons beaucoup sur la question de l’interdisciplinarité musique / danse / arts plastiques, l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès, dont une équipe d’une vingtaine d’étudiants en management culturel va réaliser tout au long de cette 8e édition une enquête sur les multiples enjeux de ByPass, vus du côté des organisateurs, des équipes techniques tout autant que de celui des artistes et des publics, et la Cinémathèque de Toulouse avec qui nous renouons un lien très fort. Cette 8e édition de Bypass articule aussi plusieurs de ses soirées avec deux autres festivals : Neuf-Neuf, festival de danse présenté par la Cie Samuel Matthieu et Synchro, festival de Ciné-Concerts présenté par la Cinémathèque. Enfin une soirée est aussi présentée en lien avec le Théâtre Sorano, et une autre en collaboration avec l’ensemble Flashback de Perpignan.
Chaque édition est liée à un thème particulier. Pouvez-vous commenter celui qui accompagne cette 8ème édition ?
Cette 8e édition, qui est intitulée Voix d’Elles, consacre prioritairement ses espaces à des créatrices, des compositrices, des performeuses, des interprètes, des poétesses, des scénographes, toutes générations et tous champs artistiques confondus. Cette présence féminine s’incarnera en particulier dans la personnalité de la compositrice Georgia Spiropoulos, qui sera l’invitée privilégiée de cette 8e édition de ByPass. L’actualité nous a aussi poussés à proposer une sorte de portrait de la création musicale ukrainienne et celui de deux villes : Kiyv et Odessa, si effroyablement martyrisées aujourd’hui.
Quels sont les événements directement liés à ce thème et où se dérouleront-ils ?
Toutes les soirées de ByPass 2022 seront liées, chacune à sa manière, à ce thème : soit par la présentation d’œuvres de compositrices, soit par une référence à une poétesse, soit par la présence au plateau d’un effectif totalement ou en grande partie féminin. L’essentiel des soirées se déroulera au Ring – Scène périphérique à Toulouse, avec également un concert à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines et une soirée à la Cinémathèque.
Quelles sont les différentes formes sous lesquelles se présentent les diverses manifestations de ce forum ? Concerts, vidéos, ateliers, master class…
Fidèles à nos habitudes, nous demeurons très attentifs à révéler la création musicale dans toute la variété de ses expressions, de ses modalités, et dans son entrelacement aux autres formes d’expression artistique : la vidéo, la danse, l’installation, la lumière, la poésie, la scénographie, l’électronique, le cinéma. Chaque soirée incarne de façon singulière et très forte ce souci d’interdisciplinarité, naturellement sans aucune concession à la qualité proprement musicale des œuvres présentées. Notre effort sur la médiation est aussi très important, avec l’atelier Plexus Lab de Georgia Spiropoulos à l’Isdat en direction des musiciens tout autant que des plasticiens, une master class de cette même compositrice au CRR de Toulouse, et un atelier du compositeur (et professeur de composition électroacoustique au CRR) Guillaume Hermen sur l’interprétation sur acousmonium au Ring. Je tiens aussi à rappeler l’investissement très fort d’un important groupe d’étudiants de l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès, et à remercier au passage Mylène Dubiau grâce à qui ce projet a pu prendre une ampleur inédite, projet que nous souhaitons reconduire sur les futures éditions de ByPass.
Quelle est la part des créations parmi les œuvres inscrites au programme ?
Cette part est bien sûr très importante, et nous permet d’accompagner et soutenir de jeunes personnalités émergentes de la création musicale, tout autant que des personnalités internationalement reconnues. Du côté des jeunes compositrices et compositeurs, nous aurons une création d’Anais-Nour Benlachhab (aujourd’hui installée à Berlin) commandée par éOle avec le soutien de la Sacem, des créations d’Élise Bonifas et Ozan-Can Yilmaz qui terminent leur cursus de composition électroacoustique au CRR de Toulouse, et du côté des personnalités internationales nous aurons une création du compositeur américain Gene Coleman (Philadelphie), une création de Michèle Tosi, qui ajoute à ses talents de compositrice celui d’une des plus importantes musicologues et commentatrices de la création musicale, et une création de Bérangère Maximin commandée par éOle et FlashBack. Plusieurs de ces œuvres ont aussi fait l’objet d’une résidence de création dans notre studio.
Quels sont les moments forts de cette édition ?
La musique de notre temps dispose de si peu d’espaces sur les plateaux du spectacle vivant que chaque concert constitue un temps fort, et une rare occasion pour le public de découvrir un pan de cet immense champ de création artistique : cet espace de liberté qui ose encore résister aux diktats de la normalisation industrielle (puisqu’il y a malheureusement une industrie de la musique…), cet espace où le rêve, l’utopie, la poésie et la pensée peuvent encore se livrer aux jeux infinis de l’invention. Une autre réponse est que chaque soirée présente une telle singularité, du concert instrumental au ciné-concert en passant par le spectacle multimédia, le récital avec électronique, le concert acousmatique ou l’installation, qu’il est vraiment hors de portée pour nous autres programmateurs de cette 8e édition de Bypass de valoriser plus particulièrement une proposition. À chacune et chacun de tracer son chemin, au gré de sa fantaisie, de son feeling, de sa curiosité.
Quelles est la place que joue le Ring – Scène périphérique dans l’accueil des manifestations ?
Une place absolument fondamentale, liée à l’identité de cette institution qui émerge avec un projet salutaire dans le paysage culturel toulousain, et à la personnalité de ses directeurs : Christophe Bergon et Samuel Matthieu, eux aussi créateurs, qui ont très spontanément mais aussi très profondément adhéré à la philosophie du forum ByPass, et lui ont généreusement offert leur espace. C’est par conséquent dans les espaces du Ring que se déroulera l’essentiel de ByPass 2022, sans oublier bien sûr la soirée du 30 novembre à Saint-Pierre des Cuisines pour le concert inaugural du nouvel ensemble Toulousain Opus Contemporain et celle du 1er décembre à la Cinémathèque où nous retrouverons la musique de Pierre Henry sur un sommet de tout l’art cinématographique : L’Homme à la caméra de Dziga Vertov – cinéaste ukrainien – tourné à Odessa en 1929. Une autre façon de nous tenir aux côtés des Ukrainiens.
Quel bilan tirez-vous des sept éditions précédentes ?
Comme de toutes nos réalisations précédentes, un bilan sévère dans la mesure où nous prenons conscience des forces qu’il faudrait activer sans retenue pour mobiliser un public nombreux, face aux ressources tant humaines que financières dont peut disposer une petite structure telle que la nôtre. Mais aussi une forme de fierté d’avoir pu tenir le cap au travers de multiples tempêtes, face au désintérêt absolument scandaleux des grandes institutions pour la création musicale et pour les équipes qui tentent de maintenir à son meilleur niveau la dignité d’une cité non seulement inventive et créatrice, mais heureuse de l’être. ByPass demeurera, du moins l’espérons-nous, un projet à réinventer sans cesse, pour un partage toujours plus approfondi avec le public.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Bypass – Forum de la création musicale #8