Claire Bacquet et Chloé Lalanne sont les deux co-directrices du désormais célèbre festival Marionnettissimo, le rendez-vous annuel du théâtre de la marionnette, à Tournefeuille. De sa création en 1990 à son évolution dans la métropole toulousaine, ces deux passionnées militent pour la reconnaissance d’un art populaire d’une extrême technicité, où l’inutile prend tout son sens. Regards croisés.
Qu’est-ce que Marionnettissimo en 2021?
CL : Marionnettissimo, c’est une association toulousaine créée par trois marionnettistes Marina Montefusco, Rosetta Arcuri et Jean Kaplan en 1990 et qui agit pour le développement et la reconnaissance de la marionnette contemporaine. Elle a longtemps été sans domicile fixe, nous nous produisions d’abord à l’Espace Bonnefoy à Toulouse, au Bijou et dans toutes sortes d’endroits comme le Taquin chaque année, chez DAda, La Bohème, le Petit Vasco…. Nous avons ensuite élu domicile à Muret puis à Tournefeuille. Le festival était une biennale jusqu’en 2006 avant de devenir annuel en 2008. Alors qu’en 2013, Jean Kaplan préparait son départ à la retraite, il a souhaité confier progressivement les rênes aux personnes qui avaient appris à ses côtés, en passant la direction collégiale à l’équipe début 2016. Cela s’est donc fait progressivement, par phases. Aujourd’hui nous sommes une équipe de 7 personnes dont 5 permanents. Deux co-directrices accompagnées de 3 salariées permanentes et de deux personnes en renfort pour le festival.
CB : Il nous a laissé beaucoup d’autonomie puisque la dernière année, il était à temps partiel, nous permettant de prendre les choses en mains et de comprendre l’ampleur du travail à mettre en place. Depuis sa création, le festival tend à montrer la diversité de la création contemporaine à travers toutes les esthétiques, comme les différentes techniques utilisées pour la marionnette.
CL : Nous sommes une des structures les plus anciennes parmi celles dédiées aux arts de la marionnette en France. L’art de la marionnette représente à la base des divinités et est issue d’une culture, une tradition où l’on personnifiait ces divinités. Cet art est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Il y a même une ONG de la Marionnette. En France, Guignol (marionnette à gaine française créée à Lyon vers 1808 par Laurent Mourguet. Le terme désigne également par métonymie le théâtre de marionnettes comique – ndlr) est devenu un outil de parole et de liberté politique entré dans le champ du théâtre. Pour la majorité des gens, la marionnette ne concerne que des jeux pour enfants, des amusements, des peluches… C’est une image tenace.
CB : En 2019, le festival a été compacté sur 4 jours pour un format plus festif et plus condensé, passant de 6 à 4 jours à Tournefeuille. En 2020, il a dû être annulé avec pas mal de spectacles reportés. Cette année 2021 retrouve un festival revigoré, grâce à un format de 6 jours à Tournefeuille.
CL : Nous essayons d’offrir une vraie visibilité sur toutes les techniques contemporaines différentes de la marionnette. Aujourd’hui notre coeur d’activité est à Tournefeuille. La programmation hors festival est co-construite avec Elise Morisset (programmatrice de l’Escale et directrice du service culturel de la mairie de Tournefeuille).
CB : Nous bénéficions de 150 lieux partenaires du festival depuis 1990. Cette année, nous avons la chance de devenir structure associée du ThéâtredelaCité, à partir de 2022 pour 3 ans, avec des projets d’une ampleur inégalée pour nous. Nous sommes très heureuses de cette nouvelle dynamique, car cela va permettre de changer l’image ringarde et enfantine que se font les gens de la marionnette et de l’anoblir en quelque sorte.
Que représente pour vous la marionnette à l’ère du numérique ?
Arrivez-vous à toucher tous les publics ?
CB : Nous avons la chance d’ouvrir actuellement de nouveaux espaces, où sont situés nos bureaux et prochainement, nos salles d’ateliers et de formations. Nous allons travailler en ce sens pour nos ateliers avec nos nouveaux voisins, l’association Le Proyectarium. Parmi leur réalisation, la création vidéo-mapping, la lumière performative, l’impression 3D ou la programmation orientée objets, qui s’associent dans tout type de contexte : expositions, installations, performances, concerts, art de la rue, théâtre, cirque, habillage architectural… L’artisanat lié au numérique promet beaucoup pour les artistes qui se forment chez nous. Le mélange du manuel et du numérique est pertinent.
CL : Les enfants sont de fait intéressés par les formes animées bien que certains spectacles vont davantage parler aux adultes dans leur approche technique, esthétique, comme dans le récit qui y est associé. Nos programmations peuvent concerner les scolaires avec lesquels nous travaillons de la maternelle à la Terminale. Vous avons passé une semaine au Collège Léonard de Vinci à Tournefeuille, pour former au théâtre d’objets.
Mais les adolescents restent difficiles à capter, ne serait-ce que par l’usage des réseaux sociaux. Le stop motion, mélange entre fabrication et montage vidéo en lien avec nos spectacles sont des outils qui les intéressent. Et puis, lorsque nous intervenons dans les lycées face à des jeunes qui parlent peu, manipuler la marionnette leur offre tout à coup la possibilité de s’exprimer autrement et de sortir des trucs incroyables !
Quelle a été l’évolution du festival et quelle est votre position aujourd’hui ?
CB : L’association Marionnettissimo, reconnue d’intérêt général et loi 1901 est aussi un organisme de formation professionnelle pour les artistes. Nous sollicitons des artistes spécialistes d’une technique de manipulation ou de construction pour qu’ils dispensent des formations.. Nous intervenons 2 à 3 fois par an en complémentarité avec les formations initiales diplômantes, comme celles de l’Ecole de marionnettes de Charleville-Mézières, où le festival mondial des théâtres de marionnettes a lieu chaque année en septembre, depuis 60 ans. Nos formations permettent d’approfondir les connaissances des techniques de fabrication ou de manipulation, de mise en scène, de dramaturgie, d’écriture pour la marionnette, différente de celle du théâtre.
Charleville-Mézières, c’est notre festival d’Avignon à nous ! on y va en tant que programmateur et on y découvre chaque fois des compagnies uniques en France. Les artistes viennent chez nous pour approfondir leurs connaissances. S’ils veulent utiliser des objets pour représenter ce qu’ils veulent exprimer, ils peuvent trouver des réponses et des matières chez Marionnettissimo.
CL : La marionnette en elle-même peut représenter tellement d’usages et de formes différentes : ces formes sont liées à des techniques de manipulations différentes. Mais la marionnette peut à la fois incarner un personnage, qui va prendre toutes les tailles, manipulé par une ou plusieurs personnes, comme un théâtre d’objets, très figuratif ou très conceptuel, un théâtre d’ombres, un théâtre de matières, incluant du sable, du papier, de l’argile, du scotch…
On est très loin du virtuel puisque c’est un art artisanal. Et pour autant, dès qu’il y a une notion de manipulation, style Pop Up, qui va permettre de faire de grands décors, c’est aussi de la marionnette. Le papier, c’est une matière que tous les marionnettistes adorent parce que c’est une matière qui peut brûler, donner des images extrêmement fortes qu’on ne pourrait jamais avoir avec des comédiens. Tout est possible avec une marionnette : on peut voler, être immense ou minuscule, mourir puis ressusciter mille fois sous une autre forme. Il y a le théâtre de sable et le théâtre d’argile. Par exemple, prenons une boule d’argile pour en faire rapidement une tête : on peut la manipuler puis le comédien la fait dialoguer à 2 à 3 personnes et ça reste de la marionnette. La Marionnette, c’est du théâtre par la manipulation d’objets, qui prend le pas sur le comédien et le texte.
Quel serait votre meilleur souvenir depuis votre arrivée dans l’association ?
CL : Je suis arrivée en 2011, soit 2 ans avant le départ de Jean Kaplan. Les Iraniens de la compagnie Yase Tamam, avec lesquels nous avons travaillé en 2016, venus présenter leur spectacle « Count to one » au festival, restent peut-être mon meilleur souvenir. Ce spectacle donne vraiment du sens à ce qu’est la marionnette. La metteuse en scène iranienne Zahra Sabri nous montre comment, dans une société répressive, la marionnette peut dire et faire plus que l’acteur sur scène. Elle mettait en scène 4 hommes. Le spectacle était inspiré par les poèmes multi-centenaires d’Omar Khayyam, déjà, c’est peu banal. Le spectacle présentait trois soldats perdus en terres inconnues qui décident de cesser le combat. Ils racontaient leur fuite en fabriquant des sculptures d’argile. Animant ainsi toutes sortes de personnages et d’animaux, ils combinaient images contemporaines et poésie orientale traditionnelle, pour créer une métaphore clairement engagée contre la guerre, le tout sans aucun mot, accompagné d’un musicien multi-instrumentiste. Les marionnettes se touchaient et dansaient ensemble sur de la musique traditionnelle, ce qui est interdit dans leur pays.
La rencontre avec le public fut magnifique, comme leur tournée en France.
CB : Moi je suis arrivée en 2014 et je viens du milieu de la musique et du théâtre près de Paris. J’arrivais sans à priori, en ayant vu auparavant des spectacles de grande qualité mais ce n’était pas un choix de venir à Marionnettissimo, plutôt une vraie rencontre avec la discipline artistique. Les choses à faire étaient toutes passionnantes et le message à porter autour d’un art subissant beaucoup d’à priori de la part de certains partenaires et d’un certain public. La reconnaissance acquise et la participation du public notamment m’ont marquée.
Mon meilleur souvenir de spectacle, c’est [Hullu] de la Compagnie Blick Théâtre, présenté à l’Escale à Tournefeuille en 2018. C’est un cirque de marionnettes, l’un des spectacles les plus bluffants par sa technicité, sa virtuosité, que j’ai pu voir chez Marionnettissimo.
Les marionnettes traversent la scène et à aucun moment, on ne voit les manipulations. Visuellement, en terme de contorsions et de manipulations, c’est extraordinaire. Ce spectacle traitait du passage de la raison à la folie (Hullu en finnois). Les marionnettes prennent leur autonomie et on ne sait plus qui manipule l’autre. Avec Blick Théâtre, humains et marionnettes se renvoient la balle et bouleversent nos perceptions de l’étrange et de l’étranger. Pour moi c’est du travail de très haut niveau, de par son exécution et sa justesse.
Quel serait enfin votre plus grand espoir pour le festival qui débute prochainement ?
CL : Le plus grand rêve qu’on pourrait nourrir, c’est que dans 10 ou 15 ans, il existe un vrai théâtre de la Marionnette où le public se rend comme on va au théâtre où à l’opéra et où l’on y montre l’étendue de cette discipline artistique dans toute sa diversité.
CB : Pour moi, l’espoir, c’est que les gens se battent pour venir aux spectacles ! Tant de personnes à qui j’ai fait découvrir Marionnettissimo en ressortent impressionnés et ravis. Ils trouvent nos spectacles drôles et si riches de sens. Je voudrais que l’on casse cette image ringarde de la marionnette et qu’on arrête de me dire que je travaille pour Guignol !
Propos recueillis par Maïa de Martrin