Classictoulouse profite de la venue à Toulouse du chanteur français Mathias Vidal, à l’occasion de l’enregistrement de La Princesse jaune de Camille Saint-Saëns, pour rencontrer ce ténor que les Toulousains n’ont pas eu souvent le plaisir d’entendre au Théâtre du Capitole ces dernières années. Christophe Ghristi l’a à nouveau invité dans les prochaines saisons pour le rôle-titre de Platée ainsi que pour celui de Nadir des Pêcheurs de perles. Il est certainement l’un des ténors les plus affirmés de notre temps, d’une sûreté technique imparable alliée à un engagement dramatique de tous les instants qui en font bien plus qu’un simple chanteur : un véritable et rare artiste.
Mathias Vidal à la Halle aux grains de Toulouse lors de l’enregistrement de La Princesse jaune – Photo Romain Alcaraz –
Classictoulouse : Votre grand retour au Capitole devait se faire avec le rôle-titre de Platée de Jean-Philippe Rameau en mars 2020, un spectacle fin prêt mais annulé et reporté à une prochaine saison pour raison de pandémie. Vous deviez par la suite chanter sur la scène du Capitole votre premier Nadir des Pêcheurs de perles de Georges Bizet en septembre de la même année, spectacle lui aussi annulé mais fort heureusement remplacé par Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart dans lequel vous avez endossé, pour une prise de rôle également, le costume de Ferrando. Puis en version concert ce fut Antinoüs dans la Pénélope de Gabriel Fauré en octobre 2020. Comment vivez-vous cet emploi du temps fort compliqué ?
Mathias Vidal : On s’adapte ! Et comme notre métier nous amène parfois, voire souvent selon les années, à des changements de dernière minute, aménagements comme des changements de planning, des absences, des remplacements, etc… nous avons les réflexes et les outils pour rebondir et essayer de trouver les meilleures solutions.
Venons-en à cette Princesse jaune de Camille Saint-Saëns qui sera créée en 1872 à l’Opéra-comique lors d’une soirée au cours de laquelle seront également à l’affiche Le Passant d’Emile Paladilhe et Djamileh de Georges Bizet. Comment avez-vous fait connaissance avec cet ouvrage ?
MV : Après l’annulation de La Carmélite, de Reynaldo Hahn, en mars 2019, Alexandre Dratwicki, le directeur artistique du Palazzetto Bru Zane, m’a parlé de cet ouvrage. Il ne m’était pas inconnu mais je ne l’avais pas encore écouté. Un pur bonheur de le travailler.
Le rôle de Kornélis est clairement le plus complexe à chanter et aussi le plus intéressant de cet ouvrage en un acte. Sous l’emprise de l’opium, ce jeune homme évolue entre rêve et réalité. Le compositeur lui a écrit des passages d’une douceur ineffable, au demeurant très virtuoses, qui voisinent avec d’autres beaucoup plus larges et ardents dont un court moment qui fait écho violemment avec le final de Carmen ! Est-ce à dire que, finalement, si court soit-il, cet ouvrage est difficile à chanter ?
Cet ouvrage est dans la pure tradition de la musique française qui prend naissance à l’époque baroque. Sans rentrer dans les détails, la très grande majorité des opéras romantiques français alternent ces moments de douceur, de virtuosité, d’ampleur vocale. C’est la signature de la musique française. Le problème est d’assumer ces moments intimes et ne pas se laisser prendre par des traditions. Par exemple, la fin de l’air de la fleur dans Carmen est à nouveau chantée par les interprètes pianissimo jusqu’au Si bémol aigu, ce qui est beaucoup plus intéressant… et beaucoup plus difficile ! Ces partitions regorgent d’endroits où le ténor peut montrer toute sa vaillance et il faut dans la mesure du possible chanter toutes les nuances de la partition. Cette petite pépite d’une heure, comme bien d’autres ouvrages de la même durée, est tout aussi difficile à chanter et tout aussi riche qu’un opéra de trois heures.
Le créateur de Kornélis, Paul Lhérie, n’est autre que le créateur, trois ans après, de Don José. Il débute sa carrière comme ténor pour en fait se positionner par la suite sur la tessiture de baryton. Est-ce une indication quant à la couleur vocale souhaitée par Camille Saint-Saëns pour cet emploi ?
Mathias Vidal : Les compositeurs écrivent principalement pour les chanteurs dont ils disposent et dans notre cas, Saint-Saëns a écrit le rôle pour un ténor central avec une forte proportion à un bas médium sonore, ce qui se rapproche de la typologie vocale de Don José. En effet, les deux rôles sont pour ainsi dire cousins, tout en étant un peu différents.
Ce personnage qui s’évade artificiellement vers des mondes illusoires et fantasmés est-il toujours d‘actualité ?
Tant qu’il y aura des hommes sur terre, les mondes illusoires et fantasmés seront d’actualité.
Que représente dans votre carrière la participation à la résurrection d’un ouvrage tombé totalement dans l’oubli ?
Un bonheur immense, une chance et le luxe d’être un privilégié en attendant que d’autres interprètes s’emparent du rôle. On a l’impression d’aider le compositeur dans sa tâche et lui dire que oui, son œuvre mérite la vie, une longue vie.
Vous êtes un chanteur au répertoire immense alternant avec le même bonheur les styles baroque, classique, romantique, moderne, léger, dramatique, bouffe. Dans l’éventualité que chacun souhaite aussi proche que certaine du retour à une vie normale, quelles sont vos ambitions en termes de répertoire à venir ?
Mon ambition est de pouvoir défendre aussi longtemps que possible tous ces répertoires. Puis le poids des années fera son travail et me fera peut-être sentir le besoin de me spécialiser plus dans l’un ou l’autre, d’arrêter tout et de me reposer, ou de continuer à incarner tous ces merveilleux personnages.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse