Après l’Infini Détail, nous poursuivons la série d’articles sur les jeunes revues de cinéma avec Sorociné, qui a lancé sa campagne de financement participatif pour leur second numéro consacré aux territoires des États-Unis sur la période 2010-2020. Je laisse la parole à Pauline Mallet, redactrice en cheffe de la revue.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Pauline Mallet, j’ai 26 ans et je suis critique de cinéma et de séries télévisées depuis cinq ans. Après des études en cinéma, j’ai intégré une formation journalistique puis de multiples stages dans des rédactions spécialisées m’ont permis d’intégrer pleinement le métier. Je travaille, entre autres, comme chroniqueuse dans l’émission Une heure en séries de France Inter et à la Semaine de la Critique, sélection parallèle au Festival de Cannes, en tant que sélectionneuse au sein du comité longs métrages. En 2018, j’ai lancé Sorociné. L’envie était très simple : parler du cinéma en mettant en lumière les femmes qui le pensent et le fabriquent. D’abord sous la forme d’un podcast mensuel, puis sous un format web et désormais sous un format papier.
D’où est venue l’envie de créer une revue papier ? Combien de temps s’est-il écoulé entre l’envie et le lancement de la revue ?
Environ un an ! L’envie de créer la revue papier est arrivée pendant le premier confinement. Je lisais énormément la presse spécialisée. Celle du cinéma bien sûr, mais aussi la presse indépendante féministe. L’envie est venue naturellement. Je suis avant tout une personne qui écrit, beaucoup. C’était évident pour moi de croiser les valeurs du podcast avec celle de la presse écrite. Un domaine dont on signe, tous les quatre matins, l’arrêt de mort alors même que la création y est, plus que jamais, vivifiante. Même si rien n’est vraiment calculé, et que cela paraît assez prétentieux de le dire ainsi, mais je sentais un manque dans les propositions actuelles – même si je suis une grande lectrice des revues de cinéma et qu’elles sont toutes très importantes. Je n’avais pas envie d’arriver en super-héroïne parce que ce n’est pas le cas, et je respecte pleinement le travail de mes consœurs et confrères. Loin de moi l’envie de créer un quelconque fossé entre les autres revues et Sorociné. L’envie se trouve davantage dans celle de la complémentarité. Pour ce qui est du choix du support physique, c’est d’abord une préférence et ensuite une envie de le préserver.
J’aime profondément mon métier et je pense que, comme toutes les revues spécialisées disponibles, nous avons toutes et tous cette envie de transmettre. C’est la première démarche de Sorociné : la transmission, la discussion et l’héritage. C’est véritablement ça qui anime toute la création de la revue.
Le choix de la fréquence de parution ? du format ? du titre ?
Le titre était assez évident puisque c’était déjà le nom du podcast, le support par lequel tout à commencé. Sorociné est la contraction du mot « sororité » et « cinéma » ce qui, finalement, parle de lui-même. Le format a été décidé avec notre imprimeur. Nous voulions quelque chose de léger et souple, mais nous voulions aussi une belle revue avec des couleurs percutantes et un design soigné. Un bel objet que l’on peut emporter partout, prêter et transmettre. Pour le moment, Sorociné est un semestriel mais comme nous sommes indépendantes et que nous sommes toujours au sein d’une pandémie mondiale, les choses sont un peu plus compliquées.
Les choix du contenu du nunéro 1 avec les 4 parties : « matrimoine », « sur le plateau », « regards féminins » et « grand angle ».
La thématique du premier numéro était assez évidente. J’avais envie qu’elle soit symbolique. On a donc opté pour « Premières ». C’est à la fois notre premier numéro et un numéro qui regroupe les première fois au cinéma : celles des pionnières mais aussi des premières au sens large.
Nous essayons d’intégrer des sujets d’actualité mais pas toujours. On fait selon nos envies et ce qui nous anime sur le moment. Concernant les quatre parties, lors des premiers échanges que j’ai eu avec mon équipe, nous avions deux catégories en tête : celle du « matrimoine » puisque nous avions envie d’insérer la question de l’Histoire, de l’héritage et de la transmission ; et celle « sur le plateau » parce que nous avions vraiment envie d’insérer les paroles via des interviews de celles qui sont directement sur le terrain, tout en proposant également la découverte, pour nos lectrices et lecteurs, de métiers un peu plus dans l’ombre comme celui d’attachée de presse que nous avons mis en lumière au sein du premier numéro ou, pour le second numéro, celui de cascadeuse.
Les deux autres catégories, « regards féminins » et « grand angle », sont venues lors de l’écriture des articles. On a commencé à rassembler les articles des autrices et tout est venue de manière assez évidente. On avait envie d’avoir des catégories précises mais qui peuvent à elles seules en dirent beaucoup.
Le choix des collaborateur.trices ?
Dès le départ, nous avions envie de permettre à des personnes de s’exprimer sur ce vaste sujet qu’est le cinéma par le biais des femmes. Le noyau fixe est tout simplement l’équipe « de base » de Sorociné, celle du podcast et du site. Pour le premier numéro, nous avons lancé un appel à sujets juste avant le financement participatif. Nous avons reçu une bonne centaine de mails, et au final, nous avons sélectionné une trentaine de personnes.
Pour le second numéro, nous avons recontacté certain.es de nos collaborateur.trices. Nous étions trop nombreuses et nombreux sur le premier numéro et comme nous sommes une petite équipe, totalement indépendante, c’était difficilement gérable. Nous avons donc privilégié la réduction de l’équipe afin que toutes et tous puissent travailler dans les meilleures conditions.
La couverture du premier numéro a été réalisée par Marita Amour Itela, dont le pseudo est Women and Flowers sur les réseaux sociaux. C’est une collaboration de longue date entre nous. C’est elle qui a fait le logo de Sorociné et elle est le cœur de toute notre identité visuelle. C’était donc assez logique de collaborer avec Marita sur la couverture. Nous étions tellement en ébullition que nous avons finalement fait une double couverture !
Pour suivre l’actualité de Marita Amour Itela : https://maritaitela.myportfolio.com/
Pour le second numéro, la couverture sera réalisée par Fanny Decormeille dont nous adorons les traits. C’est la première fois que nous collaborons ensemble. Marita restera présente puisqu’elle signera, comme sur le premier numéro, quelques pages d’illustration à l’intérieur de la revue dont une superbe BD.
Quelles aides financières ou autres bénéficiez-vous ?
Actuellement, nous ne bénéficions d’aucune aide. Nous fonctionnons au financement participatif qui nous permet à la fois de créer, mais aussi d’échanger avec les futur.es lectrices et lecteurs.
Avez-vous essuyé des refus de collaborations ?
Non, aucun. Nous avons reçu un très bel accueil. Ça a d’ailleurs été notre moteur sur la création de la revue. Les professionnelles étaient ravies de pouvoir s’exprimer, toutes ont accueilli la revue avec beaucoup de bienveillance et de sympathie. Pour les droits à l’image, nous avons eu la chance d’avoir de nombreux dons.
Comment ce premier numéro a-t-il été accueilli ?
Nous avons fait un tirage à 800 exemplaires et nous avons été en rupture de stock un mois après sa mise en vente. Nous avons eu un très très bel accueil, que ce soit en termes de vente, mais aussi d’un point de vue critique puisque les professionnel.les étaient très élogieu.ses. Nous avons eu quelques retours de profs de cinéma, qui ont commandé un exemplaire pour le présenter à leurs élèves. Concernant les institutions nous sommes dans plusieurs cinémathèques dont celles de Paris et de Toulouse. C’est vraiment très touchant et très motivant pour nous de constater que toutes et tous ont pu se sentir concerné.es par la revue.
Le choix éditorial du numéro 2 ?
Le numéro 2 est principalement comme le premier numéro. C’est une revue qui fait entre 170 et 180 pages et dont la création est entièrement française. Nous imprimons en région parisienne, dans une imprimerie entièrement green. Le papier est recyclé et recyclable, les encres végétales et nous respectons à la fois la sécurité des employé.es mais également de la planète. C’est un circuit court et c’était important pour nous.
L’impression a un coût supérieur à la moyenne dû aux arguments précédents. C’est notamment pour ces raisons que nous n’avons pas pu faire une réimpression du premier numéro, et qu’elle est un des enjeux du nouveau financement participatif. Pour ce dernier, le financement participatif nous permet, en tant que petite structure associative, d’avoir un retour direct des envies. À la fois, savoir si la revue plaît, si elle se vend déjà un minimum, si elle crée un intérêt. Cela nous permet aussi de nous sécuriser. Nous ne sommes pas employées au sein de notre association et les dons permettent de payer l’entièreté de la création de la revue.
Ce nouveau numéro est consacré aux territoires des États-Unis sur la période 2010-2020. Le sujet du deuxième numéro est venu lors de la création du premier. Nous avions envie de parler de ce territoire si fantasmé qui fut pendant des décennies un territoire phare du cinéma. Paradoxalement, alors que le pays est très propice aux études de genres, sociales et politiques, et où la production et la création cinématographique est colossale, c’est un pays où les réalisatrices sont très peu nombreuses, 4% en 2019. Par ailleurs, nous avions envie d’aborder le territoire par le biais de la décennie précédente qui fut le théâtre de nombreux changements et bouleversements notamment le mouvement #MeToo. Bien que les productions américaines sont au cœur de nombreux débats, nous avions envie de parler de celles qui fabriquent ce cinéma et surtout aborder la manière dont elles s’approprient ces terres, rurales et urbaines, longtemps filmées par le prisme du masculin. C’est également l’occasion de parler du cinéma contemporain dont nous sommes parfois frileux dû au manque de recule. Nous avions envie d’en par en le remplaçant au sein de son contexte actuel.
Les autres activités ?
Aujourd’hui, Sorociné est un média multiple : nous sommes un podcast, un site internet où l’on parle beaucoup de l’actualité et une revue papier. Nous avons beaucoup d’envies qui restent totalement dans la lignée de ce que Sorociné peut regrouper. Le ciné-club est une idée que nous avions depuis longtemps. Malheureusement, il y a eu la fermeture des salles, et nous avons dû laisser ça de côté. Nous avons, néanmoins, inséré cette idée au sein du podcast en proposant des épisodes « Sorociné club » où nous parlons d’une œuvre ou d’une réalisatrice. À l’automne dernier, l’équipe du cinéma le Saint-André des Arts à Paris nous a contactés. On a donc mis en place ce Sorociné Club : un rendez-vous mensuel, où nous mettons en avant un film réalisé par une femme, et où nous invitons des femmes à s’exprimer sur le sujet. Les invitées sont majoritairement les réalisatrices.
Dans notre démarche d’éducation à l’image, nous sommes actuellement et depuis quelques mois, sur l’animation d’un atelier avec le service jeunesse de Rosny-sous-bois (93). Un épisode du podcast sortira au mois de mars avec les jeunes qui y ont participé. C’est un échange passionnant !
Quelle est ta plus grande fierté ?
D’avoir pu sortir le premier numéro dans un contexte sanitaire instable. Je suis heureuse d’avoir pu réunir toute cette formidable équipe, fière d’avoir pu discuter avec autant de passionné.es, reconnaissante des retours que l’on a pu nous formuler.
Toutes les infos sur le site de Sorociné
Campagne pour soutenir la sortie du numéro 2 : https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/sorocine-la-revue-cinema-feministe
Toute l’actualité de Marita Amour Itela est à découvrir sur : https://maritaitela.myportfolio.com/