CRITIQUE, concert. SALON DE PROVENCE, le 2 août 2022. Sérénade d’août. Franck BRALEY. Éric LESAGE. Paul MEYER. Emmanuel PAHUD.
Les délicieuses surprises des nuits de Provence
Le Festival International de Musique de Chambre de Salon de Provence propose toujours des surprises et ce soir elles ont été particulièrement savoureuses. « Les meilleurs solistes au monde sont à Salon » est leur devise et leur pari est parfaitement tenu ce soir. La confiance faite au nom des solistes m’a permis de découvrir quatre œuvres incroyablement belles et passionnantes. Franck Braley est un pianiste devenu bien trop rare. Après avoir joué partout en France, il est devenu bien plus discret. Pourtant quel artiste sidérant ! La présence autant que la technique parfaite nous enchantent chez ce musicien généreux. Sa gourmandise en entrant en scène déjà nous stimule. Il y a deux pianos tête-bêche pour ces trois valses de Chabrier, face à face Eric Lesage à gauche et Franck Braley à droite. L’humour ravageur, les nuances très creusées, le rubato très alangui, les accélérations fulgurantes et les mines des deux pianistes prouvent autant le plaisir qu’ils partagent que la beauté de ces trois courtes pièces absolument géniales. Mélodies magnifiques, rythmes surprenants et harmonies raffinées, tout dans la partition de Chabrier est de grande inspiration. La réalisation de nos deux compères est ahurissante de naturel, de chic et de coquinerie. Une véritable euphorie part de scène pour gagner le public. Retrouver Franck Braley est un pur bonheur.
Le trio de César Franck est également une œuvre géniale incroyablement peu connue. Le début pianissimo au piano est intriguant à souhait. L’entrée du violoncelle de Zvi Plesser puis du violon de Misako Akama toute en discrétion stimule l’écoute et petit à petit un long crescendo s’ouvre et s’anime, le jeu devient de plus en plus virtuose et nos trois complices tissent un univers de toute beauté qui devient saisissant d’émotions. Ce premier trio de César Franck est absolument merveilleux, plein de surprises et d’audaces, de mystère et de feu. Franck Braley est fascinant d’écoute et d’audace dans son jeu. Le violon de Misako Akama a toutes les qualités de passion et de beauté sonores attendues et le violoncelle de Zvi Plesser sait toujours soutenir le chant, relancer la vivacité rythmique et ajouter une touche d’humour. Un vrai moment de bonheur à la puissance expressive très contagieuse. Le public exulte et fait un triomphe aux artistes.
Le calme de l’entracte permet de reprendre ses esprits après un tel choc de beauté. Les surprises se poursuivent avec une page très intrigante de Ligeti. « Old Hungarian Ballroom Dances ». Cette partition de première jeunesse est originale par le choix de l’instrumentation, flûte, clarinette, violon, violoncelle et contrebasse. Il y a de la révolte tapie dans ces pages très séduisantes car elles sont écrites en ennoblissant les musiques populaires au moment où le parti communiste ne voulait que des cantates à la gloire du régime. György Ligeti ose donc avec ce travail d’élève braver les censeurs. La joie qui se dégage de cette partition, l’humour jusque dans les effets de certains instruments, tout nous fait oublier les dangers alors encourus par le jeune compositeur. Une vraie personnalité se dévoile même si son style n’est pas encore mature. Ces Danses anciennes sont irrésistibles de gaîeté et les interprètes sont tous ravis de faire renaître la joie de ces courtes pièces. L’installation des 11 musiciens pour la grande sérénade de Dvorak prend le temps nécessaire et à nouveau un bien beau voyage nous est proposé par les interprètes tous en osmose. Fête de la musique partagée, chef d’œuvre à l’écriture bien charpentée qui donne à chacun des moments pour briller tout en favorisant des associations de timbres rares. La pulsation avance de manière irrésistible. Les chants s’élèvent, les cors donnent une vraie profondeur et la contrebasse assied la pièce dans le sol dans un appui solide. Le bonheur est complet. Le public fait une belle ovation à cette fine équipe. Ce soir un vrai bonheur a parcouru l’espace, par la découverte d’œuvres rares et belles et la confiance totalement renouvelée pour des artistes attachants et merveilleusement doués.
A Salon le bonheur si je veux !
CRITIQUE, concert. SALON DE PROVENCE, le 2 août 2022. Cours du château de l’EMPERI. Sérénade d‘août. Emmanuel Chabrier (1841-1894) : Trois valses romantiques ; César Franck (1822-1890) : Trio opus 1 n°1 en fa dièse mineur ; György Ligeti (1923-2006) : Old Hungarian Ballroom Dances ; Anton Dvorak(1841-1904) : Grande sérénade en ré mineur op.44,B.77 ; Franck Braley, Éric Lesage, piano ; Misako Akama, Liya Petrova, Maja Avramovic, violon ; Zvi Plesser, violoncelle ; Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, Carlos Ferreira, clarinettes ; Claire Bagot, François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, Guillaume Brun, basson ; Pauline Chacon, Benoit De Barsony, Jimmy Charitas, cor ; Olivier Thiery, contrebasse. Photos : H.S droits réservés
Hubert Stoecklin