Envers et contre tout, il fallait que les chaînes se desserrent. La ténacité a payé. Grandement merci au staff et à son porte-drapeau Christophe Ghristi. Il ne vous reste que deux représentations pour assister au Théâtre du Capitole, à cette performance à savoir, entendre l’opéra verdien La Force du destin, ouvrage qui ne pouvait tomber mieux après tant d’aléas.
Jauge réduite, version concert, version avec partition abrégée, choristes éparpillés, une vraie salle d’enregistrement audio, public donc au tiers des possibilités, alors que l’enthousiasme aurait pu être si intensément manifesté à plusieurs reprises. Mais, pour le côté anecdotique, on ne peut qu’être surpris et s’interroger sur le sort subi par l’ouvrage dans notre cher Théâtre. Mars 1972, un élément de décor tombe sur le plateau au moment des saluts et blesse le chef Michel Plasson qui perd connaissance, transporté à l’hôpital. Octobre 1999, c’est le décès juste avant la Première, du décorateur Hubert Monloup qui ne verra pas sa réalisation. Reprise de l’ouvrage en mai 2021 dans la production due à Nicolas Joël, qui disparaît quelques mois auparavant. Enfin, la pandémie qui a failli, à quelques jours près, faire passer à la trappe les six représentations.
Il nous reste musique et chant pour la version complète et un choix de passages pour la version abrégée. Disons-le tout net : ceux qui n’ont pas voulu assister aux représentations données ont eu tort car nous avons eu, vraiment, de grands moments d’émotions. Les quelques effets de théâtre des chanteurs ont pu compléter avec intelligence le chant de chacun. Si l’on donne une impression générale, pas un seul reproche, pour ma part, concernant les huit interprètes principaux et comprimari. Toujours sous la férule de leur directeur Alfonso Caiani, les chœurs furent, comme à l’habitude, irréprochables.
Dès l’Ouverture, le chef Paolo Arrivabeni sut trouver les tempos nous conduisant jusqu’au drame final, et soutenir les chanteurs comme il se doit. Il est capable de préserver tout au long d’un ouvrage particulièrement lourd la continuité du discours verdien, même pour la version avec les coupures. En un mot, tout nous a paru avancer comme il se doit, et comme Verdi l’aurait applaudi. La partition respire, les chanteurs aussi.
Tous les présents seront d’accord aussi pour qualifier de très heureuse surprise, la prestation du ténor Amadi Lagha dans Don Alvaro. Les plus tout jeunes dans la salle ont pu se remémorer le triomphe d’un certain Carlo Bergonzi sur le plateau en mars 1956 ! Amadi Lagha est un digne successeur, avec ses propres qualités. Ici aussi, en mai 2021, quelle aisance, quels aigus, quelle puissance, quel… Il sera Steva dans Jenufa mais aussi et surtout un Don José dans une distribution de Carmen en janvier 2022. Ses interventions étaient de plus grandement aidées par le mordant, la projection, l’investissement du baryton Gezim Myschketa, un Don Carlo dans une forme vocale utilisée à très bon escient, c’est le moins qu’on puisse dire. Un “finalmente“ à vous pétrifier !
Catherine Hunold gagne toute l’assurance nécessaire pour déployer son chant avec l’aisance que des aigus réclament ainsi que des pianissimos soutenus. On retrouve petit à petit les qualités admirées dans Ariane à Naxos, ici même. Mention spéciale pour la mezzo Raehann Bryce-Davis dans le rôle délicat de Preziosilla qu’elle a doté d’un chant constamment maîtrisé et raffiné pour une version concert délicate.
Robert Scanduzzi a retrouvé le rôle de Padre Guardiano qui l’avait fait acclamer il y a vingt ans ici même et, cette basse noble et profonde se distingue toujours par cette voix chaude, sombre et scrupuleusement conduite, sa prestance conférant au supérieur du monastère toute son autorité. En Fra Melitone, la basse bouffe Sergio Vitale est loin d’avoir démérité et se hisse au niveau de tous ses comparses. En Trabuco, Roberto Covatta et Barnaby Rea en Alcade puis Chirurgo participent avec brio au très haut niveau de ce plateau vocal d’ensemble.
Ce dimanche après-midi, ce fut triomphe à tous les étages pour les 400 chanceux.