La dernière rencontre de la saison 2021-2022 de Toulouse Guitare a attiré, ce 20 mai dernier, dans la belle église Saint-Jérôme qui célèbre les quatre cents ans de sa construction, un public chaleureux et visiblement comblé par une double et remarquable prestation. Ce soir-là, la grande guitariste marseillaise Gaëlle Solal a maîtrisé un répertoire musical d’une originale richesse d’inspiration, précédée par la prestation d’un jeune artiste au talent déjà accompli, Rafaël Léger, dont il serait sage de retenir le nom.
L’association Toulouse Guitare, créée en juillet 2017 autour de Thibaut Garcia, a vraiment trouvé sa place parmi les nombreuses et belles saisons musicales qui animent la riche vie culturelle toulousaine. Outre la qualité des invités prestigieux de ces soirées conviviales, l’initiative consistant à offrir à un ou une jeune guitariste la possibilité d’animer la première partie de chaque concert a définitivement conquis le public. Ce soir-là, présenté par Thibaut Garcia lui-même, nous avons eu le plaisir de découvrir le talent de Rafaël Léger, étudiant au conservatoire à rayonnement régional de Toulouse dans la classe de Laurent Vivet.
Du haut de ses dix-huit ans, ce jeune musicien surprend par la maturité de son talent. Il faut insister sur la nature « musicale » de sa prestation. Rafaël Léger fait de la musique avec son instrument et non l’inverse. Son jeu raffiné impressionne dès les premières notes du Prélude de la Suite Compostelana du compositeur catalan Federico Mompou, égrené avec une touchante délicatesse. Le jeune interprète mêle nostalgie et ardeur dans la Fantaisie hongroise de l’Autrichien Johann Kaspar Mertz puis développe un langage d’éloquence dans le Prélude et l’Allemande de Silvius Leopold Weiss, compatriote, contemporain et parfois rival de Johann Sebastian Bach. Le grand style du Cantor de Leipzig n’est pas très éloigné de ces deux pièces enchaînées. Enfin, Rafaël Léger réunit les dieux de la danse et du chant dans le Zapateado de Regino Sáinz de la Maza. Ardemment applaudi, le jeune guitariste a visiblement trouvé sa voie.
La venue à Toulouse de Gaëlle Solal est une grande première. Comme elle le confie elle-même avec chaleur et décontraction, il s’agit de sa première visite à Toulouse. Gageons que ce ne sera pas la dernière ! Cette artiste imaginative a conçu pour cette rencontre un programme musical qui prend la forme d’un voyage. L’esprit général de cette déambulation au sein d’un répertoire ouvert et varié s’avère fortement lié au Brésil. Tous les compositeurs abordés ce soir-là appartiennent à une lignée musicale qui doit beaucoup au grand Heitor Villa-Lobos. Sa Mazurka-Choro et son célèbre Choro n° 1 ouvrent cette belle prestation sur ces couleurs immédiatement reconnaissables et d’un charme irrésistible. Gaëlle Solal en diffuse avec art l’originalité harmonique, la nostalgie si caractéristique et ce sens inné du rythme.
A propos de Brejeiro du Carioca Ernesto Nazareth, l’interprète confie le besoin qui a été le sien d’aller se perdre à Rio de Janeiro, la « Cidade maravilha ». Suit alors une série de pièces aussi bien d’Antonio Carlos Jobim (Chora Coração = cœur qui pleure), que de Villa-Lobos encore, Scottish Choro, Prélude n° 2, a propos desquels la guitariste évoque les penchants du compositeur pour la cachaça, cet alcool de canne à sucre typique du pays. Deux beaux arrangements de Gaëlle Solal elle-même, d’Egberto Gismonti (Agua e vinho = Eau et vin) et de Garoto, de son vrai nom Anibal Augusto Sardinha, (Lamentos do morro = Plaintes de la colline) prolongent cette immersion dans la ville-merveille.
Les trois pièces qui complètent ce voyage sont signées de deux personnalités chères à l’interprète. De Roland Dyens, qui fut son professeur et conseiller, deux œuvres se partagent la traditionnelle évocation de ce sentiment intraduisible en français, la saudade (ici la Saudade n° 3) et l’hommage rendu à Villa-Lobos, grâce au terme Tuhu qui signifie comme l’indique la musicienne, « Petite flamme ». Entre ces deux partitions imaginatives, Berimbau, de Baden Powell, donne l’occasion à Gaëlle Solal de triturer sa guitare afin de lui permettre d’imiter ces sons émis par l’instrument populaire en forme d’arc qui accompagne les simulacres de combat pratiqués jadis par les esclaves, la Capoeira !
Le voyage s’achève donc dans l’énergie du toucher flamboyant de la grande guitariste. L’expressivité de son jeu trouve dans son sourire l’équivalent de sa générosité musicale qui va bien au-delà d’une technique si parfaite qu’elle se fait oublier.
Les multiples rappels par le public conquis obtiennent de l’interprète un bis signé du Catalan Emilio Pujol : Scottish Madrileño. Une magnifique prolongation…
Signalons aux nombreux amateurs et fidèles de Toulouse Guitare que la programmation de la prochaine saison 2022-2023 sera disponible sur le site de l’association www.toulouseguitare.fr dès la fin du mois de juin. A bientôt donc !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse