Deux chefs-d’œuvre de Mozart ponctuent la nouvelle saison lyrique du Théâtre du Capitole, qui affiche à Toulouse huit productions scéniques et deux ouvrages en version de concert.
A.-C. Gillet (en haut) dans « Les Noces de Figaro » / 2008 © Patrice Nin
« Così fan tutte » ouvre la saison du Théâtre du Capitole, en remplacement d’une nouvelle production des « Pêcheurs de perles » initialement prévue, mais qui ne pouvait être prête en raison de la fermeture des ateliers de décors durant le printemps confiné. Le choix corona-compatible du directeur artistique Christophe Ghristi s’est naturellement porté sur l’ouvrage de Wolfgang Amadeus Mozart dont la distribution est limitée à six solistes. Les Toulousains découvriront la production d’Ivan Alexandre, conçue pour le théâtre baroque de Drottningholm et l’Opéra royal de Versailles, avec des décors et des costumes d’Antoine Fontaine. L’Italienne Speranza Scappucci assurera la direction musicale, et les chanteurs déjà engagés pour l’ouvrage de Georges Bizet seront sur scène, dont Anne-Catherine Gillet (photo), qui a plusieurs fois chanté à Toulouse et qui tiendra pour la première fois le rôle de Fiordiligi, aux côtés, notamment, de Mathias Vidal.
On retrouvera également Karine Deshayes et Anaïs Constans réunies dans « les Noces de Figaro » (photo), lors d’une nouvelle reprise de la production de Marco Arturo Marelli. Elles aborderont pour la première fois les rôles de la Comtesse et de Susanna, aux côtés de Julien Véronèse en Figaro, Éléonore Pancrazi en Chérubin et Emiliano Gonzales Toro en Don Basilio, sous la direction du jeune Russe Maxim Emelyanychev, dont ce seront les débuts dans cette fosse – bien qu’il dirige fréquemment l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, à la Halle aux Grains. Créés à Vienne, en 1786 et 1790, ces deux opera buffa sont les derniers volets de la trilogie que Mozart composa sur des livrets de Lozenzo da Ponte: « les Noces de Figaro » d’après « le Mariage de Figaro » de Beaumarchais ; « Così fan tutte » – dont le titre est fourni par une réplique des « Noces de Figaro » – est une histoire originale qui se déroule à Naples, le temps d’une journée durant laquelle deux militaires sûrs de l’amour de leurs fiancées font le pari qu’elles leur resteront fidèles malgré leur départ pour la guerre…
Théâtre du Capitole © Patrice Nin
« La Force du destin » sera donné dans la production de Nicolas Joel datant de 1999. Créé en 1862, à Saint-Pétersbourg, l’ouvrage de Giuseppe Verdi s’appuie sur un livret de Francesco Maria Piave qui est l’adaptation de l’œuvre du duc de Rivas: l’histoire de deux amants en fuite après la mort accidentelle du père de la jeune femme provoquée par son prétendant. La poursuite du Destin converge dans cette œuvre avec la Miséricorde, deux thèmes qui se superposent dès la fameuse ouverture connue pour ses trois coups funestes et sa musique chargée d’angoisse. Le fatum, qui plane sur l’ensemble de cette grande fresque théâtrale qui a pour cadre l’Espagne et l’Italie du XVIIIe siècle, est mis en relief par la juxtaposition de scènes contrastées. L’ouvrage sera chanté par Catherine Hunold et Nicolas Courjal, et dirigé par Paolo Arrivabeni.
Dernier ouvrage italien à l’affiche cette saison, « Teuzzone » d’Antonio Vivaldi sera donné en version de concert par Jordi Savall, à la tête de son ensemble Le Concert des Nations. Créée en 1719, à Mantoue, cette œuvre de jeunesse a été composée sur un livret d’Apostolo Zeno, qui raconte les difficultés de Teuzzone à imposer sa légitimité pour accéder au trône après la mort de son père, l’Empereur de Chine.
Jordi Savall © David Ignaszewski
On appréciera, également en version de concert et pour piano, la « Pénélope » de Gabriel Fauré, poème lyrique méconnu créé en 1913, à l’Opéra de Monte Carlo, sur un livret de René Fauchois qui narre le retour d’Ulysse à Ithaque. La direction musicale sera assurée par la pianiste Anne Le Bozec ; Catherine Hunold tiendra le rôle-titre aux côtés d’Airam Hernández dans celui d’Ulysse.
Composé par Claude Debussy, sur le livret de Maurice Maeterlinck, « Pelléas et Mélisande » sera à l’affiche dans la mise en scène d’Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française (coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées, l’Opéra de Dijon, l’Opéra de Rouen, etc.), avec des costumes de Christian Lacroix. Déjà invité pour les représentations de « la Ville Morte », le chef britannique Leo Hussain assurera la direction musicale de ce drame poétique qui conte l’histoire d’amour impossible entre Pelléas et Mélisande, jeune femme mariée à Golaud. Les rôles-titre seront tenus par Victoire Bunel et Marc Mauillon, le baryton André Heyboer incarnera Golaud et la basse Franz-Josef Selig sera Arkel. Debussy développa ici son art à l’écart des impératifs commerciaux de son temps. Cherchant ses guides dans la littérature, il sut opérer la fusion alors idéalisée entre poésie et musique. L’étrange âpreté du théâtre de Maeterlinck, où chaque personnage est porteur de sa propre tragédie, lui inspira sa version du drame du prince Golaud, de son jeune frère Pelléas et de la mystérieuse Mélisande. La création à l’Opéra-Comique, en 1902, connut un retentissement profond: dans l’histoire de l’art occidental, il y a un avant et un après « Pelléas »…
Au Théâtre Garonne, l’Italienne Silvia Costa mettra en scène « la Damoiselle élue », poème lyrique que Claude Debussy composa sur un texte de Dante Gabriel Rossetti, chef de file du mouvement préraphaélite en Angleterre. Créée à Paris en 1893, l’œuvre évoque les aspirations d’une jeune fille qui se penche sur la Terre depuis le Paradis, où elle attend l’arrivée de son amant. Cette courte pièce sera couplée au cycle de mélodies « Journal d’un disparu », de Leoš Janáček. Créés en 1921, ces chants pour ténor, chœur féminin et piano narrent l’histoire d’un jeune villageois amoureux d’une gitane. L’écriture est contemporaine de la correspondance passionnée – mais à sens unique – que le musicien entretient de 1917 à 1928 avec sa muse Kamila, de 37 ans sa cadette. «Sans toi, je ne serais pas celui que je suis. Aucune de mes compositions ne pourrait naître de ce désert dans lequel je vis», écrit-il à l’objet de son amour impossible, qui lui inspira cette œuvre brûlante.
Jeune chef Hongrois, Gábor Káli dirigera « Eugène Onéguine », de Piotr Ilitch Tchaïkovski, dans une nouvelle production confiée au jeune metteur en scène Florent Siaud. Le baryton français Stéphane Degout chantera pour la première fois le rôle-titre de cette adaptation par le compositeur du roman d’Alexandre Pouchkine. Créé en 1879, à Moscou, l’ouvrage suit la lente descente aux enfers d’un jeune dandy qui refuse un mariage d’amour. Le sous-titre «scènes lyriques en trois actes et sept tableaux» témoigne d’une écriture dramatique par fragments scéniques, par esquisses, par croquis, qui se focalise sur les moments psychologiques clefs de l’ouvrage où Tchaïkovski conserve le texte de Pouchkine à l’identique et trouve une expression musicale d’une grande densité. Le compositeur dessine les traits des différents personnages suivant une «fluidité rythmique» et une «souplesse de phrasé» hérité de Mozart – qu’il admire particulièrement.
Après sa « Norma » au Capitole, Anne Delbée livrera sa deuxième mise en scène lyrique avec « le Viol de Lucrèce », que Benjamin Britten composa en 1946, sur un livret de Ronald Duncan, d’après une pièce d’André Obey. Avec cet opéra de chambre, il souhaite rendre ses lettres de noblesse au genre de l’opéra anglais. Dirigé par l’Allemand Marius Stieghorst, l’ouvrage confronte en deux actes la jeune Lucrèce, femme aimante et loyale du général romain Collatinus, à Tarquin qui a fait le pari de passer la nuit avec elle pour éprouver sa fidélité notoire à son époux.
La saison s’achèvera avec « Elektra », de Richard Strauss, dans une mise en scène de Michel Fau, deux ans après sa somptueuse « Ariane à Naxos » sur la même scène. L’œuvre a été créée en 1909, à Dresde, six ans après la pièce de théâtre du dramaturge Hugo von Hofmannsthal dont elle est tirée, pièce qui s’inspire de l’histoire de la famille mythique des Atrides telle qu’elle est relatée par Sophocle. En un seul acte, le livret se concentre sur la figure d’Elektra, jeune fille avide de venger le meurtre de son père Agamemnon commandité par sa mère, Clytemnestre. Après son triomphe dans « Parsifal », de Richard Wagner, le chef allemand Frank Beermann dirigera un orchestre volumineux et une prestigieuse distribution internationale réunissant Ricarda Merbeth dans le rôle-titre, Violeta Urmana dans celui de Clytemnestre, Johanna Rusanen et Matthias Goerne en Oreste. Autant d’ingrédients nécessaires pour atteindre le paroxysme vocal, musical et théâtral requis.
D’autres grands noms de la scène lyrique sont attendus en récital: Sabine Devieilhe, avec le pianiste Alexandre Tharaud, et Véronique Gens, avec la pianiste Susan Manoff, pour des programmes de mélodies françaises ; Marina Rebeka explorera les répertoires italien et russe ; le baryton Matthias Goerne sera accompagné par le pianiste Nelson Goerner pour le fameux « Voyage d’hiver » de Franz Schubert, etc.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole