Les 27 et 28 novembre derniers ont marqué la reprise des activités de l’Association Musique au Palais qui se donne pour but de réunir, le temps d’un long week-end, musiciens professionnels et grands amateurs. Toujours hébergée au cœur de la ville dans le cadre prestigieux du Palais Niel, QG de l’armée de Terre et des parachutiste, rappelons que cet événement annuel est organisé au bénéfice d’associations caritatives : Terre Fraternité et Entraide Parachutistes.
Musique au Palais donne aux musiciens professionnels et amateurs l’opportunité de se retrouver et d’échanger leur passion pour la musique. Cette année, ce dialogue fraternel a attiré, dans le précieux salon de musique du Palais Niel, un public heureux de retrouver enfin ces échanges musicaux après la douloureuse interruption imposée par la crise sanitaire.
Serge Krichewsky, le nouveau Président et directeur artistique de la manifestation, n’a pas manqué de célébrer ces retrouvailles et de remercier les autorités militaires qui l’accueillent.
Pas moins de six concerts en deux jours témoignent de la vitalité de la cause musicale dans notre cité particulièrement riche en événements de ce type. Le dimanche 28 décembre, en particulier, a permis la découverte de nouveaux talents et la confirmation de ceux qui perpétuent une certaine image de la passion musicale.
Un chant libre
Le concert de 15 h réunit deux pianistes, un baryton et une flûtiste, jeunes artistes animés d’une même ferveur. La Ballade pour piano n° 3 op. 47 de Frédéric Chopin, jouée avec sensibilité par Ama Martin, issue du Conservatoire de Toulouse, ouvre la session. Lui succède, au clavier, Julie Sotiropoulos qui accompagne le baryton Martin Quéval dans des extraits du cycle de lieder de Robert Schumann op. 25 intitulé Myrthen. Voix solide et sonore, prononciation impeccable des textes poétiques allemands, l’interprète enchaîne avec talent dix des vingt-six poèmes mis en musique par Schumann à l’intention de sa bien-aimée Clara. Un choix judicieux qui explore toute la gamme des sentiments si chers au compositeurs.
La seconde partie de ce concert généreux est consacrée à la musique instrumentale et vocale française au passage du XIXème au XXème siècles. Martin Quéval aborde avec sa belle diction deux mélodies aux expressions complémentaires d’Henri Duparc : Le Manoir de Rosemonde, aux accents passionnés, et le sensible Phydilé. De Gabriel Fauré, la célèbre sicilienne, extraite du poème symphonique Pelléas et Mélisande, est ensuite jouée avec finesse et poésie par la flûtiste à la belle et suave sonorité, Jeanne Fauveau, et la pianiste Julie Sotiripoulos. Ama Martin rejoint sa collègue pour trois extraits de la Suite pour piano à quatre mains Dolly. Une belle démonstration pleine d’esprit et de cohésion instrumentale. C’est à Martin Quéval de conclure le concert avec deux mélodie célèbres du même Fauré : Clair de lune et Mandoline, accompagnées par Julie Sotiropoulos. Les applaudissements insistants obtiennent un bis cette fois signé Maurice Ravel. Martin Quéval offre avec panache la Chanson romanesque tirée du cycle Don Quichotte à Dulcinée.
Intermède en clair-obscur
Le concert de 17 h se consacre au piano de Mozart. Deux sonates aux tonalités complémentaires parmi les plus significatives du génie du compositeur. La Sonate n° 8 en la mineur, pleine de passion et de sentiments mêlés est abordée avec un mélange d’ardeur et de finesse par François Schwarzentruber, maître de conférences en informatique et pianiste amateur. Son interprétation est une véritable révélation ! Au-delà des qualités techniques si évidentes qu’on finit par les oublier (la perfection des trilles !), une telle palette de nuances, une telle profondeur de l’expression musicale impressionnent. A l’agitation presque pathétique de l’Allegro maestoso succède le chant émouvant de l’Andante cantabile. Le bref Presto final réunit l’inquiétude et l’impatience. Certes un grand moment !
C’est à Ariel Sirat de dissiper les ombres avec la lumineuse Sonate n° 11, l’une des plus fameuses du compositeur puisqu’elle se conclut sur la célébrissime Marche turque. Bien connu des habitués de Musique au Palais qu’il a contribué à créer, Ariel Sirat représente l’archétype du grand amateur. Sa carrière scientifique va de pair avec sa forte implication musicale. Il « pratique », dans cette sonate joyeuse, un Mozart bien charpenté, profond, tournant le dos aux visions mièvres de sa musique. Les riches variations de l’Andante grazioso initial se succèdent avec imagination. La grâce autoritaire du Menuetto est suivie de ce mouvement final Alla turca que tout auditeur attend ! Sans en accentuer artificiellement l’exotisme, l’interprète joue avec bonheur sur l’imagination et les subtiles modulations de l’harmonie. Le bonheur en quelque sorte.
Au salon Razumovsky
Le troisième concert de l’après-midi aborde le monde si fertile du quatuor à cordes. Quatre musiciennes issues des rangs de l’Orchestre national du Capitole se sont réunies pour fonder le Quatuor Séléné, du nom de la déesse de la lune. Saluons les violonistes Laura Jaillet et Estelle Bartolucci, l’altiste Laura Esminger et la violoncelliste Aurore Dassesse. Sous ce beau nom se révèle un ensemble instrumental d’une qualité technique aussi bien que musicale de première grandeur ! On ne sait que louer le plus, de l’équilibre parfait des sonorités, de la cohésion admirable entre les quatre voix ou de l’originalité des choix musicaux. Gageons que cette cohésion n’est pas étrangère à la pratique de l’orchestre si brillamment assumée par ces musiciennes.
Le Quatuor n° 2 en ré majeur d’Alexandre Borodine ouvre cette dernière session. Les interprètes en magnifient le lyrisme touchant de l’Allegro moderato initial, mais également la vigueur et l’énergie de l’Allegretto vivace qui suit. Le splendide solo de violoncelle, si nostalgiquement russe, qui introduit le Notturno, sommet expressif de la partition, met en valeur la généreuse sonorité, le timbre doré de l’interprète qui diffuse dans l’ensemble de la formation. L’intensité du final, Andante, Vivace, trouve enfin la voie vers une sorte de frémissement joyeux.
C’est avec le grand Quatuor n° 7 en fa majeur de Beethoven que s’achève l’ensemble des concert de cette édition. Excellent choix que ce premier des trois quatuors dédiés au prince Andreï Razumovsky, bienfaiteur de Beethoven, dont il porte le nom ! Une fièvre irrésistible s’empare des premières mesures de l’Allegro et l’anime avec ferveur. Après l’originalité si particulière de l’Allegretto vivace et sempre scherzando, l’Adagio molto e mesto déploie sa profonde nostalgie dont le caractère est admirablement souligné par les interprètes. C’est sur le thème éminemment russe (remerciement au dédicataire oblige !) que s’ouvre le final. Les musiciennes en soulignent l’originalité du caractère et le bouillonnement intense qui l’anime.
Belle manière de conclure à la fois le concert et l’ensemble de la manifestation.
Longue vie au Quatuor Séléné et à Musique au Palais !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse