Les Wiener Symphoniker, autrement dit l’Orchestre Symphonique de Vienne, deuxième orchestre principal de la capitale autrichienne, était à nouveau l’hôte de Toulouse, le 3 mars dernier, dans le cadre de la saison Les Grands Interprètes. Il faut remonter à 1997 pour retrouver la trace de la précédente visite de la formation symphonique viennoise, placée alors sous la direction du très français Georges Prêtre. Et auparavant, c’était sous la conduite de Rafael Frühbeck de Burgos que l’Orchestre avait effectué sa première visite.
C’est le chef d’orchestre et violoniste colombien Andrés Orozco-Estrada qui accompagne cette fois la nouvelle visite toulousaine de cette prestigieuse phalange. Nommé directeur musical des Wiener Symphoniker à compter de cette saison 2021/22, Andrés Orozco-Estrada succède ainsi à Philippe Jordan qui occupait ce poste depuis 2014. Réputé pour l’élégance et l’énergie de sa direction, ce musicien complet a décidé de consacrer à Ludwig van Beethoven le programme de ce concert. Deux de ses œuvres les plus populaires sont ainsi offertes au public toulousain : l’unique Concerto pour violon et orchestre du compositeur, ainsi que sa Symphonie n° 7.
Un nouvel orchestre à la Halle aux Grains communique d’abord par sa sonorité. Avec ces musiciens réunis sous la baguette de leur nouveau directeur, c’est avant tout la réunion d’un ensemble de grandes qualités complémentaires qui frappe immédiatement l’oreille. L’étonnante densité des timbres n’empêche en rien la transparence sonore de l’ensemble. La précision de chaque intervention, l’équilibre entre les pupitres de cordes et de vents, la réactivité de chacun aux indications du chef constituent des caractéristiques qui conduisent à une cohérence absolue des interprétations proposées. Et puis on admire la spécificité viennoise des sonorités individuelle comme celle des fagotts germaniques, frères musicaux de nos bassons français.
L’unique concerto pour violon et orchestre de Beethoven ouvre donc la soirée. Composé entre sa troisième et sa quatrième symphonies, il constitue peut-être l’adieu aux concertos classiques et le premier des concertos de la période romantique. La soliste n’est autre que la jeune violoniste norvégienne Vilde Frang, déjà venue par deux fois à Toulouse en 2014 et en 2016 avec l’Orchestre national du Capitole. La longue introduction orchestrale plante un décor volontaire sous la direction énergique mais particulièrement nuancée d’Andrés Orozco-Estrada.
Tout au long de cet Allegro ma non troppo initial, le dialogue entre le tutti et la soliste se développe entre la concorde et la rivalité. Le violon, à la sonorité incisive, s’approprie le discours et développe un phrasé peu traditionnel mais totalement convaincant. Les nuances extrêmes sont habilement soulignées. Dans le Larghetto cette large palette de couleurs se poursuit tout en ménageant de beaux moments de grâce. L’enchaînement avec le final Rondo, Allegro marque un contraste vigoureux. Le tempo vif révèle une expression énergique, équitablement partagé entre la soliste et la direction. Une certaine rage se manifeste même parfois dans les nuances extrêmes du jeu de la violoniste.
L’éclat final déclenche une salve d’applaudissements spontanés qui se prolonge jusqu’au retour de Vilde Frang pour un bis légèrement antérieur au concerto mais signé de Joseph Haydn. Il s’agit de l’Hymne Impérial qui illustre les paroles : « Gott erhalte Franz, den Kaiser », soit « Dieu protège Franz l’empereur ». La musique, composée par Haydn, fut largement utilisée par son auteur mais également par d’autres musiciens jusqu’à devenir l’hymne de la République Fédérale d’Allemagne !
La Symphonie n° 7 en la majeur du même Beethoven complète ce programme. Sa qualification par Richard Wagner d’« apothéose de la danse… » prend toute sa valeur lorsqu’on considère le rôle primordial qu’y tient le rythme. C’est bien ce caractère presque chorégraphique qu’illustre la direction acérée, vive d’Andrés Orozco-Estrada qui n’hésite pas à intégrer à son exécution toutes les reprises, parfois ignorées par certains. Le relief que permet la richesse colorée de l’orchestre se manifeste dès le Vivace qui suit l’introduction du premier volet. Un sommet d’émotion est atteint dans le mythique Allegretto que Beethoven lui-même qualifiait de « L’une de mes meilleures œuvres » ! Le rythme subtil mais immuable évoque ici un poignant battement de cœur.
Quant aux deux derniers mouvements, légitimement joués enchaînés, ils éclatent de vitalité. Le Presto, pris là aussi dans un tempo soutenu, illumine une sorte de recherche de la joie qui motive le dernier mouvement de l’ultime symphonie beethovénienne. La chevauchée qui caractérise le final Allegro con brio met littéralement le feu. L’enthousiasme parfaitement maîtrisé de l’orchestre et de la direction se prolonge dans la salle qui ovationne les interprètes.
Un bis orchestral vient finalement conclure cette soirée sur l’une des signature de l’orchestre viennois. Il ne s’agit pas vraiment d’une valse, mais de ce petit bijou qui a pour titre révélateur, Pizzicato Polka, de Johann Strauss fils et son frère Joseph. Un irrésistible clin d’œil qui témoigne des qualités de jeu et de précision des pupitres de cordes de cette magnifique phalange.
C’était ce soir-là Vienne sur Garonne !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse