Compte rendu concert. Théâtre du Capitole de Toulouse, le 23 mai 2021. Opéra en version de concert en raison des exigences sanitaires. Giuseppe Verdi ( 1813-1901) : La Forza del Destino, Opéra en trois actes ; Livret de Francesco Maria Piave ; Distribution : Catherine Hunold, Leonora di Vargas ; Amadi Lagha , Don Alvaro ; Gezim Myshketa, Don Carlos di Vargas ; Roberto Scanduzzi, Le marquis de Caltrava et Padre Guardiano ; Racham Brydce-Davis, Prezosilla ; Sergio Vitale, Fra Melitone ; Roberto Covatta, Trabuco ; Cécile Gallois, Curra ; Barnby Rea , lcade et Chirurgico ; Chœur du Capitole (Direction : Alfonso Caiani) ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction musicale : Paolo Arrivabeni.
Le Capitole tient face crânement au destin commun
Nous n’en pouvions plus ! La limite était atteinte. Plus rien au Capitole depuis Octobre 2020 avec un Cosi aussi merveilleux que malmené avec un orchestre covidé après la première ! Plus rien quand la saison devait être merveilleuse ! Les titres les uns après les autres enterrés ! Un Eugene Onéguine parfaitement répété et très prometteur, annulé à la dernière minute, puis le néant des annulations les unes après les autres. Malheur pour la maison vouée au silence, malheur pour les artistes rendus muets, mais malheur aussi au public. C’est de ces malheurs qu’il fallait s’extraire et le choix de la Force du Destin de Verdi est tout à fait excellent. Grande fresque « romanticofantastique » composée pour Saint-Petersbourg, cet opéra fleuve a une place particulière dans le cœur des amateurs d’opéras. N’est-ce pas ce thème du destin qui façonne « E La nave va » le film de Fellini dans lequel un aéropage de fous d’opéra font une croisière en hommage à une grande Cantatrice, la Tetua, dont les cendres sont jetées dans la mer. L’ouverture est présente dans le film « Le Parrain » « Manon des sources », etc…. Cet opéra contient bien des pages connues du grand public. Les amateurs d’opéras eux sont encore aujourd’hui à la recherche d’un enregistrement tout à fait satisfaisant. Croyez-moi il n’y en a pas encore un qui me satisfasse tant il y a toujours quelque chose qui résiste. Là un chef trop vulgaire, là trop indifférent, là un ténor trop héroïque, là pas assez poète. Là une Leonora bien chantante mais sans feu, là trop de voix, là trop de dureté dans l’aigüe, là trop de graves poitrinés et finalement avec une voix imparfaite, seule Callas fait de Leonora un vrai personnage. Presque toujours une Prezosilla insatisfaisante… Car la particularité de cet opéra est une dramaturgie entièrement musicale. En effet l’intrigue est absurde prise au premier degré. Et ce ne sont pas de vrais personnages engagés dans un conflit racinien ou amoureux. Ce sont des entités abstraites. Leonora la femme-enfant emprisonnée dans une position de fille et de sœur dont elle ne veut pas s’extraire, incapable de se donner à celui qu’elle prétend aimer. Alvaro, le Malheur personnifié et magnifié dans l’un des plus beaux airs de Verdi. Carlo le monomaniaque de la vengeance, véritable thanatophore aveugle. Des abstractions qui chantent pourtant et incarnent des émotions fortes sans liens.
Le retour à l’opéra avec un tel ouvrage était donc gagné d’avance. Et la mise en scène (pourtant de Nicola Joël) oubliée pour raisons covid, l’avouerons-nous, ne nous a pas manqué une seule fois. Cet opéra si grandiose se suffit à lui même pour faire avancer la théâtralité par la musique. Il faut dire que l’orchestre a été un partenaire de premier ordre. Superbes de timbre, d’énergie et d’engagement les musiciens de l’orchestre ont tous été merveilleux et les bois à la fête ont été particulièrement émouvants (l’air d’Alvaro !). La direction de Paolo Arrivabeni est très équilibrée. Dans un tempo plutôt allant le chef Italien fait avancer le drame sans temps morts. Les équilibres sont toujours parfaitement réalisés avec un chant éperdu toujours soutenu. Il sait offrir aux chanteurs la sécurité dont ils ont besoin tout en les entraînant sans temps morts. Les chanteurs idéalement placés en avant-scène sont face au chef et là où la voix s’entend le mieux. C’est donc un plateau parfaitement équilibré en termes de puissance qui va pouvoir nous faire vivre ce drame de l’absurde. Le héros incontestable de l’opéra est le ténor Amadi Lagha. Ce jeune homme a une voix d’airain homogène sur toute la tessiture. Les riches harmoniques du grave évoluant délicatement vers la lumière solaire d’aigus semblant faciles. La diction est souveraine, ce chanteur sait ce qu’il chante ! Voilà un Alvaro proche de l’idéal capable d’emportements sauvages et de noblesse d’âme. Il est un poète de la nuit dans un air d’anthologie à l’acte 3. L’énergie qu’il met dans ses duos avec Carlo est incroyablement communicative. Grande et belle voix mais surtout interprète d’une rare intelligence dramatique. Nous le reverrons dans Don José l’an prochain au Capitole il y sera très attendu !
Son amoureuse, Leonora, a la voix de Catherine Hunold. Verdi n’est pas le compositeur habituel de cette grande voix un peu dure dans l’aigu. Cette prise de rôle la montre encore prudente mais avec de beaux atouts. Ne doutons pas qu’avec le temps elle saura trouver des accents plus justes. La ligne verdienne lui convient bien et l’homogénéité des registres est un atout pour ce rôle très central. Plus d’aisance dans les aigus surtout piano enrichirait le personnage.
En Frère monomaniaque de la vengeance le baryton Gezim Myshketa fonce tête baissée dans la mort. Timbre sombre, chant mordant, il a bien des qualités du baryton Verdi. Dans les scènes avec Alvaro il tient face à l’incroyable voix d’Amadi Lagha, ce qui n’est pas peu dire.
Seul à être un habitué des rôles, Roberto Scanduzzi, est celui qui se passe de partitions. Son aisance scénique avec peu de gestes lui confère chaque fois toute l’autorité attendue. Rajoutant raideur et inflexibilité au Marquis et ajoutant bonté et rondeur au Padre. Un grand artiste qui à lui seul avec ce jeu si sobre, se fait théâtre. Et quelle belle voix !
Les autres rôles plus anecdotiques ne déméritent pas avec une Prezosilla très intéressante, vivante et sans trop d’effets appuyés. Racham Brydce-Davis a de la gouaille mais aucune vulgarité, écueil dans lequel bien des grandes voix du passé sont tombées au disque.
Le Melitone de Sergio Vitale garde lui aussi une certaine hauteur tout en arrivant à faire comprendre l’humour attendu du personnage sans la vulgarité trop souvent surjouée. Roberto Covattaen en Trabuco, Cécile Gallois en Curra et Barnby Rea en lcade et Chirurgo sont à la hauteur. Avec des artistes de cette valeur comme partenaires principaux c’est mieux que bien !
Le chœur étalé sagement sur la scène et partiellement masqué est majestueux. En grand nombre il fait honneur aux magnifiques pages écrites par Verdi. Chœurs d’hommes, de femmes et mixtes, tous colorés et fort vivants, sont magnifiques. Grâce à l’excellent travail de cohésion vocale d’Alfonso Caiani, la magie du chœur verdien plein d’énergies et de magnifiques couleurs se développe tout le long du drame.
La version de concert de la Force du Destin proposée à Toulouse ne fait pas regretter la mise en scène. Même si c’est bien dommage que l’hommage à Nicolas Joël qui avait mis en scène l’ouvrage en 1999 lorsqu’il était le directeur de la maison n’ait pas été complet. Nous savons qu’il aurait approuvé une distribution si homogène lui qui savait aussi choisir si bien les chanteurs. Les Toulousains en tout petit nombre (un tiers de jauge, disciplinés et masqués) ont fait un triomphe à ce retour à la vie lyrique. Bravo aux chanteurs tout particulièrement qui se sont présentés au public en pleine possession de leurs moyens alors qu’ils n’ont pas pu chanter depuis des mois …. Et que les metteurs en scène redeviennent un peu plus modestes : c’est bien les voix et l’orchestre qui font le drame ! La liaison scène-fosse a été parfaite ! Verdi y a tout gagné !
Cette première de la Force du Destin a été un triomphe mérité ! Le public a exulté !
Avec Elektra mise en scène le mois prochain le bonheur sera complet et une émotion à couper le souffle est attendue avec un chef d’œuvre si noir.