Nouvelle série d’articles sur les jeunes revues de cinéma, qui débute aujourd’hui avec L’Infini Détail, qui après un premier numéro paru en septembre 2019, lance sa campagne de préventes pour la parution de leur second numéro consacré majoritairement à la réalisatrice britannique Antonia Bird.
Peux-tu te présenter ?
L’Infini Détail est au départ un projet étudiant, né à la fac de lettres de Montpellier. J’y ai étudié pendant cinq ans, c’est là-bas que les fondateurs de la revue se sont rencontrés. Pauline Quinonero, aujourd’hui productrice chez Too Many Cowboys, a eu l’ambition de lancer un webzine. L’Infini Détail, c’était ça au départ : un magazine de cinéma diffusé exclusivement en ligne, gratuitement. Nous avons sortis six numéros web au total et, devant leur succès, décision a été prise de tenter l’aventure papier. On a d’abord créé un site officiel, où on continue de partager notre passion. Le magazine papier, lui, a fini par être édité en septembre 2019.
D’où est venue l’envie de lancer une nouvelle revue ?
De la frustration de voir le formidable travail de notre maquettiste, Marie Lemoine, cantonné au support web. On mourait d’envie de tenir le magazine dans nos mains, au moins une fois. Nous sommes la dernière génération à avoir grandi sans YouTube, sans smartphones et, dans une moindre mesure, sans Internet. La presse cinéma joue un rôle essentiel dans notre rapport aux images. Pour moi, c’était Mad Movies. Pour Pauline, plutôt les Cahiers du Cinéma. Muriel Cinque, la corédactrice en chef du numéro 2, est lectrice de Positif. Ces revues nous accompagnent encore. Nous avons logiquement voulu imprimer la nôtre !
Combien de temps s’est-il écoulé entre l’envie et le lancement de la revue ?
Une année entre le projet d’imprimer le numéro 1 et sa concrétisation, puis deux ans entre le numéro 1 et le numéro 2 – merci la pandémie !
Le choix de la fréquence de parution ? du format ? du titre ?
De choix, on en a peu à vrai dire ! La création d’une revue, quand on est une si petite équipe, est un travail colossal. On sort un imprimé lorsque les planètes s’alignent, que les gens sont disponibles, motivés. C’est très difficile, et c’est aussi pour ça que j’ai fait évoluer L’Infini Détail sous forme de podcast courant 2021, afin que le projet perdure sous un autre forme.
Le format s’est décidé après moult comparaisons entre les revues qu’on affectionne. Quant au nom, c’est Pauline, la fondatrice du magazine, qui y a songé: « L’art est dans l’infini détail », c’est une citation de Federico Fellini.
Le ou les choix du contenu du premier numéro ?
Nous ne collons jamais à l’actualité dans les numéros papier, ils sont davantage pensés comme des ouvrages. Impossible, à notre rythme de publication, de faire écho à l’actualité cinéma.
Le sujet du numéro 1, « Cinéma Sensitif », est le résultat d’une réunion où on s’est demandés comment se démarquer. Qu’est-ce qui nous excite, fondamentalement, dans le cinéma ? Le terme « film sensitif », on le croise depuis des années sans qu’il n’en existe une définition. J’ai essayé d’en donner une dans ce dossier rédigé par Thomas Manceau – le créateur de la chaîne « Le Filmonaute » – et moi-même. Faire un numéro sur un genre, un cinéaste, ça nous semblait trop commun. On l’a certes fait avec le numéro 2 en le consacrant à Antonia Bird, mais c’est un faux confort, tant elle est méconnue.
Le choix des collaborateurs du numéro 1 ?
Le numéro 1 s’est fait à petit comité. Trop petit, d’ailleurs. J’ai signé trop de pages, on a perdu en partie l’aspect collectif des débuts. Même le noyau dur des habitués n’a pas totalement participé à l’aventure. Gérer la partie administrative en plus de la rédaction, ça m’a rendu control freak malgré l’aide précieuse de Marie Lemoine, notre maquettiste, qui a travaillé avec l’imprimeur et géré cet aspect du processus.
Je suis fier du dossier et des articles du premier numéro, néanmoins je me retrouve davantage dans le numéro 2, plus collectif, où la plupart des textes que j’ai rédigés sont coécrits avec Muriel Cinque. Elle est corédactrice en chef sur le numéro 2. C’est grâce à ses idées, sa patience et sa ténacité qu’il a pu voir le jour. Ce dossier sur Antonia Bird n’existerait pas sans elle.
C’est Gilles Vranckx, dont j’admire le travail, qui a réalisé la couverture du numéro 1. C’est à lui que l’on doit les sublimes affiches des films de Hélène Cattet et Bruno Forzani : Amer, L’Étrange couleur des larmes de ton corps et Laissez bronzer les cadavres. La seconde, en particulier, est un sublime hommage à Alfons Mucha. Je savais que Gilles comprendrait instinctivement mes directives : je lui ai demandé de représenter une femme nue qui arrache sa propre peau, qui la retire comme si c’était un manteau. Avec l’aide du modèle Aline Stevens, ils sont arrivés à ce résultat bizarre et baroque. Je tiens à les remercier à nouveau pour leur participation.
Pour suivre l’actualité de Gilles Vranckx : gillesvranckx.blogspot.com
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Quelles aides financières ou autres bénéficiez-vous ?
Aucune, le magazine n’existe que grâce à ses lecteurs. C’est toujours un pari risqué, on verra si la campagne de préventes du numéro 2 atteint ses objectifs.
Avez-vous essuyé des refus de collaborations ?
Le distributeur Haut et Court a refusé que nous nous servions d’une image de L’Apollonide : souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello pour illustrer un article dans le numéro 1, car la comédienne Adèle Haenel ne souhaitait pas que nous imprimions la série de plans dont nous avions besoin – tous issus de la scène où elle joue le rôle d’une poupée pour satisfaire le fantasme d’un client. Nous n’avons eu que ce refus, et c’est leur droit. On s’est simplement passé de ces photogrammes.
Pour le numéro 2, c’est plus radical. Avant de prendre la décision d’éditer nous-mêmes le dossier sur Antonia Bird, Muriel Cinque et moi-même avons tenté de proposer le texte à des rédactions, dont So Film, Positif et Mad Movies, sans succès. J’ai aussi tenté de frapper à la porte des Cahiers du Cinéma. Un journaliste de l’ancienne équipe des Cahiers, Stéphane du Mesnildot, a eu la gentillesse de faire remonter notre article. « Désolé, personne ne sait qui est Antonia Bird à la rédaction ». Pourquoi persister ? On tenait le sujet et la couverture du numéro 2 de L’Infini Détail !
Quelle est la part de ventes à des particuliers / vente à des bibliothèques ?
La plupart des ventes sont des préventes : le préachat du magazine permet d’en financer les impressions. Nous revendons l’excédent de magazines aux particuliers et aux libraires qui le demandent ensuite.
Comment ce premier numéro a-t-il été accueilli ?
On a eu 130 précommandes et imprimé 200 numéros. Les retours étaient très bons, des lecteurs, – dont quelques enseignants -, ont souligné l’originalité du sujet et l’élégance de la maquette, tout comme la bibliothèque de la Cinémathèque de Toulouse, à qui nous avons fait don d’un exemplaire. J’aurais dû m’entourer davantage au moment de promouvoir et distribuer le numéro 1. Le travail de Marie Lemoine, de Gilles Vranckx et de l’équipe, dont celui de notre relectrice Mathilde Lemaire, méritait plus d’exposition, de retours.
Passons au second numéro : pourquoi avoir choisi de mettre la réalisatrice Antonia Bird en couverture ?
L’anonymat d’Antonia Bird est un mystère. Les cinéastes méconnus sont légion. On peut comprendre qu’une artiste comme Maya Deren soit méconnue du grand public par exemple, tant ses films sont ouvertement expérimentaux. Or, les films et téléfilms d’Antonia Bird sont les plus accessibles qui soient. Il suffit de se mettre devant pour être captivé.
J’ai découvert cette réalisatrice britannique née en 1951 avec le film Vorace, quand j’avais 12 ans. L’affiche française ne présentait rien d’autre qu’une bouche tenant un doigt coupé. Je pensais voir un énième film d’horreur pas de mon âge, je me suis retrouvé face à un chef-d’œuvre d’originalité, de maîtrise et de densité narrative. Vorace compte parmi mes dix films préférés au monde. Le cinéphile étant monomaniaque, j’ai revu le film pendant 15 ans, sans trop me soucier de ce que Antonia Bird avait bien pu faire d’autre.
J’ai commencé à explorer sa filmographie en 2016. Si Vorace demeure son plus grand film, il est aussi l’arbre qui cache la forêt. Sa filmographie compte Prêtre, portrait d’un jeune homosexuel rentré dans les ordres. La Cellule de Hambourg, qui suit pas à pas la radicalisation et l’endoctrinement d’un étudiant libanais jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, est passionnant aussi. Côté œuvre sociale, son Safe dépeint avec force le quotidien d’une jeunesse à l’abandon. Antonia Bird incarnait un cinéma vivant, direct et surtout, très efficace.
Le manque de promotion de ses œuvres explique, à mon sens, son anonymat. Le fait que ce soit une femme a peut-être joué en sa défaveur. Mais si on l’a choisie, c’est pour une raison et une seule, et elle n’est pas politique : son monstrueux talent de cinéaste. C’était une directrice d’acteurs extraordinaire, dotée d’un sens du rythme très précis. Elle tirait le meilleur de ses histoires et de ses techniciens. Mieux vendus, mieux distribués, ses films lui auraient offert une grande renommée.
Le choix de l’illustratrice pour réaliser la couverture de votre second numéro ?
C’est Muriel Cinque qui a découvert Rackdamn, notre illustratrice, lors d’une exposition. Elle a immédiatement compris que nous avions trouvé la bonne personne pour le portrait d’Antonia Bird en couverture. Dont acte !
Toutes les œuvres de Rackdamn sont à découvrir sur https://linktr.ee/Rackdamn_art
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Le format et les collaborateurs pour ce second volume ?
Le premier et le second volumes font tous deux 80 pages, sans espace publicitaire. Nous avons imprimé le premier en France et nous recommencerons pour le second. Le premier était pris en charge par la Manufacture d’histoires Deux Ponts, le second sera confié à De Rudder.
Le dossier sur Antonia Bird occupe deux tiers du magazine. Le reste est composé, entre autres, d’un article sur Bill Plympton. Ses films sont assez poétiques, crus et fous pour que nous leur accordions une belle place. On aborde trois films majeurs de Plympton dans notre article : L’Impitoyable Lune de miel, Des idiots et des anges et Les Amants électriques. Tous trois sont des merveilles d’insolence et de lyrisme sur la vie de couple. Ils sont en vente chez ED Distribution, à 14 ou 20 euros pièce. ED ayant accepté un partenariat pour la campagne Ulule, les films sont en vente en pack avec notre numéro 2, à 8 euros pièce. Ce qui vous fait 25 euros pour la revue plus un chef-d’oeuvre iconoclaste !
L’Infini Détail ne se cantonnant pas au cinéma, on cause aussi BD, manga, séries et jeux vidéo dans une rubrique dédiée, Digressions. La saga de jeux vidéo The Last of Us ayant marqué la rédaction, on consacre un double article aux opus 1 et 2. Ces douze pages ont été coécrites par Muriel, moi-même et une autre fidèle plume, Isé Monédière, notre plus jeune recrue. La revue se conclut par la traditionnelle rubrique One Shot, où trois rédacteurs analysent un plan précis d’un film cher à leur cœur. Isé a rédigé une sublime analyse de l’introduction de Fanny & Alexandre d’Ingmar Bergman.
Comment s’est réparti le travail ?
L’Infini Détail, c’est très participatif ! J’ai l’étiquette de rédacteur en chef depuis que Pauline Quinonero m’en a laissé les rênes, mais je suis aussi président de l’association « L’Infini Détail », notre structure. Il m’arrive de faire de la relecture aussi, en plus d’animer le podcast. Mathilde Lemaire, notre correctrice attitrée, codirige avec moi le podcast dont elle est aussi devenue la monteuse. Elle abat un travail colossal dans la relecture de la maquette. Quant à Muriel Cinque, c’est une force vive de la rédaction depuis les débuts, dans la quantité de textes qu’elle a écrit seule ou que nous avons coécrits et, aussi, dans la prise de contact pour les entretiens. Le site et la revue lui doivent énormément. Jordan More-Chevalier, qui gère le site internet, est également rédacteur. C’est grâce à cette énergie globale que L’Infini Détail fonctionne.
Nous comptons un seul nouveau rédacteur pour le numéro 2 : Jean-Baptiste Garnier, transfuge de La 7e Obsession, qui s’est proposé. Il signe un superbe texte sur la série animée La Forêt de l’étrange. Les apports majeurs de ce nouveau numéro, comme dit plus haut, viennent de la vétérane Muriel Cinque. Nous avons coécrit à parts égales le dossier sur Antonia Bird et les entretiens avec ses collaborateurs, ainsi que l’article sur Bill Plympton, génie de l’animation pour adultes qu’on apprécie beaucoup tous les deux.
Le choix de passer par Ulule ?
Nous avons choisi Ulule pour le second numéro car ils permettent de baser la réussite de la campagne de crowdfunding sur le nombre de préventes plutôt que sur l’argent collecté, ce qui nous permet d’afficher clairement « préventes » en haut de la campagne. Ça nous avait manqué avec la précédente plateforme, Proarti, avec qui nous avons eu une bonne expérience cependant.
Campagne pour soutenir la sortie du numéro 2 : https://fr.ulule.com/l-infini-detail-ndeg2/
Quelle est ta plus grande fierté ?
Que Muriel et moi ayons mené à bien ce numéro sur Antonia Bird. C’est un grand nom du cinéma britannique passé sous silence depuis trop d’années. Au-delà de ce plaisir, ma plus grande fierté, ce sont les collaborations, les rencontres occasionnées par le projet. J’ai un souvenir merveilleux du premier festival que nous avons couvert en tant qu’organe de presse, les Hallucinations Collectives à Lyon, en 2016.
Lancer L’Infini Détail, voir le média prendre vie puis perdurer sous forme de podcast, perpétuer l’esprit de curiosité qui anime la rédaction, sont des choses dont je peux parler la tête haute. Jamais je ne montrerai suffisamment de gratitude, sur ce numéro 2, envers la persévérance de Muriel Cinque, de notre maquettiste Marie Lemoine et de notre correctrice Mathilde Lemaire. Je suis entouré de gens qui se sont déchaînés pour créer le plus beau magazine dont on soit capable.
Toutes les infos sur le site de L’Infini Détail
Campagne pour soutenir la sortie du numéro 2 : https://fr.ulule.com/l-infini-detail-ndeg2/
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Toute l’actualité de Rackdamn est à découvrir sur https://linktr.ee/Rackdamn_art
Toute l’actualité de Gilles Vranckx : gillesvranckx.blogspot.com