Lorsque Gioacchino Rossini (1792-1868) s’installe à Naples, en juin 1815, il trouve un théâtre, le San Carlo, dont la Péninsule est fière à double titre. Non seulement l’orchestre est d’excellente qualité mais surtout la troupe de chanteurs est superlative. Certainement la meilleure du moment ! Du coup, le jeune compositeur de 23 ans va poser ses valises au pied du Vésuve pour huit années particulièrement fructueuses.
Parmi les chanteurs sous contrat, quatre dominent malgré tout : la soprano Isabella Colbran (1785-1845), future madame Rossini, et deux ténors : Andrea Nozzari (1776-1832) et Giovanni David (1790-1864), sans oublier Manuel Garcia (1775-1832), autre ténor de légende, père de la Malibran et de Pauline Viardot. Il n‘y a donc rien de moins étonnant que les héros des opéras napolitains, dans leur grande majorité, soient des ténors. Pour ces artistes, Gioacchino Rossini compose des ouvrages à la mesure de leur talent dont le seul « défaut » est l’extrême difficulté d’interprétation. Trop étroitement corrélées aux somptueux gosiers alors présents, ces partitions tomberont rapidement dans l’oubli, faute d’interprètes. Pire, elles seront à l’occasion passablement massacrées par la suite, les vocalités verdiennes et pucciniennes s’imposant. Il faudra attendre la « Rossini Renaissance » à partir des années 80 du vingtième siècle pour que directeurs de théâtre, chefs d’orchestre, musicologues et chanteurs se penchent sérieusement sur ces chefs-d’œuvre.
Encore fallait-il des interprètes à la hauteur. Il serait injuste de prétendre que ces derniers, une petite poignée en un demi-siècle, ne virent pas le jour, le festival de Pesaro, consacré à ce musicien, étant un formidable stimulant en même temps qu’une extraordinaire vitrine en la matière. Notre temps a la chance d’en avoir deux en activité, au sommet de leur art, deux américains : Michael Spyres (41 ans) et Lawrence Brownlee (49 ans). Tous deux, et cela n’étonnera personne, font leur miel de ce répertoire, y ajoutant le répertoire français (Faust, Hoffmann…) pour le premier cité, Bellini et Donizetti pour le second.
Cette ultime précision qualifie bien ces deux ténors pour les rôles créés par Andrea Nozzari, véritable baryténor (Michael Spyres) et Giovanni David, ténor sensiblement plus léger (Lawrence Brownlee).
Erato n’avait que l’embarras du choix pour les faire s’affronter (Amici e Rivali) dans une feu d’artifice d’airs, de duos, de trios qui laisse totalement étourdi. Ainsi se succèdent des extraits flamboyants de Ricciardo e Zoraide, La Donna del lago, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Otello, Armida, cinq ouvrages créés à Naples entre 1815 et 1819. A ceux-là s’ajoutent un Barbier de Séville (créé à Rome en 1816 et pas nécessairement le sommet de cet enregistrement…) et la version française de Maometto II, qui vit le jour à Naples en 1820 dans la langue de Dante, et dont la première parisienne sous le nom du Siège de Corinthe eut lieu en 1826. Avec les Nourrit père et fils ! De quoi combler les plus exigeants des mélomanes.
Sous l’habile direction du maestro italien Corrado Rovaris à la tête d’I Virtuosi Italiani, et avec le concours de la mezzo-soprano irlandaise Tara Erraught et du jeune (26 ans !) et merveilleux ténor espagnol Xavier Anduaga, qui ne va certainement pas tarder à marcher sur les brisées de ses glorieux aînés ici présents, les deux vedettes de cet album d’une rare qualité, enregistré en studio en 2019, font assaut de virtuosité, d’ambitus (ah, cette tierce aigu vertigineuse !!! et ces graves profonds), d’éclats, de luminosité, de style, de musicalité et tout cela avec une sûreté, voire une insolence qui frise l’arrogance qui vont littéralement vous clouer autant d’aise que de stupeur sur votre canapé.
Un des plus beaux et légitimes enregistrements consacrés à ces opéras.
Indispensable bien sûr !
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse