L’Orchestre national du Capitole de Toulouse retrouve à la Halle aux Grains le pianiste Bertrand Chamayou, lors d’un concert placé sous la direction de Thomas Guggeis qui met au programme des œuvres de Debussy, Falla et une création signée Benjamin Attahir.
Pour sa deuxième venue à la tête de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse cette saison, le jeune chef allemand Thomas Guggeis dirige à la Halle aux Grains un programme constitué d’œuvres de Falla et de Debussy. Compositeur né à Toulouse en 1989, Benjamin Attahir est également à l’affiche de ce concert, avec une commande de la phalange toulousaine : la création mondiale de « Khatoun Wahidoun », Concerto pour piano et orchestre écrit spécialement pour Bertrand Chamayou (photo).
Benjamin Attahir, dont plusieurs œuvres ont déjà été interprétées par l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, assure: «Par cette pièce j’ai voulu continuer mon exploration du “concerto monodique”. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un parcours d’un seul trait, d’une seule ligne. La tension est d’autant plus stimulante que le piano est un instrument d’essence polyphonique. Ici, jamais deux marteaux ne mettent des cordes en vibration simultanément. L’orchestre est entièrement issu de cet unique continuum, dont il se fait tour à tour caisse de résonance, commentateur et interlocuteur. Le genre concertant est ici quelque peu détourné par la nature même du projet musical ; en place d’un concerto il s’agirait plutôt d’une symphonie concertante, très dense, comme ramassée sur elle-même. Du son du piano découle la sonorité de l’orchestre, sorte d’extension de son timbre. Ainsi, tous participent à cette même voix, à ce chemin, étroit, sinueux». Le compositeur affirme que sa partition se caractérise par «une vélocité digitale débridée, proche d’une forme de folie, mue par la complexité du matériau auquel je voulais “donner son”.»
Deux pages de Claude Debussy figurent au programme de cette soirée qui débutera par le « Prélude à l’après-midi d’un faune ». Les séjours au Festival de Bayreuth marquent profondément Debussy, comme sa découverte du « Boris Godounov » de Modeste Moussorgski, ou encore la musique d’Extrême-Orient qu’il approche à l’Exposition universelle. Il compose en 1893 son Quatuor à cordes, puis achève le « Prélude à l’après-midi d’un faune » l’année suivante – page qui fait de lui un chef d’école, à son corps défendant. Avec ce prolongement musical du poème « l’Après-midi d’un faune » de Stéphane Mallarmé, il dépeint les désirs et les rêves d’un faune dans la chaleur d’un après-midi.
Signant une pièce orchestrale très novatrice d’un point de vue harmonique et d’une apparente grande liberté de forme, le compositeur explique: «La musique de ce « Prélude » est une très libre illustration du beau poème de Mallarmé. Elle ne désire guère résumer ce poème, mais veut suggérer les différentes atmosphères, au milieu desquelles évoluent les désirs, et les rêves de l’Egipan, par cette brûlante après-midi. Fatigué de poursuivre nymphes craintives et naïades timides, il s’abandonne à un sommeil voluptueux qu’anime le rêve d’un désir enfin réalisé: la possession complète de la nature entière».
L’œuvre fut créée à Paris, le 22 décembre 1894, par l’Orchestre de la Société nationale de Musique avec le flûtiste Georges Barrère, sous la baguette du Suisse Gustave Doret. Mallarmé décrivit en ces termes ses impressions à l’écoute du « Prélude à l’après-midi d’un faune »: «Je sors du concert, très ému: la merveille ! Votre illustration de l’« Après-midi d’un faune », qui ne présenterait de dissonance avec mon texte, sinon qu’aller plus loin, vraiment, dans la nostalgie et dans la lumière, avec finesse, avec malaise, avec richesse. Je vous presse les mains admirablement, Debussy». Le poème de Mallarmé et la musique de Debussy ont ensuite inspiré une chorégraphie à Nijinski pour les Ballets Russes de Paris.
Musicien de la liberté, Claude Debussy bouleverse la manière d’appréhender la musique en élargissant le langage musical. Il a abordé des registres variés, tout en concevant de nouvelles formes pour chaque œuvre. Il s’attache alors à créer son vocabulaire et sa forme : temps musical bouleversé et tonalité suspendue. La souplesse rythmique et l’infinie mobilité du tempo, l’importance du timbre et de la couleur musicale forment ainsi la caractéristique essentielle de l’œuvre de Debussy. Bien que novateur dans son langage, il conserve pourtant les piliers de l’écriture traditionnelle, s’inscrivant ainsi dans le prolongement de Richard Wagner.
Rompant avec l’efficacité dramatique héritée de Ludwig van Beethoven, il crée des climats immobiles, des paysages empreints d’éternité. Les évocations de la nature sont d’ailleurs multiples dans son œuvre, notamment dans les triptyques symphoniques « Nocturnes » (1897-1899) et « la Mer, trois esquisses symphoniques » (1903-1905). Debussy est également l’auteur des « Images » pour orchestre, dont l’Orchestre national du Capitole de Toulouse interprètera la deuxième partie, « Iberia ». Debussy a écrit entre 1905 et 1912 trois triptyques portant le titre « Images »: deux pour piano entre 1905 et 1907, un pour orchestre entre 1905 et 1912. Initialement envisagé comme une suite pour deux pianos en réponse aux « Images » pour piano seul, le troisième triptyque devient finalement l’une de ses dernières grandes pages pour orchestre.
« Images » pour orchestre est l’évocation du folklore imaginaire de trois pays, mais presque dix années séparent le projet de son achèvement, car Debussy s’appliqua à fuir la banalité d’un pittoresque de carte postale. Première pièce achevée, « Ibéria » renvoie à l’Espagne: «Il y a un marchand de pastèques et des gamins qui sifflent», déclare le compositeur qui incite l’auditeur à élaborer ses propres visions intérieures. Absorbant les éléments pittoresques dans son propre langage, il intègre un rythme de sévillane et de habanera dans « Ibéria », où l’on entend des castagnettes, un tambour de basque et des pizzicatos de cordes stylisant la guitare.
« Ibéria » est découpé en trois parties : « Par les rues et par les chemins », noté «assez animé» ; « Les Parfums de la nuit », noté «lent et rêveur» ; « Le Matin d’un jour de fête », accompagné de la mention «dans un rythme de marche lointaine, alerte et joyeuse». Soucieux de dissimuler les ficelles de sa technique compositionnelle, Claude Debussy donne une impression d’imprévisibilité et de fluidité au discours qui laissent une sensation d’improvisation et de perpétuelle transition. «Vous ne vous figurez pas combien l’enchaînement des « Parfums de la nuit » avec « le Matin d’un jour de fête » se fait naturellement. Ça n’a pas l’air d’être écrit…», se réjouit le musicien dans une lettre à André Caplet, en 1910. Créée à Paris aux Concerts Colonne en février 1910, « Ibéria » est incomprise du public qui siffle et chahute.
Thomas dirigera enfin la Deuxième Suite tirée du ballet « le Tricorne », de Manuel de Falla. Créé en 1919, à Londres, par les Ballets russes dans une chorégraphie de Léonide Massine, avec des décors et des costumes de Pablo Picasso, « le Tricorne » est une commande de Serge de Diaghilev. Le compositeur a puisé dans sa « farsa mimica » (mimodrame avec chant) intitulée « el Corregidor y la Molinera » (Le Magistrat et la meunière), composée en 1917 d’après la nouvelle « el Sombrero de tres picos » (Le Tricorne) de Pedro Antonio de Alarcón. On y suit les mésaventures d’un vieux Corregidor qui tente de séduire une meunière mariée: dans ce récit traitant de l’abus de pouvoir, le magistrat finit par être ridiculisé par la meunière et son époux.
Falla transforma sa partition en un ballet sur des thèmes andalous ; l’œuvre est aujourd’hui peu jouée dans son intégralité. Il en tira deux suites symphoniques. La Deuxième Suite est constituée de trois danses : inspirée d’une chanson gitane de Grenade, la « Danza de los vecinos » (Danse des voisins) est une séguedille rythmant une fête de la Saint-Jean ; la « Danza del molinero » (Danse du meunier) est une farruca ; la « Danza final » est une jota – danse apparentée au fandango.
Orchestre national du Capitole