Après l’arrêt du festival Toulouse d’été et le départ à la retraite de son fondateur, Alain Lacroix, la ville rose était orpheline d’un grand rendez-vous musical estival. Il fallait créer quelque chose, d’autant plus que la municipalité manifeste depuis quelques années sa volonté de présenter aux Toulousains et aux touristes une saison culturelle couvrant toute la période des vacances d’été. La proposition du mandoliniste Julien Martineau d’organiser un nouveau festival avec un programme quotidien de concerts en plein air « sous les étoiles » est ainsi tombée à point nommé. Le Festival de Toulouse va donc connaître sa 1ère édition du 8 au 24 juillet. La programmation est prestigieuse (avec une kyrielle de grands noms de la scène nationale), éclectique, surprenante, et nourrie de tous les genres musicaux, du classique à l’électro en passant par le jazz, le flamenco, la comédie musicale et la chanson, parfois mariés à d’autres disciplines artistiques. La preuve en une vingtaine d’événements.
Grande soirée le 16 juillet à la Prairie des Filtres
Placée à mi-festival et point d’orgue de cette 1ère édition, la soirée du 16 juillet à la Prairie des Filtres se divise en trois concerts successifs. Le programme et les artistes invités à cette occasion constituent un bon condensé de l’esprit que Julien Martineau a voulu donner à la manifestation. Le pianiste et compositeur Thomas Valverde va ouvrir le bal en solo à 20h, au milieu de ses claviers (pianos, synthétiseurs) et de divers éléments électroniques pour immerger le public dans le son et l’univers si particuliers qui font sa marque de fabrique, mêlant transe, onirisme et introspection.
Moment central de la soirée, le grand concert pop-symphonique de Julien Clerc et de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse à 21h30 s’annonce déjà comme l’événement du festival. Yvan Cassar a reçu carte blanche pour ordonner cette partie du programme à laquelle, outre la présence exceptionnelle de Julien Clerc aux côtés de l’ONCT dirigé par le chef allemand Felix Mildenberger, participent aussi les chanteurs Natalie Dessay, Neima Naouri et Kévin Amiel, la pianiste Vanessa Benelli Mosell, le violoniste Théotime Langlois de Swarte et le guitariste Philippe Mouratoglou. Une pluie de stars sous les étoiles.
En troisième partie et en conclusion de cette soirée de prestige, Kavinsky, un des grands noms de la scène électro actuelle, va s’installer sur le plateau de la Prairie des Filtres pour faire découvrir au public toulousain les morceaux de son deuxième album, tout juste paru, et jouer quelques-uns de ses tubes dont les déjà mythiques NightCall et Roadgamed.
Le Jardin Raymond VI, écrin du festival
Situé dans le quartier Saint-Cyprien, à proximité de la station de métro du même nom et du musée des Abattoirs, et tout près de la rive gauche de la Garonne, le Jardin Raymond VI est le théâtre de la quasi totalité des soirées du festival (et même de matinées, les dimanches). Pouvant accueillir dans les meilleures conditions près de 900 personnes, ce bel écrin de verdure offre un décor idéal aux « concerts sous les étoiles » dont la plupart sont programmés à 21h.
Une programmation inclassable
Difficile de définir la programmation du Festival de Toulouse. Si presque tous les genres musicaux y sont représentés, d’une soirée à l’autre, avec une prédominance des musiciens classiques ou de formation classique, de nombreuses propositions croisent la musique avec d’autres formes artistiques. Un choix illustré par la soirée d’ouverture du 8 juillet où sont réunis le pianiste Simon Ghraichy et la Toulousaine Dorothée Gilbert, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, pour un spectacle tout de poésie et de grâce avec deux grands artistes menant une carrière internationale.
Le jazz est là, le gospel, le blues, le flamenco et le tango aussi
Un Hommage à Aretha Franklin est rendu le 9 juillet par le Natural Woman Band, groupe formé par la chanteuse Tatiana Gronti qui s’est entourée de choristes de gospel et de musiciens passionnés par le blues et la soul des années 1960/1970, autour d’un répertoire composé des grands succès de la chanteuse américaine.
Toulouse, ville d’accueil des Républicains espagnols et de leurs descendants pendant et après la Retirada, est une des capitales françaises du flamenco. Nul ne s’étonnera donc de trouver dans la programmation le concert Flamenco Nuevo donné le soir du 11 juillet par la chanteuse Paloma Pradal, accompagnée par la guitare flamenca de Samuelito et la guitare manouche d’Antoine Boyer. Ambiance andalouse sur les bords de Garonne.
Hommage à Astor Piazzolla le 18 juillet par le détonnant quintette que forment cinq des plus brillants talents de la jeune scène musicale française actuelle : Félicien Brut (accordéon), Jordan Victoria (violon), Thomas Enhco (piano), Édouard Macarez (contrebasse) et Thibaut Garcia (guitare). Le programme reprend quelques-unes des plus belles compositions du musicien argentin, des Quatre Saisons du Port de Buenos Aires à Escualo, en passant par la Suite de l’Ange auxquelles une composition personnelle de Thomas Enhco a été ajoutée.
Un grand du jazz est célébré lors de la soirée du 19 juillet, the « King of swing » Benny Goodman. À la fois compositeur et chef d’orchestre, Goodman fit toute sa carrière entre musique classique et jazz. En rassemblant des œuvres classiques créées par le Roi du swing et certains standards légendaires, le quartet formé par le clarinettiste Pierre Génisson, le pianiste Bruno Fontaine, le contrebassiste Benoît Dunoyer de Segonzac et le batteur Fabrice Moreau rend lui aussi un très bel hommage à une figure emblématique de la musique nord-américaine.
Le 7e art à l’honneur : ciné-concerts et musiques de films
Le cinéma a aussi sa place au Festival de Toulouse avec un ciné-concert dès le 10 juillet à 22h et la projection du film Le Monde perdu d’Harry O. Hoyt (1925), adaptation du célèbre roman éponyme d’Arthur Conan Doyle, accompagné au piano par Jean-Baptiste Doulcet.
Le 7e art est de nouveau à l’honneur à travers des musiques de films le 22 juillet grâce au Grissini Project, groupe réunissant Maja Samuelsson (chant), Johan Veron (violon), Valentin Catil (violoncelle) et Romain Vaudé (piano). Musique classique et pop culture se rencontrent lors de cette soirée consacrée aux bandes originales des films de Miyazaki composées par Joe Hisaishi. Au programme, les musiques des plus belles réussites du célèbre réalisateur japonais de films d’animation : Le Château dans le ciel, Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Le Château Ambulant, et beaucoup d’autres encore.
Second ciné-concert le 23 juillet à 22h au Jardin Raymond VI pour la projection d’un des plus grands chefs d’oeuvre du cinéma muet, L’Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau (1927). Le compositeur et improvisateur Karol Beffa accompagne au piano ce film magistral, où la puissance expressive du muet illustre le chaos des sentiments sur fond de drame conjugal.
Pour la soirée de clôture du festival, le 24 juillet, un des maîtres du genre « musique de film » est honoré en la personne d’Ennio Morricone. Le programme Il était une fois Ennio Morricone a été conçu par le violoncelliste Edgar Moreau (soliste instrumental de l’année aux Victoire de la musique classique 2015), la chanteuse Jesse Mimeran et le pianiste Aurèle Marthan. Un trio de jeunes musiciens de grand talent au service des nombreux classiques composés par le célèbre maestro italien.
De l’insolite, de l’inattendu… et du baroque
Proposition singulière le 12 juillet, mais de circonstance s’agissant d’un concert donné dans un jardin, avec la Symphonie des Oiseaux de Jean Boucault et Johnny Rasse. Les incroyables chanteurs d’oiseaux, capables de reproduire un registre de milliers de sonorités de volatiles des cinq continents, se sont associés à la violoniste Geneviève Laurenceau (ex-supersoliste de l’ONCT) et à la pianiste Lidija Bizjak pour concevoir un spectacle musical unissant le répertoire classique et l’interprétation des chants d’oiseaux du monde.
Le 13 juillet, le violoniste Gilles Apap, adoubé en son temps par Yehudi Menuhin, en duo avec le pianiste Guillaume Hersperger, présente un aperçu de ses interprétations virtuoses des grandes œuvres du répertoire classique (Bach, Mozart, Ravel, Enesco), qu’il aime mêler aux musiques du monde comme le fiddle irlandais, la musique tzigane, l’American Old-Time ou la musique traditionnelle de l’Inde.
Soirée Broadway le 15 juillet où le comédien Lambert Wilson va rappeler au public toulousain qu’il est aussi un excellent chanteur. Avec le pianiste Bruno Fontaine, il propose un programme où cohabitent les plus belles pages des grands noms de la comédie musicale américaine et celles de Prévert et Kosma, Brel, Kurt Weill, Stephen Sondheim, Leonard Bernstein et autres surprises.
La musique baroque manquait dans cette programmation, oubli réparé lors du concert du 21 juillet dédié aux frères François et Louis Francoeur par les jeunes et très talentueux Théotime Langlois de Swarte (violon) et Justin Taylor (clavecin). Un programme pour faire voyager l’auditeur dans la France du XVIIIe siècle, à la redécouverte de pièces composées par deux musiciens tombés dans l’oubli, contemporains de Jean-Philippe Rameau.
Des contes pour les petits et les grands
Les matinées des dimanches sont dédiées à des contes musicaux destinés au jeune et au moins jeune public. Premier rendez-vous dimanche 10 juillet à 11h avec La mandoline de Lviv, jolie histoire en musique imaginée par le compositeur toulousain Thierry Huillet sur un texte de son épouse, la violoniste Clara Cernat, avec la comédienne Julie Depardieu en récitante. Trois artistes auxquels le directeur du festival, Julien Martineau lui-même, se joint avec sa mandoline. Nous découvrons dans cette création mondiale les secrets d’une vieille demeure en Ukraine, les vies des hommes et les destins des empires, de Gengis Khan aux soubresauts du XXIe siècle.
Toujours dans ce registre du conte, dimanche 17 juillet à 11h, une version du Carnaval des animaux est présentée par le duo Játékok (duo de pianos) et l’humoriste Alex Vizorek qui a réécrit le texte du génial bestiaire musical de Camille Saint-Saëns. Notons que le duo Jatekók va jouer également la Danse macabre, autre pièce fameuse de Saint-Saëns, dans sa version pour deux pianos.
Un conte musical ouvre également la dernière journée du festival, dimanche 24 juillet à 11h. Le roi qui n’aimait pas la musique, composé par Karol Beffa sur un texte de Mathieu Laine, narre les états d’âme d’un monarque au caractère jaloux, régnant sur une micro-société de quatre musiciens à qui il interdit peu à peu de jouer de leur instrument, jusqu’à les contraindre à un silence total. Le comédien Thibault de Montalembert y officie en tant que récitant, aux côtés d’Amaury Viduvier (clarinette), Zhang Zhang (violon), Tristan Cornut (violoncelle) et Karol Beffa (piano).
Du côté de chez Nougaro
Le soir du 17 juillet, un vibrant hommage est rendu à Claude Nougaro dans sa ville natale par les chanteuses Natalie Dessay et Neima Naouri (mère et fille), accompagnées par le contrebassiste Benoît Dunoyer de Segonzac, le trompettiste Sylvain Gontard, le violoniste Daniel Rossignol, le Quatuor Kaléïdo et le pianiste et compositeur Yvan Cassar, arrangeur d’un programme des chansons que Michel Legrand a composées pour l’auteur de l’immortel Ô Toulouse.
Zygel, l’ami fidèle
Jean-François Zygel est un habitué de longue date des salles de concerts toulousaines (Halle aux Grains, Saint-Pierre-des-Cuisines, salle bleue de l’espace Croix-Baragnon). Le 19 juillet à 18h à la Cinémathèque, le pianiste et compositeur offre aux Toulousains un programme Mon Toulouse à moi où il dessine un portrait musical à la fois drôle et émouvant de sa ville de cœur.
L’ami Zygel est encore à l’affiche le lendemain en soirée au Jardin Raymond VI, le 20 juillet, pour un duo et un duel d’improvisation avec André Manoukian, autre pianiste rendu célèbre auprès du grand public par ses émissions de télévision. On a hâte d’assister à cette rencontre au sommet entre deux improvisateurs, l’un venu du jazz, l’autre du classique, dialogue musical où se croisent Bach, Beethoven, Bill Evans, Boris Vian, Mozart ou Duke Ellington.
La naissance d’un festival est toujours un moment particulier, fait de curiosité, d’excitation mais aussi d’inquiétude, à une époque où beaucoup d’événements culturels sont fragilisés sur le plan financier et confrontés à l’épineuse question du renouvellement du public. Par la qualité et la variété de sa programmation ouverte à toutes les générations, une politique tarifaire raisonnable et l’ambiance conviviale des soirées qu’il propose, le Festival de Toulouse a réuni tous les ingrédients nécessaires à la réussite.
À vous de transformer l’essai !