Le 17 février dernier devait marquer le retour de Tugan Sokhiev à la tête de son Orchestre national du Capitole. Souffrant, le directeur musical a dû annuler sa participation. Remercions l’administration de la phalange toulousaine d’être parvenue, en si peu de temps, à assurer le maintien de ce concert, sans en modifier le programme. C’est grâce à l’intervention du chef d’orchestre autrichien Christian Arming que la soirée a pu se dérouler pour le plus grand bonheur du public. Un public d’autant plus passionné de musique après la période d’abstinence que nous avons dû subir. Un grand merci au chef invité pour ce sauvetage impromptu !
Né à Vienne, Christian Arming a été successivement : chef principal du Janáček Philharmonic à Ostrava de 1996 à 2002, directeur musical du New Japan Philharmonic à Tokyo et de l’Orchestre Symphonique de Lucerne de 2003 à 2010, puis directeur musical de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège de 2011 à 2019. Très proche de Seiji Ozawa, Christian Arming est régulièrement invité par de nombreux orchestres en Europe et ailleurs dans le monde. Il vient en outre d’être nommé chef principal de l’Orchestre Symphonique d’Hiroshima. Notons qu’il a déjà dirigé la formation symphonique toulousaine en décembre 2006.
Le soliste de ce concert, le jeune pianiste Haochen Zhang, natif de Shanghai avait été initialement prévu pour le concert du 10 septembre 2020. Il avait dû déclarer forfait, retenu à l’étranger par les contraintes liées à la crise sanitaire. Haochen Zhang a reçu de nombreuses récompenses internationales, notamment le premier prix du treizième et prestigieux concours international de piano Van Cliburn en 2009, devenant ainsi l’un des plus jeunes lauréats de l’histoire du concours. Sa participation à cette soirée du 17 février constitue donc une chance supplémentaire.
C’est sur les accords profonds et intenses du Concerto pour piano et orchestre n° 2 de Sergueï Rachmaninov que s’ouvre cette soirée sauvée des aléas sanitaires. Cette introduction si caractéristique et si importante dans l’histoire de cette œuvre installe une atmosphère particulière. Rappelons que ce concerto devenu mythique marque le retour à la composition de Rachmaninov, après sa dépression consécutive au désastre de sa Première Symphonie. Toute cette entrée en matière du premier volet de l’œuvre impressionne par l’implication ardente du soliste et le soutien chaleureux de l’orchestre. Tout ce Moderato sonne comme un combat entre un piano fougueux et vif, au jeu clair et très contrasté, et un orchestre très présent, aux couleurs profondes et chaleureusement équilibrées. Les montées d’adrénaline confèrent à ce déroulement une urgence émouvante.
La poésie initiale de l’Andante suspend le temps avant de s’effacer derrière une inquiétude palpable, une angoisse même que vient expliciter une cadence intense et nerveuse du piano. Dans le final, Allegro scherzando, le soliste déploie un jeu à fleur de peau, volontaire et sans complaisance ni alanguissement larmoyant. La transparence de son toucher permet une lisibilité remarquable de toutes les interventions du piano. La signature caractéristique du compositeur qui referme la partition sonne vraiment comme une victoire !
L’ovation qui salue la performance amène Haochen Zhang à offrir un bis totalement échevelé ! Il s’agit de la Fantaisie sur des thèmes de Carmen du grand Vladimir Horowitz. Un délire digital inouï, de nouveau acclamé longuement !
La seconde partie de la soirée est consacrée à un autre type de virtuosité, celle que Richard Strauss développe avec l’orchestre. Deux de ses plus célèbres poèmes symphoniques se succèdent. Le fameux Till Eulenspiegel lustige Streiche, souvent traduit par Les Joyeuses Facéties de Till l’Espiègle, ouvre la séquence. Christian Arming met l’accent sur l’énergie, la brillance de l’Orchestre qui n’en manque certes pas. Si quelques imprécisions rythmiques se manifestent brièvement, on admire une fois de plus la beauté des solos instrumentaux qui truffent cette partition joyeuse. A commencer par le violon de Kristi Gjezi, le cor de Jacques Deleplanque, le hautbois de Louis Seguin ou la flûte de Sandrine Tilly.
Cette énergie bien contrôlée se prolonge dans l’autre poème symphonique du même Strauss, Don Juan. Héroïques et d’un beau lyrisme (les pupitres de cordes largement sollicités), les thèmes se succèdent dans une fièvre que le chef communique à chaque musicien. Là aussi, les nombreux solos témoignent de la qualité des musiciens qu’il faudrait tous citer. L’impressionnant final pianissimo se fond dans un silence qui se prolonge pendant de longues secondes avant que n’éclatent les applaudissements nourris de la salle.
Tout en souhaitant un rapide rétablissement à Tugan Sokhiev, remercions encore Christian Arming pour son intervention stratégique !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse