En 2021, le Festival Cinespaña proposait en compétition fiction le film Ons, réalisé par Alfonso Zarauza, où un couple espère se rapprocher en séjournant sur une île. Quel que soit l’année ou le fuseau horaire, de L’Heure du loup d’Ingmar Bergman à Algunas Bestias de Jorge Riquelme Serrano (avec mon Alfredo Castro), aller sur une île pour se sentir mieux est une aussi bonne idée que de s’éloigner d’un groupe pour descendre seul à la cave dans un film d’horreur. J’aime vraiment tout dans ce film : l’histoire, la travail de la photo et du son (ce son de malade !), la mise en scène, et tous les acteurs sont formidables. Et dans ce casting, j’ai une tendresse particulière pour un rôle casse-gueule, celui de Couto : un personnage sourd, qui a développé son propre langage, incompréhensible pour tout nouveau venu, qui du coup se moque de lui, le taquine, ne le calcule pas. C’est pourtant lui qui voit le mieux les choses, les gens, et qui sera le plus saint d’esprit dans cet île terrain fertile aux divers désordres. Un rôle ainsi écrit est vite risible si l’acteur n’est pas à la hauteur – cela vaut aussi pour un personnage avec un bégaiement, des troubles etc -, et ici, l’acteur s’en sort avec les honneurs. Donc, on garde son nom en mémoire : Diego Anido.
Début 2022, en préparant un entretien avec Monsieur Le Pacte, je regarde leurs futures sorties, et je découvre le projet As Bestas, réalisé par Rodrigo Sorogoyen, ce qui déjà illumine l’année à venir. Un clic pour voir si Antonio de la Torre enchaîne une troisième collaboration. Non. Pas le temps de râler car les noms de Denis Ménochet et Marina Foïs sont là. Par contre, troisième collaboration pour Luis Zahera, youpi ! Et le nom de Diego Anido, re-youpi ! Durant le Festival de Cannes, tout en restant à Toulouse (merci ex-Gaumont Pathé Wilson), on découvre douze films cannois durant un week-end, dont As Bestas qui est selon moi, et tous les marathoniens des fauteuils rouges, le meilleur des douze. Pas besoin d’aller sur une île en Galice pour savoir que les personnages vont en baver : la Galice entière ne veut pas du bien aux visiteurs, encore plus envers ceux qui s’y installent durablement, surtout s’ils sont français. La scène d’ouverture annonce la couleur. Tous les spectateurs ont salué la performance du couple français, pas par chauvinisme, mais parce qu’elle est vraiment méritée. Luis Zahera à l’antipode de son personnage mort de trouille en costard sur le balcon dans El Reino est hallucinant et son visage est méconnaissable. Mais il ne faudrait pas oublier Diego Anido qui, rebelote, retrouve un rôle casse-gueule : l’idiot du village, celui qu’on ne calcule pas, un maillon pourtant pas si faible…
Et donc, au début de l’été, l’édition de Cinespaña approchant, je lance un « si Diego Anido vient pour un film, je suis très partante pour l’interviewer ». Il n’est pas venu accompagner un film, mais mon souhait a quand même été exaucé. Je remercie marraine la bonne fée de Cinespaña d’avoir tout organisé.
As Bestas est toujours à l’affiche dans les salles françaises. La rencontre avec Rodrigo Sorogoyen est à lire ici.
Bonne lecture !
Dans Ons et As Bestas, vous jouez des personnages à la marge, qui peuvent être assimilés à des « idiots du village ». Qu’est-ce qui vous plaît dans ce genre de rôle ?
Dans Ons, mon personnage n’est en soi pas un idiot du village, il est sourd et a grandi dans une île en Galice, il a appris à parler seul. Il n’est pas comme le personnage d’Henry Miles dans Chien de paille de Sam Peckinpah. Et dans As Bestas, mon personnage a un comportement très peu urbain, et déroutant. Mais je comprends ta comparaison. Pour répondre à ta question, ce type de rôle ne m’attire pas particulièrement, mais les réalisateurs pensent peut-être à moi pour interpréter ces personnages-là, ce qui est quelque chose dont il n’y a pas forcément à être fier (rires). Mais par contre, c’est vrai que depuis le début de ma carrière au théâtre, pour des projets audiovisuels, ou mes propres projets, j’ai souvent joué des personnages qui sont toujours proches de la limite entre la folie et la normalité. Avec de tels personnages, entre ces deux mondes, on travaille le silence, le regard un peu vide : on ne sait jamais quelles vont être leurs réactions. Je suis habitué à genre de rôle, et je me sens bien dans ce type de personnage. Après Ons, le réalisateur Alfonso Zarauza a tourné Malencolía, où je joue un personnage qui pour le coup a un défaut un peu plus grand. Mais j’aimerais bien prochainement interpréter un personnage de dragueur (rires).
Comment êtes-vous arrivé sur le film As Bestas ?
C’est une histoire très belle. Je vais faire maintenant un résumé, mais quand on se rencontrera en personne, je te raconterai plus longuement l’histoire. Une directrice de casting m’avait vu justement dans Ons, et m’a proposé, pour As Bestas, un petit rôle de berger (ganadero), avec, a priori, deux jours de tournage. J’ai passé le casting avec Rodrigo Sorogoyen, et j’en étais sorti très content. Je pensais que tout s’était très bien passé, mais après, j’ai vu d’autres acteurs qui ont fait des essais de casting avec lui et qui disent que ça se passe toujours très bien avec lui. Du coup, j’ai pensé que ça ne voulait pas dire grand chose. La veille du tournage, la directrice de casting m’appelle, Je pensais qu’elle allait m’apprendre que le tournage allait être annulé, ou une mauvaise nouvelle. Et elle m’annonce que l’un des personnages principaux ne pouvait plus être joué par l’acteur initialement prévu, et que j’étais leur seconde option. J’étais très surpris. Et donc le lendemain de cet appel, je suis arrivé sur le tournage.
Rodrigo Sorogoyen aime ne pas couper l’action pour avoir des moments de vérité, et tourne ainsi des plans-séquences mémorables. Dans As Bestas, il y a en a deux capitaux avec vous, Luis Zahera et Denis Ménochet : vous trois dans le bar, et vous trois dans la forêt. Pour ces deux plans-séquences, y a-t-il eu beaucoup de répétitions, et de prises ?
Normalement, avant de commencer le tournage, se passent en effet des répétitions. Ce sont des moments où les réalisateurs et les acteurs prennent du temps pour se connaître. Le réalisateur s’assure de là où il peut amener les acteurs « là, pour ce film, on peut aller jusque là ». Pour As Bestas, je n’ai pas pu faire de répétitions avant le tournage, puisque j’ai été informé la veille. Mais j’ai pu faire quelques répétitions pendant le tournage, durant les quelques moments de creux.
Les scènes tournées dans le bar ont demandé beaucoup de répétitions, car il y avait beaucoup d’acteurs, certains professionnels et d’autres non-professionnels. Mais pour la scène du bar dont tu parles, c’est surtout Luis Zahera et Denis Ménochet qui portent le poids de ce plan-séquence. Cela n’a donc pas été nécessaire pour moi de faire des répétitions car eux deux l’avaient déjà travaillé. Je n’avais pas beaucoup de texte. Je devais savoir comment me placer, comment regarder, savoir m’inclure dans l’atmosphère du bar. Avec mes expériences précédentes, j’ai pu faire cette scène avec une certaine facilité. Denis Ménochet est à droite, Luis à gauche et moi entre eux deux, nous avons fait une première prise, et Rodrigo Sorogoyen a dit « faisons-en une autre, parce que ça me paraît tellement incroyable qu’elle soit bonne ! ». Il n’y a donc eu que deux prises, avec une première que Rodrigo trouvait déjà incroyable, ce sont ses mots.
Le plan-séquence dans la forêt, nous ne l’avons pas répété avant le tournage. Cela arrive sur des films, – je l’ai déjà vécu -, que le réalisateur et les acteurs décident ne de pas répéter certaines scènes pour conserver la fraîcheur et la force du moment, ou pour des réticences physiques, ou même par paresse – je l’ai aussi vu par le passé. Il y a différentes approches qui dépendent du tournage, des acteurs, des réalisateurs. Concernant Denis Ménochet, il a une longue trajectoire, aussi bien en France qu’aux États-Unis. J’ai eu la très grande chance d’avoir une très bonne connexion avec lui en très peu de temps, et j’ai tout de suite compris que lui, il aime conserver cette force qu’on a en arrivant directement sur le tournage, sans être passé par les répétitions. Moi, j’ai plutôt besoin de beaucoup de répétitions. J’aime beaucoup ces moments-là car ça nous permet d’approfondir les personnages, et on découvre plein de choses. Sans les répétitions, on passe à côté de ces découvertes. Luis Zahéra est quant à lui entre nos deux positions. On peut dire que c’est un acteur tout terrain : il fait tout.
Pour la scène avec nous trois dans la forêt, elle est physique, et nous les acteurs, nous ne sommes pas des athlètes : nous n’avons pas pu du tout la répéter les jours précédents le tournage, pour éviter des lésions corporelles : les feuilles au sol étaient très glissantes, le terrain pas forcément plat… Le jour du tournage, une certaine tension était palpable car beaucoup de membres de l’équipe avaient dû faire le déplacement pour être présents. Il y avait un budget assez grand pour mettre en place cette scène, Il faisait très froid.
La séquence de la scène de la forêt est composée, je crois, de trois plans. Le premier, on a fait trois prises ; le second en deux prises. Pour le troisième plan, Rodrigo a coupé après la première prise, et devant toute l’équipe, – il y avait 75 personnes -, il s’est avancé vers nous, et a dit « je pense qu’elle est bonne, je vais quand même vérifier » et elle était bonne. Donc le troisième plan n’a nécessité qu’une seule prise. Le public ressent qu’elle est réelle : la méthodologie qu’on a suivie était donc la bonne.
Le plus dur pour vous sur ce film ?
C’était personnel, mais ça a un lien avec le professionnel : comment composer le personnage ? car je devais faire le lien entre toutes les expériences professionnelles que j’avais eues avant, et cette nouvelle expérience avec ce film à vocation internationale, avec une grosse équipe. Il fallait atteindre ce niveau d’excellence qu’exigent tous les films de Rodrigo Sorogoyen. Et aussi, comment allais-je m’en sortir après cette expérience ?
Et donc, comment allez-vous aujourd’hui ?
As Bestas vient juste d’être projeté au Festival de San-Sébastien. Mais depuis sa projection au Festival de Cannes, et sa sortie en France, toute l’équipe du film, moi y compris, sommes surpris, car le film a été très très bien reçu. Cette réponse a été gratifiante plutôt que surprenante. Les critiques à San Sébastien sont elles aussi très bonnes, mais le film n’est pas encore sorti en Espagne. Ce nouveau rythme est un peu bizarre pour moi : on reçoit les retours de ce travail un an après l’avoir fait, puisque le tournage a commencé le 9 ou le 10 septembre et il a fini fin novembre 2021. On a tourné durant quatre semaines à partir de septembre pour faire les scènes du film qui se déroulent en été. Puis il y a eu une pause de quatre semaines, et, on a tourné quatre semaines en novembre, où nous avons eu la neige, pour avoir les scènes qui se déroulent en hiver.
Ce dont vous êtes le plus fier ?
Ce qui me fait sentir le plus fier avec As Bestas est le fait d’avoir rejoint le projet, presque sans rien en savoir, et d’avoir réussi à atteindre les exigences que le personnage requérait. Je ne parle pas de celles de l’équipe du film, du tournages ou les miennes. Je pense avoir réussi à faire ce que le personnage demandait, avec à la fois une composante physique et une composante mentale. Je suis fier comme si je parlais de quelqu’un différent de moi, comme je parlerais d’un fils.
Un mots sur tes projets et Malencolía ?
Le film Malencolía d’Alfonso Zarauza a un titre jeu de mots avec « mélancolie », qui est un concept développé par le poète galicien Álvaro Cunqueiro. Il a beaucoup de similitudes avec As Bestas : basés sur des faits qui se sont déroulés dans un milieu rural, autour de la folie. Et moi, à nouveau, bien évidemment, je joue le personnage obscure, qui a un petit défaut (rires). Quand Alfonso m’a appelé pour me proposer le rôle, il m’a dit « j’ai un petit rôle pour toi, quelqu’un qui n’a pas beaucoup de cerveau… Je suis désolé… mais je te promets que la scène où est le personnage est merveilleuse, et c’est la meilleure scène du film. » J’ai pensé qu’il devait dire ça à tout le monde, il m’a que non, et il m’a promis que dans son futur film, je jouerai un beau mec qui parlera beaucoup. J’ai donc joué dans les deux scènes de Malencolía, qui m’ont permis d’être créatif et Alfonso a accepté plusieurs de mes propositions. Pour ce rôle, j’ai eu le Prix de l’Audiovisuel galicien pour le meilleur rôle secondaire, et j’en suis très très content.
J’ai tourné une série en Galice pour Amazon Prime, qui s’intitule Operación Marea Negra, qui parlent de narcotrafic qui arrive en Galice.
Je vais tourner avec la réalisatrice galicienne, Jaione Camborda (NDC : le film s’appelle pour le moment O Corno). J’habite en Galice, et j’ai deux autres projets de cinéma qui vont y être tournés, mais je ne peux pas encore en parler.
Je fais toujours du théâtre contemporain multidisciplinaire et ma pièce El Dios del Pop, où je suis auteur, metteur en scène et acteur, va se jouer à Madrid, Barcelone, Valence, Estrémadure, Bilbao, et en Galice. La tournée va se terminer en décembre.
Festival Cinespaña se poursuit en région tout le mois d’octobre.
Muchísimas gracias à Alba Paz pour avoir assuré les traductions, et à Diego Anido pour sa disponibilité et sa gentillesse !
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