Laure et Gilles Boudou dirigent avec passion la maison toulousaine Area, fondée par leur père Michel en 1987. Pour eux, ce premier confinement soudain et inédit a donné lieu à la parution d’un très beau livre qui scelle les moments de vie retrouvés au sein de la Ville rose entre le 11 mai et le 11 juin derniers, Dehors, la reconquête de Toulouse du 11 mai au 11 juin 2020 . Spécialisée en mobilier urbain, à la tête de 70 salariés, Area voit ce livre comme sa petite Madeleine de Proust…
Laure et Gilles Boudou
« Ce petit livre Brique révèle aujourd’hui tout le sens que nous donnons à notre entreprise. » Chez Gilles Boudou, Dehors, la reconquête de Toulouse du 11 mai au 11 juin 2020 est une histoire d’amour pour la Ville rose et un arrêt sur images d’une cité désertée qui renaît peu à peu. La collaboration avec le photographe Jean Belondrade date du premier livre il y a une dizaine d’années, réalisée avec le père Michel Boudou. Entre eux, ce fut un un coup de coeur amical : « Jean Belondrade qui avait travaillé avec Jean Dieuzaide faisait du reportage et de la photo artistique quand il a rencontré mon père. Ils ont toujours travaillé ensemble. »
Area travaille beaucoup avec les paysagistes conseil issus de l’Ecole d’horticulture de Versailles. Leur rôle est de conceptualiser l’espace urbain. « Il y a une dizaine d’années, mon père voulait leur offrir le livre de Yann Artus Bertrand La France vue du ciel, en guise de remerciements. Il a finalement demandé à Jean Belondrade de réaliser un livre personnel, un premier livre de photos intitulé « Belondrade », qui ferait écho à notre métier. Mon père a ainsi subventionné un artiste pour distribuer gratuitement l’ouvrage à nos prescripteurs. Pour Jean, c’était une carte de visite et Area en était l’éditeur. Nous avons finalement choisi de ne pas en faire commerce. »
Une histoire singulière
Contrairement au premier, ce second livre est issu d’une commande. Au début de l’année 2020, Area envisage d’associer des étudiants de l’Ecole de photographie et des arts numériques de Toulouse (ETPA) à leur projet éditorial, en les envoyant prendre des clichés de rue dans Toulouse, concours photo à la clé. Indépendamment du mobilier urbain, cela pouvait s’inscrire dans leurs travaux annuels. Gilles Boudou ajoute : « A la fermeture de l’école en mars, tout s’est arrêté. On s’est aperçu que partout dans le monde, des artistes photographiaient ces villes fantômes devenues des villes musées. J’étais choqué car elles semblaient vides de toute vie humaine. Area existe pour rendre l’espace public plus humain, on prône les mobilités douces par exemple… c’est la raison d’être de notre société. Le but de cet ouvrage était bien de tirer parti de la crise sanitaire, pas d’en profiter de manière purement mercantile. On voulait reprendre la parole de manière plus élevée. »
Jean Belondrade est donc envoyé « au front », du moins en ville, dès le déconfinement du 11 mai pour y « capter l’air du temps ». Et finalement, l’impression ressentie s’apparente à un lent réveil, une population un peu groguie, presque libérée, à la manière de « ces photos dingues publiées au moment de la libération de Paris !». Les images racontent un quotidien oublié d’anonymes qui se retrouvent dans la joie et l’émotion, d’amis célébrant la tombée de la nuit au bord de la Garonne, de commerçants heureux d’ouvrir à nouveau…
Au bout d’un mois de travail, le photographe ariégeois a amassé beaucoup de photos et réalise qu’elles perdent peu à peu de leur pertinence. Tout revenait à la normale. Du 11 mai au 11 juin, « on est soudainement passé d’une overdose d’espace privé, à une réappropriation de l’espace urbain dont témoigne précisément Dehors… » Un beau livre relié façon Moleskine, comme un carnet de voyage que l’on prend plaisir à feuilleter et à garder près de soi. Surnommé Brique par sa couleur en hommage à Toulouse, le livre a été réalisé à chaud, dans un sentiment d’urgence à témoigner d’une tranche de vie, gravée dans la mémoire collective. Graphiste d’Area, Caroline Frayret a fait toute la mise en page et un travail magnifique au travers de l’affiche.
Revenir dans l’espace public
Selon Gilles Boudou, « c’est devenu de plus en plus compliqué de prendre des photos avec un vieil appareil. Personne n’a de problème avec son téléphone portable mais dès qu’il s’agit de prendre la pose ou de voler un instant de vie, les gens ne veulent plus se faire photographier. » Précisant qu’à l’inverse, le déconfinement avait rendu cela possible car l’empathie était là. « La nature, c’est notre ambition, précise le chef d’entreprise. Les gens veulent retrouver la campagne en ville. La biodiversité a repris ses droits pendant le confinement. C’était fou d’entendre à nouveau les oiseaux chanter. ».
Tiré à 2000 exemplaires, l’ouvrage conçu avec beaucoup de finesse dans l’usage du papier, la mise en forme, le choix des textes est perçu par son éditeur comme une forme de cadeau, d’abord pour ses salariés : celle qui détoure une image, celui qui fabrique un objet, le comptable, les gens de l’usine, tous doivent pouvoir se retrouver dans ce qui a été vécu et dans l’univers d’Area. « Pour Dehors, nous voulions être aussi exigeants dans le graphisme, la mise en page et les photos que lors du premier ouvrage. On fabrique tout nous-mêmes sans délocaliser, entre Muret et Toulouse, Flourens où se trouve l’usine et l’Union. »
Connaissant Yann-Yves Coulouër, à l’époque Responsable éditorial à la CCI de Toulouse, Gilles et Laure choisissent de mélanger le travail du photographe et celui de l’auteur, pour donner naissance à une histoire toulousaine qui ne sera pas celle du guide touristique mais bien d’une ville endormie qui renoue le lien avec ses habitants.
Yann-Yves Corlouër s’est ainsi nourri de ses échanges : « Séduits et surpris, les gens ont découvert que, même au plus fort des contraintes, la ville pouvait offrir davantage de libertés. »
Une collaboration avec l’enseigne Trentotto
« La ville est une scène de théâtre, pas un décor. Ce qui se vit à l’intérieur, c’est ce qui nous intéresse » poursuit le dirigeant d’Area. « Dans notre métier, on s’appuie sur l’architecte paysagiste. La mairie s’associe de plus en plus aux citoyens pour construire le projet. Notre modèle, c’est l’architecte, designer et photographe française Charlotte Perriand (1903-1999). Area a le savoir-faire du bois, de l’acier, avec une préférence pour les assises, les chaises et les bancs publics. L’habitant du quartier comprend les usages et nous y répondons. La fonction prime tandis que dans l’art, l’émotion est reine. La principale composante de l’espace, ce sont les usages, pour améliorer la qualité de vie dans les espaces urbains. »
Partageant une vision commune avec Trentotto, née la même année qu’Area, Gilles Boudou contacte Stéphane Oddos, son dirigeant et fondateur pour « exposer » son livre : « Notre métier s’exerce essentiellement à Paris, d’ailleurs tous nos partenaires à Toulouse sont parisiens. Et Stéphane Oddos est le seul Toulousain que nous croisons par exemple au Salon NOW ! parce qu’il adore le design et ça nous plaît. Nous avons donc décidé de vendre le livre avec une dédicace. Enseigne historique à Toulouse, spécialisée dans le mobilier design, Trentotto proposait une animation culturelle et une plus grande convivialité. Stéphane Oddos a accepté immédiatement. L’exposition – dont la date reste à définir – proposera ainsi 14 photographies issues du livre, une affiche réalisée par Caroline Frayret et l’ouvrage en vente au sein du Show Room Trentotto, rue Vidal. « On a l’ambition sacrée de faire que les gens aient ce livre et le lisent. Comme notre Madeleine de Proust. ». Et cette approche artistique reflète bien la culture d’Area, puisque l’entreprise sait s’entourer d’artistes qui font sens avec le territoire urbain.
Pour l’heure, Dehors est disponible en ligne. Le chef d’entreprise ne considère pas cette parution comme un produit à vendre mais bien comme une proposition nouvelle, susceptible de changer le regard des habitants sur leur environnement et leur capacité à rester dans l’émerveillement. « Notre métier impacte le quotidien des gens. Vous pouvez vous enfermez chez vous avec les réseaux sociaux pour seul mode de communication, cela ne remplacera jamais les rencontres que vous faites à l’extérieur, c’est ça la vie ! Le vrai réseau social de l’avenir, c’est la ville et c’est l’humain.
« Pour nous la ville intelligente se définit d’abord par la capacité à profiter de l’espace public. Installez-vous sur un banc et regardez ce qu’il se passe : un film se déroule sous vos yeux, c’est merveilleux ! ».
Propos recueillis par Maïa de Martrin
Dehors, la reconquête de Toulouse du 11 mai au 11 juin 2020
Photographies de Jean Belondrade • Textes de Yann-Yves Corlouër
Editions Area
Disponible en ligne sur www.area.fr au prix de 30 euros TTC