Avant de retrouver Michel Fau au Théâtre de la Cité du 21 au 23 décembre 2021 dans le George Dandin de Molière/Lully, qu’il interprète et met en scène, Classictoulouse l’a rencontré pour évoquer le Wozzeck d’Alban Berg dont il assure la mise en scène au Théâtre du Capitole. Après une Elektra qui a fait date dans les annales de l’illustre salle toulousaine, il y avait peu de chance pour que cet ouvrage ne trouve chez lui matière à d’amples réflexions.
Classictoulouse : Quel a été votre premier contact avec Wozzeck ? La littérature ? L’opéra ?
Michel Fau : En fait j’ai découvert très jeune la Lulu d’Alban Berg et je me souviens en avoir été bouleversé. Concernant Wozzeck j’ai d’abord vu la pièce de Georg Büchner et bien sûr très vite je me suis intéressé à l’opéra. Je crois me souvenir que la première représentation à laquelle j’ai assisté était au Châtelet dans la mise e en scène de Patrice Chéreau. Ensuite je me souviens très bien de la production de Christoph Marthaler à l’Opéra Bastille en 2006.
CT : Se confronter à la mise en scène du Wozzeck d’Alban Berg s’est se trouver face à l’un des ouvrages majeurs de l’art lyrique. Et aussi une œuvre d’une effrayante complexité sociale et mentale sur le plan dramatique. Quelle a été votre réaction lorsque Christophe Ghristi vous l’a proposée ?
MF : Avec Lulu, Wozzeck fait partie des œuvres que je rêvais de mettre en scène car c’est du théâtre, chanté certes mais surtout du théâtre. La richesse de Wozzeck est inépuisable. Elle mélange le grotesque avec le lyrisme, l’expressionnisme avec la violence et tout cela dans une peinture sociale vertigineuse. C’est une œuvre qui vous emporte malgré vous car le texte et la musique sont d’une rare puissance. J’aime bien prendre les œuvres de manière frontale. Je me refuse donc à la contourner avec une mise en scène qui va détourner le texte pour finalement être d’un académisme consternant. De plus l’écriture vocale recouvre plusieurs styles et comme d’habitude au Capitole nous avons une distribution exceptionnelle de chanteurs dont beaucoup prennent leur rôle à cette occasion. Certes ils sont dans l’incarnation mais aussi je peux vous le dire dans le culte du beau chant. Permettez-moi de souligner la complicité qui m’unit avec le chef d’orchestre Léo Hussain dans le souci de cultiver les contrastes multiples contenus autant dans le drame que dans la partition.
CT : Disparu à 24 ans, en 1837, Georg Büchner n’a pu finir sa pièce Woyzeck. Alban Berg fera créer son opéra Wozzeck en 1925. A travers le temps, quel lien réunit ces deux artistes ?
MF : N’oublions pas qu’Alban Berg était un mystique et quand vous écoutez le troisième acte de Wozzeck il y a peu de doute quant à l’intérêt qu’il portait à la pièce de Büchner qui lui-même était, n’en doutons pas, un mystique. Il n’y a qu’à se pencher sur son œuvre pour s’en convaincre. En tout état de cause nous nous trouvons comme dans Thaïs ou Tannhäuser entre le Diable et le Bon Dieu. Berg nous parle ici de la décadence la plus totale et, en même temps il fait apparaître Marie Madeleine. J’ai également travaillé sur le rapport médical qui a conduit le vrai Wozzeck, en fait Woyzeck, sur l’échafaud. Etait-il fou ou pas ? Car il a quand même tué sa femme ? La conclusion semble être sans appel, il ne l’était pas, d’où la condamnation à mort. Cela dit, à la lecture dudit rapport, il avait l’air tout de même pas très bien… Nous en avons parlé avec Stéphane Degout et il nous est apparu comme un être paranoïaque et déjà très avancé dans sa folie. Loin du gentil Wozzeck simple victime d’une société qui le broie.
CT : La majorité des productions actuelles de cet opéra font la part belle à une transposition contemporaine. Quelle est votre option ?
MF : Comme je vous disais précédemment je n’aime ni la convention ni l’académisme, tout en sachant qu’aujourd’hui des productions qui se veulent décalées sont totalement académiques car tout le monde les réplique. En fait, c’est la modernisation qui devient académique, tout un système qui ne veut plus rien dire. Je ne voulais pas de ces visions qui font la part belle au sordide, visions très souvent attachées à cette œuvre. Il n’y a pas que çà dans Wozzeck. A bien y regarder il y a de la poésie, du lyrisme, de la métaphysique. Du coup j’ai essayé de réinventer une sorte d’expressionnisme en privilégiant le côté poétique de l’œuvre. Le point de départ est l’époque du drame, à savoir le début du 19ème siècle et nous l’avons réinterprété car tout se passe au travers du regard de l’enfant de Wozzeck. C’est pour cela que j’ai pris un jeune comédien et non pas un enfant car je voulais qu’il assiste à tout depuis le viol de sa mère jusqu’à être lui-même maltraité. L’ouvrage devient un conte macabre, une légende maléfique. Vous verrez des personnages qui, devant le regard de l’enfant, se transforment en marionnettes. Comme vous pouvez le constater je m’entoure toujours d’artistes très différents pour les décors, costumes, etc, car le danger serait que je plaque mes propres névroses sur les pièces que je mets en scène. Ils m’apportent chaque fois des éclairages nouveaux et sont une sorte de contre-pouvoir. En fait il n’y a rien de réaliste dans cette pièce, nous sommes totalement dans le domaine d’un mythe, celui de la tragédie.
CT : En dehors de l’aspect scénographique de votre travail, quels sillons souhaitez-vous particulièrement creuser dans votre mise en scène ?
MF : Je veux parler de la folie humaine, de l’homme en tant qu’abîme vertigineux. Je souhaite transformer ce drame en un fait divers métaphysique. D’autant que ce dernier fait écho, mais puissance 10, à notre monde actuel.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
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