À Toulouse, la nouvelle saison lyrique du Théâtre du Capitole met à l’affiche sept opéras, dont cinq nouvelles productions.
Carmen © Patrice Nin
Parmi les sept opéras à l’affiche de la saison lyrique du Théâtre du Capitole, on compte deux ouvrages français, deux ouvrages allemands et deux ouvrages italiens, ainsi que cinq nouvelles productions. Imaginé par Christophe Ghristi, ce programme flamboyant s’ouvre avec « la Gioconda », ouvrage créé en 1876 à la Scala de Milan, qui sera représenté pour la première fois à Toulouse. Considéré en son temps comme le compositeur italien le plus important de la génération suivant Verdi, Amilcare Ponchielli est surtout connu aujourd’hui pour cette œuvre dont fait partie le fameux ballet «La danza delle ore». Tirée de la pièce « Angelo, tyran de Padoue » de Victor Hugo, l’intrigue adaptée par le librettiste Arrigo Boito se déroule au XVIIe siècle à Venise, où conspirations et régates forment la toile de fond des déboires d’une chanteuse, la Gioconda. Victime des machinations de l’espion Barnaba, elle sacrifie tout pour sauver son bien-aimé, Enzo, et la maîtresse de celui-ci, Laura. Créée à la Monnaie de Bruxelles, la mise en scène d’Olivier Py propose une vision onirique de ce drame régi par la mort et le sexe. La direction musicale sera assurée à Toulouse par Roberto Rizzi-Brignoli, avec Béatrice Uria-Monzon dans le rôle-titre, le ténor Ramón Vargas sous les traits d’Enzo, le baryton Pierre-Yves Pruvot pour interpréter Barnaba.
Béatrice Uria Monzon © Cassiana Sarrazin
En clôture de saison, on retrouvera « le Barbier de Séville », de Gioacchino Rossini, dans une mise en scène de Josef Ernst Köpplinger qui dirige le Staatstheater am Gärtnerplatz de Munich – en coproduction avec cette institution munichoise et le Liceu de Barcelone. Sommet de l’opéra-bouffe italien, cet ouvrage a été créé en 1816, à Rome, sur un livret de Cesare Sterbini inspiré de la pièce éponyme de Beaumarchais – première partie d’une trilogie, dont « le Mariage de Figaro » constitue le deuxième volet. Le comique de farce issu de la Commedia dell’arte (gags en cascades, déguisements et quiproquos) se double ici d’une ironie de caractère plus moderne: Rosine est la pupille d’un vieux barbon égoïste mais aussi une indomptée insolente, Figaro est un valet débrouillard et un roturier en quête d’ascension sociale, Almaviva est un jeune noble amoureux qui a plus d’égards pour les conseils de son barbier que ceux des personnes de son rang… On retrouvera dans la fosse le chef italien Attilio Cremonesi à la tête de deux distributions : la première réunira le baryton bordelais Florian Sempey en Figaro – son rôle de prédilection –, Eva Zaïcik pour interpréter Rosina, le jeune ténor Kévin Amiel dans le rôle d’Almaviva, la basse Roberto Scandiuzzi sous les traits de Basilio ; la seconde permettra d’apprécier de jeunes talents tels Adèle Charvet (Rosina) ou Julien Véronèse (Basilio).
Attilio Cremonesi © LICHTundNICHT
En coproduction avec l’Opéra de Monte-Carlo, « Wozzeck » d’Alban Berg sera à l’affiche cet automne dans une mise en scène de Michel Fau. Créé en 1925, au Staatsoper de Berlin, et basé sur une pièce incomplète de Georg Büchner, l’ouvrage puise sa force dans le récit d’un fait divers de 1821: un soldat qui a assassiné sa maîtresse est exécuté quelques années plus tard après avoir été reconnu responsable de ses actes. Ne conservant que l’essentiel de la pièce, le compositeur qui signe l’adaptation produit un livret à la puissance dramatique implacable. L’œuvre de Berg est constituée de quinze scènes où chant et sprechgesang donnent une teinte nouvelle à l’expression des sentiments ; scènes liées entre-elles par d’extraordinaires interludes orchestraux, aux formes puisées dans la musique classique. Après des années d’une censure infligée par le régime nazi, « Wozzeck » trouvera dans l’après-guerre le juste moment où son message antimilitariste et social en fait une œuvre en symbiose avec les préoccupations des populations meurtries : le soldat devient alors l’emblème des pauvres gens méprisés. D’une vertigineuse perfection formelle, d’un lyrisme presque insoutenable, cet opéra est devenu classique. Le chef britannique Leo Hussain dirigera une somptueuse distribution, avec le baryton Stéphane Degout dans le rôle-titre, Sophie Koch dans celui de Marie et le ténor Nikolai Schukoff en Tambour-Major.
Sophie Koch © Patrick Nin
Sous la direction de Michele Gamba, « la Flûte enchantée » occupera la scène du Théâtre du Capitole durant les fêtes de fin d’année, dans une mise en scène confiée au danseur et chorégraphe toulousain Pierre Rigal, en coproduction avec l’Opéra de Rouen. Créé en 1791 au Theater auf der Wieden, situé dans un faubourg de Vienne et propriété du librettiste Emanuel Schikaneder, ce Singspiel (« Die Zauberflöte ») était destiné à un public populaire. Achevé quelques semaines avant la mort de Wolfgang Amadeus Mozart, « la Flûte enchantée » s’est imposé comme le «Testament philosophique» du compositeur adoptant la forme d’un conte initiatique traité comme une comédie musicale. L’ouvrage peut ainsi s’entendre comme un merveilleux conte pour enfants ou comme la plus ardente méditation sur l’existence humaine: le sujet de ce conte féerique est en effet l’élévation de l’être humain par la sagesse, l’amour et la bonté à une moralité supérieure conforme aux idées du siècle des Lumières, ou l’Aufklärung du rationalisme en Allemagne. Où l’on croise le prince (Tamino) d’un pays lointain à la recherche d’une princesse (Pamina) légèrement suicidaire, un oiseleur (Papageno) fanfaron, une Reine de la Nuit colérique et un mystérieux Grand Prêtre (Sarastro) imposant d’étranges rites de passage… Remportant dès sa création un véritable triomphe, cette partition signe l’entrée de la musique dans le XIXe siècle.
Après un demi-siècle d’absence au Théâtre du Capitole, la bien naïve grenouille « Platée », de Jean-Philippe Rameau, coassera dans une nouvelle production (avec l’Opéra royal de Versailles) confiée à Corinne et Gilles Benizio, avec la participation du Ballet du Capitole, sur une chorégraphie de Kader Belarbi. Faisant suite aux succès de « la Belle au bois dormant » de Louis-Ferdinand Hérold à Besançon, « la Belle Hélène » de Jacques Offenbach et « King Arthur » de Henry Purcell à l’opéra de Montpellier, et « Don Quichotte chez la Duchesse » de Joseph Bodin de Boismortier à l’Opéra royal de Versailles, ce sera la cinquième collaboration de Shirley et Dino avec l’inénarrable Hervé Niquet, lequel se prête toujours sans retenue à la fantaisie débridée du duo, tout en dirigeant son ensemble Le Concert Spirituel. Le rôle-titre sera assuré par Mathias Vidal, qui s’est déjà illustré sur cette scène dans « Così fan tutte ». Créée en 1745, à Versailles, à l’occasion du mariage du Dauphin et de l’infante Maria Teresa d’Espagne, cette œuvre hors du commun est désignée comme une «comédie-ballet» par la partition. Elle repose sur un livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville tiré de la pièce « Platée ou Junon jalouse », de Jacques Autreau, lequel s’était inspirée de l’œuvre de l’historien grec Pausanias. On y suit les aventures insensées de la nymphe Platée, irrésistible de laideur mais persuadée que le dieu Jupiter est amoureux d’elle et veut l’épouser. La mécanique comique mordante et l’invention musicale foisonnante font de chaque scène un mélange iconoclaste d’airs, de chœurs et de danses qui irriguent une intrigue truffée de rôles et de péripéties secondaires.
Mathias Vidal
La première reprise de la saison sera celle de « Carmen » (photo), dans la mise en scène signée Jean-Louis Grinda (en coproduction avec l’Opéra de Monte-Carlo et l’Opéra de Marseille) déjà présentée à Toulouse en 2018, qui sera dirigée cet hiver par l’Italien Giuliano Carella. Dernier ouvrage de Georges Bizet, ses mélodies raffinées et contrastées lui ont valu un tel succès qu’il est devenu l’opéra le plus joué dans le monde. Créé en 1875, sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après une nouvelle de Prosper Mérimée dont l’action se situe dans la Séville des années 1820, « Carmen » brille par un style souple, léger, aéré et lumineux. La dimension très humaine des personnages apporte une veine réaliste à l’histoire: emprisonnée à la suite d’une émeute ayant éclaté à la manufacture de tabac, la cigarière Carmen use de ses charmes auprès du brigadier Don José pour s’enfuir ; épris de la jeune bohémienne, celui-ci quitte sa fiancée Micaëla pour la rejoindre dans un repère de contrebandiers où, lassée de la jalousie de Don José, Carmen se laisse séduire par le célèbre torero Escamillo. La gitane impulsive et libérée sera interprétée par la mezzo-soprano québécoise Marie-Nicole Lemieux, entourée du ténor Jean-François Borras (Don José) – déjà apprécié sur la même scène dans « Werther » – et du baryton Alexandre Duhamel (Escamillo) – applaudi au Capitole dans « Così fan tutte ». Une seconde distribution permettra de découvrir dans le rôle-titre Eva Zaïcik – couronnée aux dernières Victoires de la musique –, et de retrouver le ténor Amadi Lagha – qui a déjà triomphé à Toulouse dans « la Force du destin ».
Marie-Nicole Lemieux © Denis Rouvre
Directeur musical du Volkstheater de Rostock, Florian Krumpöck dirigera au printemps le drame rural de Leoš Janáček « Jenůfa », à l’occasion de la reprise de la mise en scène de Nicolas Joel. Créé à Brno en 1904, c’est le premier des trois opéras du compositeur à être représenté sur scène. Pour le livret, dont il est également l’auteur, il s’inspire de la pièce « Její pastorkyňa » (1890), de Gabriela Preissová. L’action de déroule dans un petit village de la Moravie du XIXe siècle, où la belle Jenůfa est enceinte de Števa, séducteur qui la rejettera lorsqu’elle se retrouvera défigurée par son amoureux éconduit. Accablée par le poids des pressions sociales et familiales, l’héroïne doit alors subir de terribles épreuves. Portant sur son héroïne un regard de tendresse infinie, le compositeur dépasse l’anecdote du fait divers pour donner à son œuvre la dimension universelle d’une tragédie lyrique. Attaché à sa terre morave, le musicien puise dans le chant populaire et le folklore pour élaborer une fascinante mélodie langagière qui fait entendre le rythme des saisons. Très théâtral, cet opéra est aussi une ode à la femme en quête de liberté. Marie-Adeline Henry interprètera le rôle-titre aux côtés de la soprano allemande Angela Denoke dans celui de la belle-mère, la sacristine coupable d’infanticide. Signalons le retour de l’immense Cheryl Studer pour interpréter la grand-mère Buryjovka.
Plusieurs récitals sont programmés, parmi lesquels ceux des mezzo-sopranos Sophie Koch avec le pianiste Bertrand Chamayou et Karine Deshayes avec Philippe Cassard, des ténors José Cura et Michael Spyres, etc. Parmi les concerts annoncés, on attend la création d’un Quatuor à cordes et d’un nouveau cycle de mélodies signés Bruno Mantovani, composé sur les mots du poète français de la Renaissance Étienne Jodelle pour la soprano Catherine Hunold. Ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers donneront un concert d’œuvres de Claudio Monteverdi et de Luciano Berio, puis inviteront le contre-ténor Dominique Visse pour chanter les compositeurs du XVIIe siècle. Enfin, Jordi Savall proposera une sélection de madrigaux de Monteverdi.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros