Le 10 décembre dernier, le chef d’orchestre britannique Ben Glassberg et le violoncelliste français Jean-Guihen Queyras étaient les invités du concert de l’Orchestre national du Capitole. Exceptionnellement, le programme imaginé ce soir-là se partageait équitablement entre compositeurs et compositrices ! Deux créatrices, deux créateurs pour alimenter la discussion concernant le sexe des musiques…
Vainqueur du grand prix au 55e Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon (2017), Ben Glassberg est devenu le plus francophile des chefs britanniques. Le programme de ce concert du 10 décembre témoigne du fait que le Brexit n’y a rien changé, Ben Glassberg, devenu directeur musical de l’Opéra de Rouen, demeure éperdument épris de la musique française ! Ce soir-là, trois œuvres sur quatre appartiennent à ce répertoire avec l’attrait supplémentaire de la découverte.
Ainsi, la soirée s’ouvre sur l’Ouverture n° 1 en mi mineur de Louise Farrenc. Jeanne-Louise Farrenc, née Dumont en 1804 à Paris où elle mourut en 1875, fut à la fois compositrice, pianiste et professeure de piano. Cette courte Ouverture est vraisemblablement une découverte pour la plupart des auditeurs. Une convaincante énergie, un sens profond de la structure musicale s’y manifestent. S’il fallait tenter une comparaison avec les grands compositeurs romantiques, on pourrait évoquer Beethoven ou Mendelssohn. Mais laissons à Louise Farrenc l’originalité de son écriture !
La suite du concert remonte le temps avec le retour au père de la symphonie, le grand Joseph Haydn. Son Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1 en ut majeur est devenu un passage obligé des grands virtuoses de l’archet. Il n’a pourtant été redécouvert qu’en 1961 dans les archives du château de Radenin en République tchèque. Cette œuvre foisonnante est interprétée à Toulouse par le violoncelliste français Jean-Guihen Queyras dont on connait le grand talent et l’ouverture d’esprit. Il aborde le Moderato initial du concerto avec une autorité et une éloquence remarquables. Il déploie dans la cadence un beau développement de toutes les possibilités techniques et expressives de l’instrument.
La poésie qui émane de l’Adagio trouve en Jean-Guihen Queyras un interprète inspiré qui pourtant ne tire jamais le discours vers un romantisme hors de propos. L’Allegro molto étincelle de mille feux. La joie, l’esprit aérien imprègnent tous les traits virtuoses, et ils sont nombreux, que l’interprète déploie avec une aisance incroyable.
Acclamé par le public, Jean-Guihen Queyras ne manque pas d’exprimer sa joie de se retrouver à Toulouse avec cet orchestre qu’il aime. Il offre en bis une profonde interprétation de la Sarabande de la 4ème suite pour violoncelle seul de J. S. Bach. Comme une émouvante confidence…
La seconde partie du concert s’ouvre sur l’œuvre d’une jeune musicienne au talent plus que prometteur. Camille Pépin, née en 1990 et présente ce soir-là, est déjà l’une des grandes compositrices de sa génération. Elle fut en résidence auprès de l’orchestre de Picardie de 2018 à 2019 puis au festival international de musique de Besançon de 2019 à 2021. Sa pièce Vajrayana, jouée ce soir-là, date de 2015. La compositrice elle-même évoque le fondement de sa partition en ces termes : « S’il existe cinq éléments dans la religion tibétaine (la terre, l’eau, le feu, le vent et l’espace), ils se définissent comme des énergies fondamentales et sacrées de l’existence rencontrées dans la dimension psychique des êtres. »
Les cinq mouvements de cette œuvre, courte mais d’une impressionnante densité expressive, constituent les supports de ces éléments. Riche et colorée l’orchestration accompagne un déploiement rythmique d’une grande diversité et d’un relief étonnant. Un solo de cor et un solo de trompette viennent épicer cet impressionnant discours que les percussions enrichissent considérablement. L’orchestre et son chef invité jouent le jeu avec précision et ferveur. A coup sûr, une créativité à suivre !
La dernière partition au programme nous ramène vers un répertoire plus habituel de l’orchestre avec la Suite n° 2 de Daphnis et Chloé de Maurice Ravel. Les musiciens toulousains retrouvent ici leur ADN profond. Dès les premiers frémissements du Lever du jour, le tableau révèle son impressionnisme pictural. Le fameux solo de flûte atteint des sommets de beauté grâce à Sandrine Tilly, experte en la matière. Les jeux sensuels de la Pantomime reposent sur un déploiement typique des couleurs orchestrales. Avec la Danse générale, la frénésie rythmique atteint des sommets, jusqu’à l’explosion finale qui déclenche une belle ovation.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole