Dans le cadre du festival les Franco-russes, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse poursuit sa saison à la Halle aux Grains avec la retransmission en ligne d’un concert dirigé par Tugan Sokhiev qui invite le violoniste Vadim Gluzman et met à l’affiche la musique de Chostakovitch.
Malgré l’absence de public en raison des circonstances sanitaires, la saison de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse se poursuit à la Halle aux Grains avec la retransmission en direct de certains concerts. Ainsi, un programme dédié à Chostakovitch, dans le cadre des Franco-russes, sera notamment visible sur la page Facebook et la chaînes Youtube de l’ONCT. Directeur artistique de la phalange toulousaine et du festival, Tugan Sokhiev (photo) dirigera ce soir-là la Cinquième Symphonie du compositeur et Vadim Gluzman interprètera son Deuxième concerto pour violon.
Né en 1906, à Saint-Pétersbourg, et mort en 1975, à Moscou, Dimitri Chostakovitch n’a jamais quitté son pays, contrairement à ses contemporains Serge Prokofiev et Igor Stravinski. Il a vécu les drames du XXe siècle et a été confronté aux mutations de l’URSS, de la révolution russe de 1917 jusqu’à la déstalinisation. Selon Mstislav Rostropovitch, qui fut son ami et le dédicataire des ses deux concertos pour violoncelle, «véritable chronique, chacune de ses quinze symphonies est une époque, ses symphonies sont l’histoire de notre pays, l’histoire de l’Union soviétique et l’histoire de la Russie, ou plus précisément leur histoire exprimée sur le plan émotif de la perception et de l’émotion. Le cycle correspond à quinze stations de notre vie».
Chostakovitch a écrit sa Cinquième Symphonie en trois mois, en 1937, un an après après «l’affaire» de « Lady Macbeth du district de Mtsensk », son opéra officiellement dénoncé par l’Union des Compositeurs soviétiques à la suite de la réaction emportée de Staline. Chostakovitch annule alors la première exécution de sa Quatrième Symphonie dont les dissonances, l’atmosphère sombre et la fin qui se noie dans le silence ne répondaient pas aux attentes esthétiques du Régime.
Pour sa Cinquième Symphonie, il simplifie son langage musical pour le rendre «abordable» et livrer ainsi une œuvre en accord avec les idéaux esthétiques socialistes, c’est à dire emplie d’un esprit positif, avec une conclusion résolument triomphante. Cette symphonie en ré mineur nécessite un orchestre romantique augmenté de percussions et de claviers. La partition explore la formidable palette du compositeur: atmosphères acides, tendues à l’extrême, violentes sonneries de cuivres, citations ironiques de motifs rustiques et populaires, chorals amples et déchirants, le tout servi par une confondante imagination sonore.
Noté «Moderato», le premier mouvement installe un climat de tristesse et de mélancolie, et s’achève avec l’évocation d’une berceuse au violon solo. Le deuxième mouvement est un Scherzo vif noté «Allegro» : d’allure populaire, il porte l’influence de Mahler, au moins dans les sarcasmes du violon et le rythme d’une sorte de valse parodique et un peu lourde. On retrouve Mahler dans le troisième mouvement, un largo particulièrement désolé, dont le climat se fait de plus en plus poignant au fur et à mesure que l’orchestre prend de l’ampleur. Par contraste, le dernier mouvement, noté «Allegro ma non troppo», déploie une force torrentielle, avec des cordes échevelées dignes d’un galop rossinien ; mais la joie est criarde. Puis, la réapparition du thème lyrique du largo trouble la fête avant que la joie, maintenant plus calme, n’achève la partition sur une note majestueuse.
«Dans le finale de ma symphonie, j’ai cherché à résoudre les motifs tragiques des premiers mouvements en un projet optimiste et plein de vie», expliquait Chostakovitch lors de la création triomphale, en novembre 1937, par l’Orchestre philharmonique de Léningrad, sous la direction de Evgueni Mravinski. Il écrit pourtant dans ses « Mémoires » publiées en 1979, quatre ans après sa mort: «Ce qui se passe dans la Cinquième Symphonie me semble être clair pour tout le monde. C’est une allégresse forcée comme dans « Boris Godounov ». C’est comme si on nous matraquait tous en nous disant: “Votre devoir est de vous réjouir, votre devoir est de vous réjouir”».
Fréquemment invité à Toulouse par Tugan Sokhiev, le violoniste Vadim Gluzman interprétera le Deuxième Concerto de Chostakovitch. Les deux pages concertantes écrites par le compositeur pour le violon sont nées d’une profonde amitié nouée avec David Oïstrakh, qui en est le dédicataire. Le premier avait été achevé en 1948, alors que le ministre Andreï Jdanov venait de faire entériner ses résolutions sur les pratiques artistiques soviétiques qui stigmatisaient la forme même du concerto, témoignage d’un monde bourgeois et décadent, célébrant l’élitisme individuel au dépend de la réussite collective. La partition fut créée en 1955, deux ans après la mort de Staline, avec l’Orchestre philharmonique de Leningrad, sous la direction d’Evgueni Mravinski. Le Deuxième concerto pour violon, en ut dièse mineur, a été écrit en 1967, à l’occasion du soixantième anniversaire d’Oïstrakh qui le créa la même année, à Moscou, sous la direction de Kirill Kondrachine.
Malgré le contexte des célébrations du cinquantième anniversaire de la Révolution de 1917, cette partition en trois mouvements revêt un caractère sombre. Noté «Moderato», le premier mouvement est de forme sonate ; il se caractérise par le chromatisme de sa mélodie qui aboutit à une courte cadence déployant dialogue sur deux cordes. L’«Adagio» est à la fois paisible et nostalgique, avec un solo de cor plein de noblesse. Noté «Adagio, Allegro», le dernier mouvement apparaît d’abord léger et facétieux, avant que le rythme s’accélère dans une frénésie presque agressive, pleine de vitalité.
Concerto n° 2 par Vadim Gluzman (violon) et Symphonie n° 5 de D. Chostakovitch,
sous la direction de Tugan Sokhiev, samedi 27 mars, 20h00.
Concert retransmis sur la page Facebook et la chaîne Youtube de l’ONCT, en direct de la Halle aux Grains.