À Toulouse, le musée des Augustins présente une rétrospective de l’œuvre du peintre du XIXe siècle. Intitulée «Une délicieuse obscurité», cette exposition sera ensuite accueillie par le musée des Beaux-Arts de Marseille et le musée des Beaux-Arts de Caen.
La mise au jour des fondations d’une chapelle du XVIe siècle, lors de fouilles archéologiques préalables, ayant retardé la fin des travaux de rénovation du musée, la réouverture totale des Augustins n’est pas d’actualité avant 2023. Une passionnante exposition temporaire est toutefois actuellement visible dans l’église du musée pour célébrer Théodule Ribot, peintre trop méconnu du XIXe siècle. Longtemps oublié, il est aujourd’hui exposé dans de nombreux musées de France, d’Allemagne et des États-Unis.
De ses premières années, on sait peu de choses: vivant de petits travaux, il peignait des enseignes pour des commerces, avant de se rendre en Algérie où il serait devenu arpenteur-géomètre à la fin des années 1840, y réalisant ses premières peintures de gens du peuple dans des scènes de genre et des portraits. De retour à Paris en 1850, il copie des œuvres du XVIIIe siècle de Watteau ou Lancret pour un marchand d’art qui les vend en Amérique. Autodidacte, Ribot étudie les artistes du passé, en particulier Rembrandt et les peintres espagnols du XVIIe siècle qu’il admire, tels Velázquez, Murillo et surtout Ribera, s’inspirant de leur approche pour perfectionner son style si caractéristique. Ces sources sont mises en lumière dans le parcours de l’exposition à travers quelques œuvres emblématiques des XVIIe et XVIIIe siècles, signées Jean Siméon Chardin, Juan de Zurbarán ou Jusepe de Ribera.
Mais dans les années 1850, les tableaux que propose Ribot pour être exposés au très officiel Salon (manifestation artistique parisienne) sont refusés. Les thèmes austères de ses toiles paraissent alors triviaux et ses tons sombres tranchent avec les productions à caractères mythologique ou historique de ses contemporains. Ses œuvres trouvent néanmoins des adeptes parmi ses confrères artistes comme Fantin-Latour, Vollon ou François Bonvin. En 1859, une exposition indépendante audacieuse réunit cette génération de peintres réalistes annonçant une nouvelle tendance de représentation du quotidien.
Au Musée des Augustins, la rétrospective dédiée à Ribot confronte ainsi des toiles de l’artiste à celles d’Eugène Boudin, Jean-François Millet, Gustave Courbet, Alexis Vollon ou François Bonvin. Tous partagent un goût pour les traditions populaires, une attention portée aux petites gens et à la simplicité des objets et des lieux représentés. Ils ont signé des toiles ténébristes, usant de puissants clairs-obscurs et explorant les genres de la peinture religieuse, du portrait et de la nature morte.
Peintre du quotidien, Ribot fuit la théâtralité et les effets inutiles. Artiste à la vie modeste et parcimonieuse, il partage le mode de vie et les conditions des couches populaires, et peint les gens du peuple avec empathie. Les cuisiniers, musiciens et philosophes qu’il représente appartiennent à ce monde miséreux. Il prend sa famille et ses proches comme modèles et devient un maître du portrait psychologique. Il produit également de nombreuses natures mortes remarquées par les critiques pour leur simplicité et leur capacité à révéler le potentiel tactile des objets. Il choisit souvent un même objet pour modèle, mais «il ne se répète jamais, il procède par variations sur différents sujets au fil de sa carrière», constate Axel Hémery, directeur du musée des Augustins. Ses toiles sont pour la première fois acceptées au Salon de 1861, et ses compositions religieuses lui valent le soutien de l’État dans les années qui suivent, alors que son Saint Sébastien est primé au Salon de 1865.
Dans le catalogue de l’exposition, l’historien de l’art Dominique Lobstein précise : «Dès que l’administration donna le signal d’un intérêt certain pour l’œuvre de Ribot – ce qui signifiait aussi, et peut-être d’abord, une reconnaissance de l’artiste par les instances académiques, qui lui octroyèrent une médaille en 1864 et 1865 –, les collectionneurs lui emboîtèrent le pas. Les institutions se réservant les œuvres phares présentées lors des manifestations officielles, les collectionneurs durent, dans un premier temps, se contenter de ce que les instances publiques n’avaient pas sélectionné : c’est le cas de madame de Cassin, en 1867, qui devient propriétaire du second envoi de Ribot au Salon, enregistré sous le titre « Un vieillard ». Pour la première fois, nous n’avons plus affaire à une relation amicale ou professionnelle, mais à une collectionneuse du type le plus traditionnel, c’est-à-dire une personne qui, sans connaître l’artiste, agrège une ou plusieurs de ses œuvres à un ensemble réuni selon des critères personnels, esthétiques ou autres.»
Artiste solitaire, Ribot n’a jamais transigé dans sa quête d’une vérité artistique, s’attachant à saisir l’intériorité de ses modèles qui apparaissent sur la toile avec une étonnante authenticité et une profondeur contrastant avec l’austérité de leur environnement. L’historien de l’art Gabriel P. Weisberg souligne dans le catalogue de l’exposition que «Ribot a rarement portraituré des personnes riches ou célèbres, il est resté un peintre des gens du peuple, qui comprenait leurs problèmes. Peignant sans se soucier de réussite matérielle, Ribot était cependant continuellement sous pression, à la recherche de fonds. Il plaçait son indépendance au dessus de tout. Souffrant de maladies cardiaques et, à la fin de sa vie, d’insuffisance rénale, Ribot travaillait avec difficulté en raison de ses problèmes de santé.»
Sa vision du monde du travail n’est pas sociale mais hors du temps, elle est celle de personnages troublants d’expressivité et absorbés par une tâche, à l’image de Ribot lui-même dont le travail était sa vie et qui n’eut pour élèves que ses deux enfants. Issus de collections françaises, britanniques, espagnoles, italiennes, canadiennes et américaines, plus de quatre-vingt tableaux permettent d’entrer dans l’univers de ce peintre qui fait surgir la beauté d’une réalité ingrate. L’exposition sera ensuite accueillie par les musées des beaux-arts de Marseille et de Caen, co-organisateurs de l’événement.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Jusqu’au 10 janvier, de 10h00 à 18h00 (fermeture le mardi), au Musée des Augustins,
21, rue de Metz, Toulouse. Tél. 05 61 22 39 03.
Du 10 février au 15 mai, du mardi au dimanche (ouverture le 5 avril), de 9h00 à 18h00,
au musée des Beaux-Arts de Marseille, Palais Longchamp, Marseille. Tél. 04 91 14 59 35.
Du 11 juin au 2 octobre, au musée des Beaux-Arts de Caen,
Le Château, Caen. Tél. 02 31 30 47 70.