Pour l’ouverture de la saison capitoline 21/22, son directeur Christophe Ghristi fait entrer au répertoire de l’auguste institution toulousaine l’une des grands œuvres lyriques du 19è siècle italien : La Gioconda, d’Amilcare Ponchielli. En confiant sa production à l’un des metteurs en scène les plus doués mais aussi les plus clivants de la scène hexagonale, il nous propose un spectacle à plus d’un titre dantesque. Âmes sensibles s’abstenir !
Classictoulouse : La superbe et historique Elektra qui clôtura la saison dernière nous avait rassurés sur la santé du Théâtre du Capitole. Vous avez réuni vos équipes dès cet été pour l’ouverture de saison. Comment les avez-vous retrouvées ?
Christophe Ghristi : D’abord, je suis heureux que vous parliez ainsi de cette Elektra. Historique, je crois qu’elle l’était en effet. Au dernier moment, nous avons réussi à la capter et le film, en cours de montage, restera. Il y a eu ensuite nos Nuits d’été, un festival impromptu, où nos forces vives ont brillé et où le public a répondu avec enthousiasme. Nous voilà en effet arrivés à la rentrée. Nous ouvrons la saison avec un ouvrage énorme et les équipes sont évidemment très impliquées. Gioconda, c’est notamment un ouvrage de chœur et je suis heureux qu’il puisse retrouver le plateau et jouer tout autant que chanter. Nous sommes évidemment toujours sur la sellette avec ces protocoles qui évoluent sans cesse mais nous devons faire avec.
Pourquoi faire entrer Gioconda au répertoire du Capitole ?
Parce que c’est un chef-d’oeuvre. Je n’ai pas décidé de la programmer parce qu’elle n’avait jamais été donnée au Capitole, mais parce que c’est une œuvre géniale et folle comme je les aime. Il y a eu également l’opportunité de cette coproduction avec le théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles. C’est Olivier Py qui m’a parlé de ce projet qui était alors à ses commencements et j’ai sauté sur l’occasion. Nous étions suffisamment en amont pour que Pierre André Weitz, le scénographe et costumier, puisse penser son décor sur mesure pour notre plateau et nos capacités techniques. A l’arrivée, la production est spectaculaire.
Peu de théâtres osent affronter une telle œuvre. Quelles sont les difficultés d’un tel chalenge ?
C’est un ouvrage qui demande une maison en parfait ordre de marche. C’est du grand spectacle avec de la chorégraphie, le choeur et la maîtrise, et une distribution tout à fait particulière : il requiert 6 chanteurs de premier plan, dans toutes les tessitures. Comme souvent, cette production sera le théâtre de prises de rôles attendues, à l’instar de celle de Violeta Urmana dans Elektra. Cette fois, c’est le grand Ramon Vargas qui fera ses débuts (enfin !) au Capitole et chantera son premier Enzo. Et je suis très heureux de donner un grand rôle au formidable baryton français Pierre Yves Pruvost. Judit Kutasi, notre Laura, sera sans doute une révélation pour notre public. Enfin, nous avons le plaisir de retrouver Beatrice-Uria Monzon dans un rôle qui lui va comme un gant et qu’elle a débuté dans cette production à Bruxelles. Nous devrions donc avoir un plateau à la hauteur des exigences folles de la partition, dirigée par Roberto Rizzi Brignoli, un orfèvre en la matière.
En invitant Olivier Py à la mise en scène, vous vous êtes trouvé de facto avec une obligation pour le moins morale de déconseiller ce spectacle aux moins de 16 ans… Expliquez-nous.
Aujourd’hui, avec la violence dont nous sommes abreuvés, il peut paraître curieux de formuler cet avertissement. Mais ce qui se passe sur une scène a une force tout à fait particulière. Chez nous, il n’y a pas d’écran, c’est du direct, de la chair et de l’âme. On sait que Olivier Py aime les corps nus sur scène : ils sont ici parfaitement en situation. Je ne voulais pas en faire une affaire mais juste signaler que quelques scènes ne reculent pas devant la violence. Cet ouvrage est très noir et Olivier Py n’a rien adouci. En même temps, il a exalté la flamboyance et la force rare de cette œuvre si particulière. En quelque sorte, je voulais dire : venez absolument mais vous êtes prévenus !!!
En quoi cette production fait-elle un écho logique à la pièce de Victor Hugo : Angelo, tyran de Padoue ?
Dans une vidéo visible sur notre site, Olivier Py déclare que le livret de La Gioconda est encore supérieur à la pièce de Victor Hugo ! Il est vrai qu’il a été écrit par un immense artiste, un des pivots de l’histoire de l’opéra en Italie : Arrigo Boito. Grand compositeur, nous devions donner son opéra Mefistofele la saison passée. Nous le retrouverons bientôt. Comme on sait, Boito a également été librettiste pour Verdi, extrêmement exigeant en termes de livret. C’est dire. Vous vous souvenez du nom d’un recueil de pièces de Victor Hugo, qui s’appelle Le Théâtre en liberté. Cette liberté, elle est à son comble dans Gioconda, une œuvre qui ose tout et qu’il faut avoir le courage de suivre jusqu’au bout, ce que Olivier Py fait génialement, et, on pourrait dire, naturellement. Nous avons une grande chance de pouvoir montrer ce spectacle au Capitole !
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse