C’est bien au Théâtre du Capitole à Toulouse qu’à partir du 19 novembre, et pour seulement quatre représentations, sera donné d’Alban Berg, son premier opéra, Wozzeck, le plus joué des ouvrages lyriques des compositeurs de la trinité viennoise qu’il constitua avec Arnold Schoenberg et Anton Webern.
Consulter mon premier article qui traite surtout de la pièce de Georg Büchner servant de base à Alban Berg pour écrire le livret, mais aussi, du type de musique qui fit une sorte de révolution au début du XXè siècle, en rupture totale avec la musique que l’on qualifiera “d’avant“, et pour être à peine plus précis, “d’après“ ces quelques années marquées par «la musique sérielle» ou « Zwölftonkomposition » !!! Le « précurseur », l’ « inventeur », le dénommé Arnold Schœnberg, ne dira-t-il pas, non sans quelque humour : « J’ai toujours essayé de faire quelques chose de tout à fait conventionnel, mais j’ai échoué ; et toujours contre ma volonté, le résultat devint quelques chose d’inusité. Combien il a raison, par conséquent, le mélomane qui refuse d’apprécier une musique que même le compositeur n’a pas voulu écrire. »
Élève de Schoenberg, Alban Berg sera son élève pendant plusieurs années et, finalement, composera, entre autres opus, ce Wozzeck dont son maître dira : « Je fus fort surpris lorsque ce cœur tendre, ce timide jeune homme eut le courage de s’engager dans une aventure qui semblait appeler l’échec : composer Wozzeck, un drame d’une tension tragique si extraordinaire qu’il paraissait exclure toute musique. Mieux encore : l’ouvrage contenait des scènes de la vie quotidienne contraires à la conception lyrique survivant dans la stylisation des costumes et la convention des caractères. Il réussit. Wozzeck fut un des plus grands succès de l’opéra.
Et comment ça ? Parce que Berg, cet homme timide, possédait un caractère énergique qu’il prouva lorsqu’il me fut fidèle en un temps où il fut presque contraint d’interrompre ses études avec moi. {…} Croire au succès de ses propres idées, voilà la qualité qui fait un grand homme. »
À la tête de cette nouvelle production de Wozzeck au Théâtre du Capitole, Leo Hussain ne peut que nous laisser envisager le meilleur d’autant plus après lecture des commentaires concernant sa prestation à Vienne courant octobre 2017, dans ce même opéra. Les récents événements nous ont hélas privés de son Pelleas et Mélisande et de la si rare Carmélite de Reynaldo Hahn. On cite ici à nouveau les musiciens de l’Orchestre du Théâtre qui n’ont rien à envier à ceux de la phalange de l’Opéra de Paris et ce, d’autant, après la prestation enthousiasmante de leurs collègues à la Halle ce samedi 6 novembre dirigés par Thomas Guggeis, tout jeune chef brillant qui devrait en avoir convaincu un certain nombre pour assurer une digne succession devenu inéluctable.
Aucune inquiétude non plus, sans y revenir davantage, pour la mise en scène, les décors et costumes et lumières, respectivement confiés à Michel Fau, Emmanuel Charles, David Belugou et Joël Fabing (voir premier article).
Question comprimari, on remarque la Margret de la mezzo Anaïk Morel, applaudie dans le rôle du Compositeur ainsi que l’Andrès du ténor Thomas Bettinger remarqué dans Lucrèce Borgia et Dialogue des Carmélites. Dans Il Doctor, c’est le baryton-basse Falk Struckmann qui nous fera se souvenir d’un certain Orest dans des lointains Elektra à la Halle ! C’est un habitué de tous les ouvrages de Wagner, et de façon plus large, tout le répertoire des opéras en langue allemande, de Fidélio à Richard Strauss. Dans Le Capitaine, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est un ténor au vaste répertoire qui sera une découverte pour nous au Capitole.
Et nous en arrivons au trio de tête, avec ces portraits déchirants animant ce véritable théâtre de la cruauté dans un cadre impitoyable ne laissant aucune échappatoire. Prise de rôle pour le Wozzeck du baryton Stéphane Degout, tout comme pour sa Marie, la mezzo Sophie Koch. Le ténor Nikolai Schukoff sera le Tambour-Major. Trois artistes pour lesquels j’affirme, sans trop de risques, qu’ils ont nombre d’admirateurs inconditionnels au Théâtre du Capitole.
Nikolai Schukoff fit ses débuts ici même dans le Mahagonny, puis fut Turridu dans Cavalleria rusticana, et surtout un extraordinaire Pedro dans Tiefland. Même qualificatif en suivant pour son rôle-titre dans Parsifal. On se réjouit bien évidemment de le retrouver dans cet emploi “héroïque“. Voix et physique devraient faire merveille.
Pour suivre, je me permets de citer mes quelques lignes données en compte-rendu du Parsifal dans lequel Parsifal-Schukoff était sur scène avec Kundry-Sophie Koch. Les qualités relevées pour l’un comme pour l’autre m’oblige à un parallèle évident avec celles nécessitées ici-même : « Nikolai Schukoff est un Parsifal crédible de bout en bout. Certains anciens le rapprochaient d’un Parsifal entendu autrefois, un certain John Vickers. Pas besoin de s’agiter pour rien, de faire grand chose dans les trois actes. Tout ou presque doit passer par les expressions du visage. De l’ado de l’acte I, tels qu’on peut les connaître !! puis la perplexité, la naïveté et ensuite la révélation clamé avec des aigus rayonnants !! Voilà un ténor de timbre presque solaire, plein de vaillance vocale, pile pour un Parsifal messianique. Un rôle travaillé, parfait pour ce chanteur actuellement. Est-ce le fait d’avoir enfin rencontré sa Kundry ? Sophie Koch aurait fait une erreur impardonnable de passer à côté de ce rôle. Des graves que l’on connaît à l’investissement dans les aigus, pleine de tempérament, la chanteuse nous a “scotchés“. Jusqu’aux cris qu’elle fait chant. Et actrice de surcroit avec toute l’animalité du personnage, ardente et subtile. Voluptueuse à souhait dans sa robe noire, qui n’a pas suffi pour faire “craquer“ un Parsifal plus adulte, mais toujours aussi pur ! »
Pour Sophie Koch, rien à rajouter, et surtout pas la liste des ouvrages qui l’ont faite applaudir ici : trop longue !!
Nous en arrivons au rôle-titre, Wozzeck confié à Stéphane Degout. Et nous sommes très impatients de découvrir quelle va être, sur scène, sa vision du personnage. Ce qui ne m’empêche pas de citer quelques locutions se rapportant à l’artiste, nous laissant espérer une composition hors-normes. « En scène, son charisme impressionne, secondé par une voix souple comme une liane, nette comme une lame. Le baryton français, stupéfiant de maîtrise, est à l’apogée de son art. »
Mais encore, quand le théâtre disparaît devant le chant : « …cette qualité de présence où c’est le chant qui fait le principal, un chant souverain, naturel total ; ne faisant qu’un avec le geste ; se pliant d’ailleurs à tout ce qu’une mise en scène d’aujourd’hui peut exiger. »
En résumé encore pour présenter cette “pépite“ du chant : « Tout vient à point , quand tout se laisse mûrir dans la réserve d’un artiste qui n’a jamais rien forcé, ni la voix, {…}, ni la chance. » Hamlet l’accapare, de même que Chorèbe dans Les Troyens de Berlioz, sans oublier Oneguine, hélas annulé à Toulouse,…
Rendez-vous au Théâtre du Capitole, les 19, 21, 23 et 25 novembre.