La vie fut heureuse et surtout opulente aux Cytises, ce riche domaine appartenant à la dynastie des Lormes-Missiac, notaires de cette contrée rurale depuis des générations. Mais voilà qu’un beau jour, le dernier en date, après l’une de ses rituelles promenades dans la forêt de Font-Manoir, décide de faire marche-arrière. Entendons par là qu’il ne veut plus rien de tout ce qui a manifesté sa splendeur matérielle passée. Plus de meubles, de miroirs, de vêtements luxueux, d’argenterie, de cristaux, tout cela doit être vendu à vil prix. Sa famille continuera de vivre aux Cytises mais dans un dénuement quasiment total.
Nous sommes pendant la Seconde Guerre mondiale, un conflit qui, à vrai dire, n’est pas tout à fait arrivé jusqu’à cet endroit reculé de la Province française. Le dernier des maîtres Lormes-Missiac confine donc les siens à l’écart de la civilisation et surtout du village que les Cytises dominent de toute sa splendeur bientôt passée : Carèges. Grand-père est le pater familias des lieux, bien sûr, un titre que sa femme, Emilie, ne saurait en aucun cas lui disputer. Il y a aussi, dans ce trompeur radeau de la Méduse, sa bru, et cinq petits-enfants. C’est la plus jeune, Véronique, qui est la narratrice de cette odyssée enfantine dans les décombres d’un temps perdu.
Au travers de ses yeux et à hauteur de sa perception naissante de la vie, elle nous raconte ces moments durs mais formidablement joyeux avec ses frères et sœurs. Chacun a son devoir vis à vis de la communauté : faire des fagots, aller chercher des bûches, traire la biquette, ramasser des baies et tout ce que la forêt peut offrir à foison, entretenir chichement le feu, porter son petit-déjeuner à Bonne-Maman, etc. Et surtout ne jamais demander d’explications sur la situation. Toute cette nichée grandit et un hangar interdit en fond de domaine va bientôt leur tendre les bras. Pour une découverte, c’est une découverte ! Chacun des adolescents va vivre cela différemment, en particulier Ariane, tellement belle qu’on la dit laide, sauvage et cruelle à la fois, la plus proche du grand-père. Un lourd secret semble dissimulé derrière ses yeux impénétrables.
Avant de nous arriver, ce roman, écrit en 1977, a été repris par son auteur en 1985, puis en 1998 pour finalement connaître la version actuelle en 2010, date à laquelle Myrielle Marc a décidé de ne pas le publier encore. Ainsi travaille cette romancière, se laissant envahir par ses personnages plutôt que de les assujettir d’une main de fer. Le résultat ici est un joli roman sur l’apprentissage de la vie, des relations familiales, roman dans lequel, en creux, on peut facilement décrypter une attaque violente contre le consumérisme. En apparence un livre qui pourrait appartenir à ce que l’on appelait la Bibliothèque verte, sauf que…
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
« Le Fou d’Ariane » • Myrielle Marc
XO Editions
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