Naviguant habilement et avec succès entre deux tessitures, la cantatrice française Sophie Koch élargit depuis quelques années considérablement son répertoire, sans toutefois abandonner les rôles qui l’ont imposée sur la scène mondiale. Pour l’heure, le public capitolin a le bonheur de la retrouver pour sa première Marie du Wozzeck d’Alban Berg. Une nouvelle pierre à l’édifice d’une carrière parmi les plus remarquables de l’art lyrique français. Rencontre.
Classictoulouse : Avant une série à venir du Compositeur dans l’Ariane à Naxos de Richard Strauss, un rôle-signature dans votre carrière, vous allez aborder pour la première fois le personnage de Sieglinde de La Walkyrie de Richard Wagner à Marseille en février prochain, un emploi distribué depuis toujours à des sopranos. Aujourd’hui au Capitole, vous chantez votre première Marie du Wozzeck d’Alban Berg, autre rôle traditionnellement dévolue à un soprano. Est-ce un virage dans votre répertoire ?
Sophie Koch : Voilà maintenant plus de 25 ans que je chante une tessiture de mezzo-soprano avec beaucoup de rôles ayant une tessiture à cheval entre la mezzo et le soprano. Avec le temps et les muscles qui sont plus résistants, j’ai pu me confronter à des emplois plus aigus, comme Vénus de Tannhäuser, l’Ariane de Paul Dukas, Kundry dans Parsifal et maintenant Marie et Sieglinde. Je ne dirai pas que c’est un tournant, mais plutôt que je repousse un peu mes limites.
CT : Venons-en à Wozzeck et Alban Berg. Quel a été votre premier contact avec ce compositeur, puis avec cet opéra ?
SK : J’ai abordé Alban Berg par les mélodies et c’est bien plus tard je me suis mise à Wozzeck. J’avais un peu peur de cette noirceur.
CT : Wozzeck est une œuvre courte, même pas une heure et demie, mais d’une intensité dramatique quasiment insoutenable pour le spectateur. Comment gérez-vous la montée en puissance de cette tragédie en tant qu’interprète ?
SK : Après avoir discuté avec le chef Leo Hussain, qui maîtrise parfaitement cet ouvrage, et connaissant mes propres limites, je fais attention à ne pas trop crier ou parler sans soutenir le sprechgesang* qui parfois est impossible à faire dans la tessiture écrite. C’est typiquement une œuvre ou il faut garder le contrôle tout en donnant l’impression de le perdre !! C’est là que les répétitions sont importantes.
CT : Si l’on excepte deux célèbres mezzo-sopranos : Marylin Horne et Christa Ludwig, qui se sont illustrées dans le rôle de Marie, ce sont clairement des sopranos, pas nécessairement dramatiques, qui ont inclus ce personnage dans leur pré carré. Au regard de votre partition, à son écriture en fait très centrale malgré tout et ses sauts d’octaves, avec son ut dièse triple forte, ses descentes abyssales vers un contre-mi grave, on en vient à se demander finalement comment une chanteuse peut se mesurer à pareil challenge…
SK : En écoutant des versions d’époques et de styles différents, j’ai été souvent surprise d’entendre la liberté que prenaient certains de mes confrères avec le texte musical. Certainement un choix artistique, tirant l’œuvre plus vers le théâtre. En accord avec le chef et au maximum de mes possibilités, je m’efforce de respecter la partition tout en gardant le côté théâtral quand le sprechgesang est demandé. Certaines notes sont des effets plus que des notes véritablement chantées… Il n’en reste pas moins un contre ut vraiment chanté et un sol grave, ce qui est déjà bien !
CT : Quel portrait allez-vous tracer de ce personnage et a-t-il un écho aujourd’hui ?
SK : Le portrait de cette Marie, dans la vision du metteur en scène Michel Fau, est entre la femme-enfant, la victime et la femme désespérée. Il y a beaucoup de naïveté en elle, ce qui la rend touchante. Comme il s’agit d’une interprétation quasi onirique, je ne vois pas trop un écho avec le réel, mais je pense néanmoins que ce profil existe surtout chez certaines adolescentes.
CT : Peut-on « rêver » d’incarner Marie au même titre que Chérubin, Octavian, Le Compositeur ou encore Charlotte par exemple ?
SK : Rêver d’incarner Marie ? Pourquoi pas…rien que pour le sublime début du 3ème acte. Elle a de nombreuses facettes qui en font un personnage fascinant. Du coup on en vient en tant qu’interprète à regretter qu’il ne soit pas plus long.
CT : Quelles sont vos prochaines prises de rôle ou du moins celles que vous souhaiteriez faire ?
Dans mes futures prises de rôle, il y aura Léonore du Fidelio de Ludwig van Beethoven, que je rêvais de faire, Sieglinde bien sûr et d’autres, mais il est encore un peu tôt pour les dévoiler.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
*Style vocal à mi-chemin entre la déclamation parlée et le chant