Reprise au Théâtre Garonne de « Là », premier volet d’un diptyque de la compagnie Baro d’Evel.
Compagnie fondée par les artistes circassiens Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, Baro d’Evel est depuis près d’une décennie installée dans le Volvestre, au sud de Toulouse. Fruit d’une écriture élaborée et précise mais «prête à improviser à chaque instant», leur travail cherche à provoquer la rencontre du mouvement, de l’acrobatie, de la voix, de la musique, de la matière et des animaux. Baro d’Evel s’attache ainsi à concevoir «des spectacles qui emmènent le spectateur dans un labyrinthe intérieur, dans un rêve éveillé».
«Pièce en blanc et noir pour deux humains et un corbeau pie» reprise aujourd’hui au Théâtre Garonne, « Là » est le premier volet d’un diptyque signé par cette compagnie atypique ; « Falaise », le second volet qui a été présenté la saison dernière au Théâtre de la Cité, est une pièce pour huit interprètes. On pourrait imaginer que ces deux spectacles s’attachent à décrire chacun ce qu’il se passe des deux côtés d’un mur. Des personnages (Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias dans « Là ») surgissent, clandestins dans un monde peu accueillant, réfugiés en transit, ils franchissent le mur par la brèche ou par l’escalade.
D’une troublante originalité, d’une simplicité déroutante, la poésie de Baro d’Evel est, malgré la solitude qu’elle exhibe dans un décor aride, d’une grande douceur. Chorégraphies du passage et de la rencontre, chants mélancoliques de l’éphémère, étranges traversées du noir et blanc, huis-clos peuplés d’animaux (un corbeau pie dans « Là », un cheval blanc et des pigeons dans « Falaise »), les deux versants du diptyque mettent les corps à l’épreuve d’un obstacle.
Une curieuse porosité se déploie alors entre les interprètes et la scénographie (une façade horizontale dans « Là », les hauts murs d’un château dans « Falaise »). Ici, l’enjeu théâtral découle de cette porosité, lorsque les corps agrippent l’architecture qui délimite l’espace, l’attaquent, la travaillent et s’y frottent pour la transformer, pour transfigurer un monde trop austère.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros