Marier la musique aux autres disciplines artistiques, littérature, poésie, théâtre, danse, tel est le credo de Musique en Dialogue aux Carmélites, qui durant l’été s’installe à nouveau dans la ravissante chapelle, joyau du patrimoine baroque toulousain.
À l’origine de cette manifestation unique, – avec le soutien de son fidèle complice, l’administrateur de la manifestation, Pierre-Bernard Kempf (dont on se souvient avec plaisir des concerts littéraires au Musée Paul-Dupuy) -, Madame Catherine Kauffmann-Saint-Martin, qui a fort bon goût, a mis à l’honneur pour cette 5e saison le plus grand fabuliste français: le festival célèbre le 400e anniversaire de la naissance de Jean de La Fontaine (8 juillet 1621).
Cette édition a été labellisée par le Ministère de la Culture et la Ville de Château-Thierry.
Le festival a commencé en beauté le Dimanche 13 juin avec Les fables de La Fontaine de Thierry Huillet *, piano, avec Clara Cernat, violon, et Daniel Halm, récitant, illustré par des œuvres de Gustave Doré.
Il continuera le Dimanche 18 juillet, 16 h avec Le bestiaire baroque par l’Ensemble Faenza: Marco Horvat (chant, théorbe, guitare baroque), Sarah Lefeuvre (chant, flûtes), Francisco Mañalich (chant, viole, guitare baroque), etOlga Pitarch (chant, danse, épinette), interpréteront une conversation très amusante entre les animaux. Ce qui devrait ravir les enfants à partir de 3-4 ans.
Le Dimanche 8 août à 16 h avec La Nature et les Oiseaux : Vanessa Wagner, piano, et Marianne Denicourt, récitante, donneront à entendre des poésies sur les oiseaux et la nature, de Prévert à Vian en passant par Hugo et Rimbaud ; et de Vinciane Despret, une philosophe de l’Université de Liège qui donne la parole aux animaux. Avec des œuvres de Rameau à Dutilleux, en passant par Moussorgsky et Schubert.
Le Dimanche 29 août à 16 h, découverte de « fables mélodieuses », un voyage à travers morales incournables, où se mêlent et s’entremêlent récits et musiques. Avec Estelle Andrea, soprano (Adélaïde de La Touche) & dialogues – Jérôme Boudin-Clauzel, piano (Hyppolite de La Touche) & arrangements – Magali Paliez, mezzo-soprano (Hyacinthe de La Touche) – William Mesguich, comédien (La Fontaine) & mise en scène. Ce spectacle aura été créé au Festival d’Avignon, sous le signe lui-aussi du fabuliste, anniversaire oblige.
Et le Dimanche 12 septembre à 16 h avec L’Eden pour horizon, La forêt de Fontainebleau,Virginie Constant, violoncelle, et Madame Marie-Christine Barrault, récitante, nous régaleront de textes de Georges Sand, Théophile Gautier, Lamartine, et La Fontaine bien sûr, récital répété in situ dans… la Forêt de Fontainebleau.
La Fontaine reste aujourd’hui le plus connu des poètes français du XVII e siècle, et il fut en son temps, sinon le plus admiré, du moins le plus lu, notamment grâce à ses Contes et à ses Fables. Styliste éblouissant, il a porté celles-ci, un genre avant lui mineur (si ce n’est en Grèce et à Rome), à un degré d’accomplissement qui reste difficilement surpassable. Moraliste, et non pas moralisateur, il a posé un regard lucide sur la nature humaine et sur les rapports de pouvoir, sans oublier de plaire pour instruire.
Ayant reçu la charge de Maître des eaux et des forêts, celui-ci a profité de ses tournées pour observer le comportement des animaux dont il s’est inspiré pour écrire, durant 25 ans, 240 fables dont de nombreuses sont restées célèbres. À travers ses personnages, animaux, végétaux, humains, c’est la société du XVIIe siècle qu’il a dépeint: « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes ». La « morale » de chaque fable résonne aujourd’hui, quatre siècles plus tard, avec une acuité saisissante. Fabuliste par excellence, poète, naturaliste, moraliste, romancier, conteur, esprit libre, il parle encore aussi bien aux enfants qu’aux amateurs de poésies et aux philosophes.
Ce grand versificateur mérite d’être redécouvert.
Avec ses facettes méconnues.
En effet, celui que l’on a pu surnommer « l’inconnu du Grand Siècle », ne ressemblait en rien au parangon de vertu auquel pourrait faire croire ses morales.
Contes choisis de Monsieur de Lafontaine: c’est la mention que portaient à son époque la plupart des recueils de ses contes et fables. Lions, renards, moutons enseignaient au lecteur la prudence, l’économie et la fidélité, et l’auteur y était dépeint comme un moraliste animalier, mari fidèle et père exemplaire. Choisis ?
Il apparaît qu’il était plus connu de son vivant pour ses Contes grivois, et « plus intéressé par les femmes au corsage bien rempli que par les animaux de la basse-cour ou de la nature ».C’est ce que précise une édition hollandaise de 1709 (posthume) de ses textes licencieux qui figuraient dans de nombreuses éditions de son vivant, ceux que l’on a éliminés aux siècles suivants : la vingtaine de contes grivois jugés peu propices à l’édification de la jeunesse. On y voit hommes mariés et jouvencelles, mais aussi curés et nonnes, que le bon peuple s’amusait à brocarder, caracoler gaiement dans les jeux du sexe, l’histoire se terminant comme à son habitude par une morale, bien gaillarde celle-là. Les contes choisis n’étaient donc pas censurés, et c’est bien dommage, au vu de leur qualité, qu’ils l’aient été par des esprits chagrins ou mesquins après sa mort.
Femmes, j’écris aussi pour vous.
Censeurs, ne perdez pas votre temps.
Je dois trop au beau sexe; il me fait trop d’honneur
De lire ces récits; si tant est qu’il les lise.
Pourquoi non? c’est assez qu’il condamne en son cœur
Celles qui font quelque sottise…
Chassez vos soupirants, belles, souffrez mon livre;
Je réponds de vous corps pour corps:
Ce que mon livre en dit, doit passer pour chansons.
J’ai servi vos beautés de toutes les façons:
Je m’aviserais sur le tard d’être cause
Que la moindre de vous commît le moindre mal!..
Contons; mais contons bien; c’est le point principal;
C’est tout: à cela près, censeurs, je vous conseille
De dormir comme moi sur l’une et l’autre oreille…
Les mères, les maris, me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus!
Voyez un peu la belle affaire!…
Au siècle dernier encore, « L’Éducation nationale, qui n’aime pas rougir, interdisait de nous les apprendre : on y rencontre trop de dames « gentilles de corsage », comme nous l’a dit joliment Erik Orsenna.
En s’y intéressant de plus près, on découvre donc que Monsieur de La Fontaine mena joyeuse jeunesse au Quartier latin avec de bons camarades : Boileau, Molière, Racine ; et Furetière dont il n’hésitera pas, pour rentrer à l’Académie, à trahir l’amitié de cinquante ans. Qu’il fut un mari vite cocu et tranquille de l’être, pourvu qu’on le laisse courir à sa guise, et que s’il aimait les femmes et le bon vin en bon hédoniste, ce qui est bien sympathique, il resta toute sa vie proche des jansénistes.
Surtout qu’il a finit sa vie dans la pauvreté, malgré l’immense succès des Fables. À quarante ans, il jouissait d’une fortune sensiblement supérieure à celle de Madame de La Sablière, la bienfaitrice qui le recueillera quinze ans plus tard, sans le sou, et l’entretiendra jusqu’à sa mort. Etrange déconfiture : même mauvais gestionnaire, il avait de quoi vivre sans rien faire de ses dix doigts, si ce n’est écrire; s’il n’obtint jamais de pension royale, ses œuvres lui rapportèrent des revenus substantiels, ce provincial qui ne fréquentait pas la cour et n’engageait aucun frais pour « paraître », parvint à dévorer, en un temps record, « capital et revenus ». Ce ne sont ni ses charges de famille – un seul enfant -, non plus que ses amours – toujours populaires, bergères ou servantes d’auberge, qui, même vénales, ne devaient pas lui coûter bien cher, qui l’ont réduit à l’aumône.
Ses biographes soupçonnent « Un vilain penchant pour les cartes et les dés ».
Bref, un véritable homme de lettres – comme ceux décrit férocement par Voltaire -, avec toutes les passions d’un homme, et qui pourrait lui jeter la pierre, qui s’essaiera dans tous les genres, de l’épopée à l’opéra, de l’élégie aux bouts-rimés, avant de « réussir » dans la Fable.
Comme l’a si bien écrit Françoise Chandernagor, « le fabuliste laisse derrière lui une œuvre de génie, et une vie sans talent : c’est mieux que l’inverse ».
Je garde donc de l’empathie pour Jean de La Fontaine qui a enluminé mes rêves d’enfant avec tous ses animaux si proches de nous. Et même de la tendresse ; quand j’emmène mes petits-enfants à l’aire de jeux du Jardin des Plantes, ils ont un rituel, celui de me faire lire La cigale et la Fourmi qui y est affiché grâce à un édile éclairé, et, en riant beaucoup, de conclure : « Papy, c’est la cigale, et Mamy c’est la fourmi ».
Il nous régale encore ainsi au fil des générations.
Moi qui notait enfant, sur l’immense bureau Empire de ma grand-mère l’Antiquaire, des dizaines de ses morales, je l’entends encore me dire à l’oreille : « gardons-nous, tant que nous vivrons, de juger les gens sur la mine » (Le cocher, le chat, le souriceau) et ajouter « un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire ».
Et je trouve des accents très contemporains à ses Animaux malades de la peste : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs », ou à sa Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf : « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages; Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages. »
Je me rappelle surtout qu’il a inspiré de très nombreux artistes, des peintres aux musiciens, de Pieter Brueghel l’Ancien à Marc Chagall, de Fragonard à Gustave Moreau, de Berlioz à Debussy en passant par Rameau et Offenbach, Gluck et Gounod; sans oublier Trenet et Aznavour. Si Brassens ne l’a jamais mis en musique, contrairement à Ronsard ou Villon, il a certainement hérité quelque chose de sa verve satirique…et grivoise.
Et il les inspire encore : c’est que démontrent, et vont démontrer, magnifiquement j’en suis sûr, ces Musique en Dialogues aux Carmélites.
Avanti la Musica et la Poesia !
Musique en Dialogue aux Carmélites
* Pour en savoir plus :
Musique en dialogue aux Carmélites
Chapelle des Carmélites 1 rue du Périgord 31000 Toulouse Métro Capitole (ligne A) ou Jeanne d’Arc (ligne B) – Réservations obligatoires.
Thierry Huillet, pianiste et compositeur, qui avait déjà travaillé sur les Folias (avec en particulier un hommage à Frank Zappa), a créé, avec sa compagne la violoniste Clara Cernat, « Sept Fables de La Fontaine », pour violon, piano et récitant, au Chili et en première audition européenne à Madrid. Cette œuvre aux dimensions et au lyrisme généreux, également d’une grande virtuosité instrumentale, mêle de manière audacieuse et personnelle diverses influences, comme… la valse, le jazz, le folklore roumain ou… le hard-rock.