Bouli Lanners est le prophète de la 11e édition du Fifigrot qui se tient du 19 au 25 septembre. Traditionnellement, le Fifigrot proposait chaque année un film sur le cinéma. La tradition s’est parfois perdue, mais là, BIM ! ne loupez pas Mad in Belgium d’Yves Montmayeur, avec tous les cinéastes belges que le Fifigrot a toujours accueillis et mis en avant : Jean-Jacques Rousseau, Noël Godin, Vincent Tavier, Stéphane Aubier et Vincent Patar, Bouli Lanners, Fabrice du Welz…
ou que le Festival Extrême Cinéma, le grand cousin du Fifigrot, a montré, comme Vase de Noces de Thierry Zéno dont m’avait parlé Franck Lubet (à 3’19)
Bouli Lanners est aussi dans l’excellent film La Nuit du 12 (qui n’est pas grolandais), réalisé par Dominik Moll, avec Bastien Bouillon, toujours à l’affiche depuis deux mois !
Voici les films que le prophète Saint Bouli 1er aime.
Le film qui vous a causé votre premier choc cinématographique
Mon Oncle de Tati, je devais avoir 15-16 ans, au collège. J’habitais à la campagne où il n’y avait pas de cinéma, on n’y allait donc jamais. Ma culture cinématographique était La Grande Vadrouille, La Septième compagnie au clair de lune et des westerns. À l’époque, on passait encore des John Ford mais c’étaient des films grands publics. Et puis, tous les trois mois un gars venait au collège avec un projecteur 16 et projetait un film. On avait donc ce cinéma avec des grands classiques. Un jour il y a eu une erreur et il a projeté Mon oncle. Tout le monde râlait à cause de l’erreur, et moi ça m’a scotché. Comme je viens de la région germanophone, on regardait les chaînes allemandes et ils passaient les Wim Wenders dont La Lettre écarlate. Il y a eu une rétrospective et bien qu’on ne parlait pas allemand on regardait et je me souviens m’être dit « C’est quoi ce truc-là ? » ça m’a travaillé. Il a fallu que j’arrive en ville pour aller au cinéma et pouvoir découvrir tout ce que j’avais raté pendant 18 ans.
Le film qui vous a fait dire « je veux être réalisateur » et « je veux être acteur »
Aucun. Je ne voulais pas devenir acteur, ni réalisateur. C’est venu par hasard. Je voulais être peintre, être le Anselm Kiefer d’aujourd’hui, j’ai raté ma vie (rires). Comme j’ai été viré des Beaux Arts parce que je bossais déjà et que je faisais le con, j’ai travaillé sur les plateaux de cinéma pendant des années en faisant tous les métiers. À 19 ans, j’ai été régisseur, accessoiriste de plateau, j’ai même eu une cantine pendant un an et demi, j’ai été artificier sur des films de guerre. Petit à petit, il fallait régulièrement un petit gros dans une émission télé qui s’appelait Snuls. C’est là où j’ai commencé à jouer, par cabotinage. Les filles me reconnaissaient dans les cafés (rires). Il n’y avait donc pas d’envie, c’est vraiment venu par hasard et je me suis rendu compte que j’aimais ça.
Et pour la mise en scène, c’est encore plus périphérique. J’organisais le festival de Kannes. On affrétait un bateau de tourisme fluvial de Liège, il faisait la liaison Liège-Kannes, ce qui fait une vingtaine de kilomètres. La programmation était super drôle, on passait des courts-métrages ratés. Il manquait des films. Il a donc fallu que je fasse des films ratés, qui étaient des films de collage. C’était l’époque où tout le monde faisait ses transferts sur VHS. J’achetais des films de famille aux puces, j’en ai une collection énorme. Je faisais un montage avec une voix dessus, même pas de tournage, aucune notion de grammaire cinématographique, champ contre-champ. Ça me faisait tellement rire de voir les salles rigoler devant ces films que j’en ai fait un où j’ai vraiment filmé avec une caméra super 8. J’ai alors rencontré celui qui allait devenir mon producteur, qui était encore stagiaire. Il a vu les rushes et a dit qu’il fallait trouver un financement et le gonfler en 35. Le film a été en compétition à Clermont-Ferrand, a eu un prix et a fait le tour du monde. Lui est devenu producteur et je suis devenu réalisateur. On travaille toujours ensemble. C’est presque un conte de fées !
Le film que vous offrez le plus
Dersou Ouzala, je l’ai encore programmé à la Cinémathèque de Bruxelles parce que j’adore ce film, et c’est à voir en salles.
Le film que vous ne vous lassez pas de revoir
Barry Lyndon, à chaque fois je me laisse avoir. J’adore ce film, surtout la première partie avant le déclin.
Le film qui vous fait dire « il devrait être obligatoire au Bac ! »
Les 400 coups.
Le film qui vous fait dire « c’est mon histoire, ça ! » (un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile)
Délivrance.
Le film dont vous avez repoussé le visionnage à cause d’un gros préjugé et qui vous fait dire « les préjugés, c’est tout pourri »
La Isla Mínima. Les films espagnols me saoulent un peu : les femmes font trop l’amour, les talons sont trop hauts, il y a trop de couleurs. J’associe systématiquement le cinéma espagnol à ça, alors La Isla Mínima je me suis dit que ça me casserait les couilles. Je l’ai vu il y a un mois et je me suis pris une claque !
Le film dont vos amis disent « tu regardes ça, toi ? »
Les Vieux de la vieille ! Je l’ai vu en boucle, je connais la moitié des dialogues, j’adore ce film et tout le monde le trouve vieillot. C’est un vrai road-movie, il est super, je veux vieillir comme eux !
Le film que vous n’avez jamais rendu à son propriétaire… d’ailleurs, il peut toujours courir pour le récupérer
Je ne vais pas le dire, sinon il va le réclamer (rires). Je n’ai jamais rendu Le Retour d’Andrei Zviaguintsev. J’aime trop ce film, c’est d’une épure et d’une élégance ! Ça me fait chier de le rendre.
Le film qui vous fait voyager et qui vous a décidé à aller dans les lieux décrits
J’ai fait un pèlerinage sur Les Vieux de la vieille en Vendée, on a essayé de retrouver tout Gouyette. C’est à La Chaize-Le-Vicomte donc j’ai vraiment galéré pour trouver tous les décors mais j’ai réussi pour quelques-uns. Mais la Vendée en novembre n’est pas très sexy. On a retrouvé le vrai heaume de Gouyette, la rue à la fin qu’ils descendent pendant un mariage.
Le film qui vous enracine
Déjà s’envole la fleur maigre de Paul Meyer, tourné fin des années 50 – début des années 60 dans les charbonnages belges, c’était une commande du directeur. Il n’y a pas eu de cinéma pendant toutes ces années en Belgique : il n’y a pas eu de film entre 1939 et 1945 parce que les Allemands ont interdit les productions, puis entre 45 et 67, le plan Marshall qui était là pour relancer l’économie européenne a interdit à la Belgique de produire des films, c’est-à-dire que la moitié de l’histoire du cinéma belge est amputée. Mais il y eut un réalisateur, Paul Meyer, qui a fait un film de commande qui est l’héritage d’Henri Storck. C’est du documentaire-fiction hyper poétique qui dénonce les conditions ouvrières. C’est d’une beauté ! Paul Meyer a dû rembourser le film, les charbonnages se sont retournés contre lui. Il a payé toute sa vie et il n’a fait que ce film dans sa vie.
Ce sont mes décors, c’est notre enfance.
Le film qui devrait être remboursé par la sécurité sociale
Je dirais les films des Grolandais. Je dirais Mammuth !
Le film qui ne vous quitte pas
Au loin s’en vont les nuages de Kaurismäki.
Le film dont vous pouvez réciter des dialogues par cœur (non… un film dont vous êtes le réalisateur serait une réponse trop facile)
Les Vieux de la vieille.
Une preuve ?
« Si vous y alliez aussi vite que j’vous emmerde, pour une fois, vous serez en avance sur l’horaire. » « Peau de pêche en dehors, peau de hareng en dedans ! » C’était Audiard !
Le film qui est votre dernier coup de cœur
Réponse janvier 2016 : La Isla Mínima.
Réponse septembre 2022 : la série Kléo.
Toute la programmation est consultable et feuilletable sur le lien en dessous, et sur le site fifigrot.com. Banzaï !