La saison musicale de l’Orchestre national du Capitole est bien lancée. Et sa trajectoire passe par un certain renouveau des programmes et des artistes invités. Les traditionnels concerts du samedi après-midi, baptisés « Happy Hour », connaissent un grand succès auprès de tous les public, et notamment des familles et de leurs enfants. La rencontre du samedi 2 octobre dernier a donc retrouvé l’audience mêlée et joyeuse des mélomanes en herbe et des amoureux des grandes œuvres musicales. Le jeune chef britannique Kerem Hasan, déjà présent à Toulouse en octobre 2020, était invité à diriger l’Orchestre. Le soliste n’était autre que le percussionniste toulousain Aurélien Gignoux.
Habituellement, les programmes de ces après-midi musicaux se consacrent à une grande œuvre du répertoire classique ou romantique. La suite symphonique Shéhérazade de Nikolaï Rimski-Korsakov, jouée ce soir-là en seconde partie, aurait pu remplir à elle seule cette condition. Mais cette fois, les organisateurs ont choisi d’ouvrir le concert avec une pièce contemporaine d’un compositeur originaire de Toulouse, Philippe Hurel, dont la notoriété dans le domaine de la musique dite « spectrale » est considérable. En outre, sa pièce sobrement intitulée « Quatre Variations » était souhaitée par le soliste invité, le percussionniste, lui aussi toulousain, Aurélien Gignoux, tout auréolé de sa Victoire de la musique classique 2021 comme « Révélation soliste instrumental ». On ignorait a priori l’accueil que ce public, en partie novice, allait réserver à cette œuvre assez peu traditionnelle. Ce fut un grand succès !
Rappelons que Philippe Hurel a étudié au Conservatoire de Paris la composition et l’analyse dans les classes d’Ivo Malec et Betsy Jolas. Il a ensuite participé aux travaux de Recherche de l’IRCAM de 1985 à 1989 où il a puisé à la source un goût musical hérité de Pierre Boulez. Ses « Quatre Variations » prennent la forme d’une sorte de concerto pour vibraphone et un ensemble orchestral composé de 2 flûtes, hautbois, 2 clarinettes, 2 cors, trompette, trombone, 2 percussionnistes, piano, violon, violon II, alto, violoncelle et contrebasse.
Le vibraphone soliste, tenu ici par Aurélien Gignoux, ouvre la pièce sur une sorte de rêverie solitaire, comme improvisée dans un style proche du jazz. Les quatre parties de l’œuvre se succèdent à la manière des mouvements d’un concerto. Le soliste dialogue avec les différent pupitres de l’orchestre, alternant les épisodes hauts en couleurs, parfois violents, parfois pleins d’une douceur touchante. Le déploiement d’un phrasé particulier donne vie à chaque motif. On peut même observer quelques passages solistes proches des cadences traditionnelles du concerto classique. La richesse des couleurs et des rythmes, habilement soulignée par la direction de Kerem Hasan et le jeu aérien et structuré d’Aurélien Gignoux, séduisent à l’évidence un public enthousiaste qui réclame et obtient du soliste un bis original : le Children’s Songs n° 1 du grand pianiste de jazz, récemment disparu, Chick Corea. Une pièce autour de laquelle Aurélien Gignoux improvise avec talent.
D’une écriture nettement plus traditionnelle, la Suite pour orchestre Shéhérazade, de Rimski-Korsakov, réclame un vaste effectif orchestral et un déploiement de couleurs aussi riche que différencié. Les quatre épisodes identifiés de la partition, proches des quatre mouvements d’une symphonie, correspondent aux chapitres les plus caractéristiques des fameux contes des Mille et une nuits que la tendre Shéhérazade récite à son cruel sultan d’époux afin d’éviter son exécution matinale.
La rutilance de l’orchestration trouve son épanouissement espéré aussi bien dans le direction souple et contrastée de Kerem Hasan que dans le jeu intense et coloré de tous les pupitres de l’orchestre, très à l’aise dans le style orientalisant de l’écriture. Le premier épisode, La mer et le bateau de Sindbad, s’ouvre sur le thème fondateur, énoncé ici avec solennité et une certaine lenteur. L’ampleur sonore et la richesse du tutti impressionnent dès les premiers accords. On admire autant la profondeur des timbre graves des cordes que la richesse des sonorités éblouissantes des vents.
Soulignons la beauté du jeu du violon solo Kristi Gjezi, son sens du phrasé, la finesse de son vibrato dans l’incarnation touchante du personnage de Shéhérazade. Ses interventions périodiques, magnifiquement soulignées par la harpe, jalonnent avec élégance les aventures mouvementées rapportées par la conteuse. On est également séduit par les solos instrumentaux nombreux que le compositeur réserve à chaque pupitre. Citons le cor, le basson, la flûte, le hautbois, la clarinette, sans oublier les proclamations solennelles des cuivres aux sonorités flamboyantes. L’extrême fin de l’œuvre retrouve la pureté ineffable du violon solo dont l’aigu plane tout là-haut dans un espace idéal…
Oui décidément, la saison de l’Orchestre national du Capitole débute sous les meilleurs auspices.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole