Homme de théâtre avant tout, de cinéma et de télévision aussi, l’Agenais Michel Fau creuse son sillon dans le monde lyrique tout en demeurant une personnalité incontournable parmi les acteurs de la scène française, comédien et metteur en scène confondu. Après Ariadne auf Naxos en 2019 au Théâtre du Capitole, il revient dans la Ville rose pour mettre en scène pour la première fois l’un de ses ouvrages favoris : Elektra, de son compositeur… favori : Richard Strauss. Rencontre.
Classictoulouse : Comment avez-vous vécu les longs mois qui viennent de s’écouler et quels enseignements en tirez-vous ?
Michel Fau : J’étais isolé en Normandie où je vis désormais. Et comme je préparais Elektra et Wozzeck pour la saison prochaine, du coup j’étais assez occupé. Certes j’ai dû interrompre la tournée que je faisais avec le George Dandin de Molière, et cela a été dur, c’est vrai. Mais à présent que l’on peut sortir, aller au restaurant, travailler, revoir du public, on apprécie encore plus cette chance. Je pourrais presque dire que cette pandémie m’a replacé « au bon endroit ».
Après Ariane à Naxos en 2019 et avant Wozzeck en 2021, vous êtes à nouveau invité à Toulouse pour mettre en scène une nouvelle production d’Elektra. Christophe Ghristi évoquait lors d’une récente conférence de presse son ambition de créer non pas une troupe mais une famille capitoline. On a un peu l’impression que vous en faites déjà partie, non ?
Michel Fau : Christophe est une personne formidable. Je ne dis pas cela parce qu’il me fait travailler mais parce qu’il connaît très bien l’Histoire de l’opéra et les voix. Résultat de très grands chanteurs viennent à Toulouse et je peux vous dire que cette Elektra est superbement servie. Donc, au-delà du charme de la ville, j’adore venir au Théâtre du Capitole. Les conditions de travail sont ici merveilleuses, cela tout le monde le sait, mais en plus de distributions exceptionnelles, les œuvres que Christophe choisit sont très ambitieuses. Du coup je lui dis oui très souvent.
Vous qui nourrissez une véritable passion pour Richard Strauss, situez-nous cette Elektra dans le corpus de ce compositeur.
Michel Fau : En fait j’ai découvert Strauss au travers d’Elektra, donc inutile de vous dire combien le choc a été violent. C’était à Orange en juillet 91, avec entre autres Gwyneth Jones et Léonie Rysanek, Jean-Claude Auvray pour la mise en scène et Marek Janowski au pupitre. Avec Salomé, Elektra est l’œuvre que je connais le mieux de ce compositeur et je dois avouer qu’outre la partition, à la fois barbare, raffinée, décadente et moderne, je suis en admiration devant le livret d’Hofmannsthal et sa façon de revisiter de manière très libre la tragédie de Sophocle. Tout parle ici de la folie humaine. Il y a quelque chose de psychotique là-dedans et je sais que cela dérange parfois certains mélomanes.
C’est assurément l’une des œuvres les plus violentes du répertoire.
Vous êtes un vrai technicien du chant lyrique, un art dont vous connaissez la difficulté. Le rôle d’Elektra étant reconnu comme le plus exigeant de tout le répertoire sopranisant dans la tessiture des dramatiques « spinto », avez-vous imaginé une mise en scène qui « protège » son interprète ?
Michel Fau : Je suis très attentif sur ce sujet avec Ricarda Merbeth (Elektra). Je le dis, c’est une chanteuse exceptionnelle. Je lui demande si elle est d’accord pour telle ou telle chose et…elle me répond toujours oui. Certes je la cajole, je la bichonne, mais je lui demande beaucoup. Alors, parfois, c’est vrai, Ricarda m’interpelle sur telle ou telle attitude afin, en particulier, de ne pas perdre le contact visuel avec le chef. Elle a peu chanté ce rôle, seulement deux fois et dans des productions différentes, à la Scala et à Vienne. De plus, très souvent, autant le rôle-titre que celui de Clytemnestre sont au répertoire de cantatrices un peu sur le final jetant leurs derniers feux dans cette bataille. Il n’en est rien ici. Les voix réunies au Capitole sont d’une vitalité formidable.
Quelles ont été vos premières réflexions lorsque Christophe Ghristi vous a proposé de mettre en scène une œuvre qui respire en permanence la mort, la fureur, la violence et l’hystérie sur un livret aussi précis que celui d’Hugo von Hofmannsthal et une partition aussi symphonique et descriptive que celle de Richard Strauss ?
Michel Fau : J’ai décidé de ne pas contourner les multiples obstacles de cet ouvrage, mais au contraire de me fondre dedans. Une chose importante à préciser, Hofmannsthal n’a pas traduit la tragédie de Sophocle et comme le disait Léonie Rysanek c’est la tragédie d’Hofmannsthal qu’il faut jouer. C’est une vision très particulière de cette histoire, une vision qui correspond à une époque conjuguant décadence et psychanalyse. Le résultat de cette réflexion est que mon travail essaie de traduire quelque chose de très vivant, très incarné, pas triste du tout. Pour moi la tragédie ce n’est pas le drame, c’est quelque chose de survolté. Cela dit j’avais dès le départ un impératif : l’orchestre, gigantesque, ne rentrant pas dans la fosse du Capitole, il sera sur scène, à l’arrière des chanteurs, ces derniers étant sur la fosse mais dans une véritable mise en scène avec décors, costumes, éclairages etc., en fait très près des spectateurs. Soulignons que ce n’est pas un opéra à grand spectacle, pas mal de scènes sont à deux personnages. Scéniquement c’est un opéra intimiste.
Lors de notre dernier entretien en février 2019, vous me disiez que votre souhait était de mettre en scène : toute œuvre dans laquelle j’ai l’impression que j’ai quelque chose à dire. Alors, concernant Elektra ?
Michel Fau : Hofmannsthal ne voulait pas de références antiques ni de réactualisation. Il nous appartenait donc de réinventer un monde. Ici il sera rutilant, plein de couleurs, baroque, décadent, excessif avec des peintures et des sculptures. Je le dis et je le répète, la tragédie est violente mais elle n’est pas triste. Vous verrez, même s’il y a forcément des références, le tout est plutôt intemporel.
Vous mettez en scène cet ouvrage pour la première fois. Il paraît difficile d’envisager une telle production sans une osmose parfaite avec le chef d’orchestre, ici Frank Beermann.
Michel Fau : J’essaie de travailler toujours la main dans la main avec le chef d’orchestre et il faut bien dire que la plupart du temps cela se passe bien. En fait les chefs sont très sensibles à un metteur en scène qui connaît la musique, l’œuvre et les voix. On voulait à tout prix mettre en avant le côté insolent de l’ouvrage, son côté carnassier et éviter tout ce qui pourrait pencher vers le sordide. A un moment nous en sommes venus à parler, lui d’interprétation et moi de musique. C’était formidable d’en arriver à ce point d’osmose. Quant aux chanteurs, s’ils ont été un peu surpris par mes propositions, ils ont ensuite été très flattés de mes exigences en termes de théâtralité. En fait ils ont rapidement compris qu’en plus de chanter je leur demandais d’incarner. Vous dire également qu’ils sont très fiers de porter les costume, somptueux, de Christian Lacroix.
Les ouvrages que vous aimeriez aborder en tant que metteur en scène aujourd’hui ?
Michel Fau : Certainement Salomé mais aussi le répertoire wagnérien car c’est un compositeur auquel je voue une véritable vénération. Je n’ose rêver encore d’un Ring qui, pour moi, est une véritable série tv avec le suspense qui va avec, mais pourquoi pas, plus raisonnablement Lohengrin, Le Vaisseau fantôme pour « débuter ». Verdi aussi, mais plutôt les derniers : Otello, Falstaff, mais aussi Macbeth car j’aime bien les personnages tourmentés… Pourquoi pas Britten car c’est un musicien qui impose une immense théâtralité.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse