Le déconfinement en cours depuis le 11 mai, même s’il a soulevé un peu le couvercle sur l’ébullition de certaines questions, ne permet pas encore d’y voir clair sur ce qu’il adviendra dans les mois qui viennent pour les structures théâtrales de la ville rose : ici comme ailleurs, le COVID aura tout bousculé, la saison en cours et la prochaine, la (sur)vie des intermittents déjà précaires pour lesquels c’est la double peine et jusqu’à notre rapport de spectateurs avec le spectacle vivant. Justement parce qu’il l’est, vivant, la vie fourmille malgré tout dans des lieux toujours étiquetés comme « fermés temporairement ». Petite chronique de ces instants (extra)ordinaires de la vie du Théâtre Sorano avec son directeur Sébastien Bournac.
Rembobiner le mois de mars
SB : « Mars c’est traditionnellement un mois favorable, intense et le printemps c’est toujours dans les théâtres une période pleine, chargée, pleine d’énergie positive. On était heureux, tout allait bien, on s’apprêtait à accueillir des gens et des projets qu’on aime beaucoup, Baptiste Amann, Pierre Maillet, Brigitte Jaques-Wajeman… A l’annonce du confinement au tout début il y avait un peu d’inconscience, de déni, on allait travailler de chez nous, réinventer les rapports professionnels, etc., et tout ça n’allait pas durer. A ce moment là la fin de saison n’était pas remise en question. Mais très vite tout s’est crispé. L’annonce de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes a été brutale, je l’ai vécu doublement comme directeur de compagnie et comme directeur de théâtre : quand on a finalement compris qu’on devait annuler tout le reste de la saison, ça a été l’effondrement, une vraie douleur. »
Prévoir …au jour le jour
SB : « On a pu reporter la plupart des spectacles qui étaient prévus, je suis heureux de pouvoir les faire découvrir (en principe) sur les saisons prochaines. Le déconfinement ne modifie pas grand-chose à notre quotidien, tant qu’on n’a pas de visibilité sur les scénarios possibles (qu’on connaîtra plutôt fin août). L’équipe du Sorano continue de travailler, mi en présentiel, mi en télétravail, on pare aux reports, aux engagements surtout pris avec les artistes. Certains spectacles comme Jamais labour n’est trop profond n’étaient pas encore créés donc on a pu les re-programmer à deux ans en soutenant la production. La nouvelle saison va être annoncée au public le 18 juin, je vais m’adresser aux gens comme d’habitude mais via internet, pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’on y a travaillé dur et puis j’ai besoin de raconter comment elle s’est bâtie, entre la saison dont on a rêvé et sa nouvelle forme, plus incertaine. On a tenu aussi à bâtir un avant-programme, plus léger, un petit cadeau qui sera envoyé au public par courrier. »
Rester là, d’une autre manière
SB : « Pour moi, le principal c’est de rouvrir les théâtres le plus vite possible, dire qu’on est là. Bien sûr j’ai, comme nous tous, entendu les annonces gouvernementales, et on connaît nos responsabilités. On ne va pas attendre qu’on nous dicte notre destin ou notre mort. On va rester là, d’une autre manière. Malgré le flou artistique de ces dernières semaines et l’improvisation politique sur la culture, il a fallu choisir de ne pas déserter le présent, de faire face au jour le jour à la situation. D’avancer de quinze jours en quinze jours au lieu de voir loin. C’est encore le cas mais les choses s’inventent finalement au fur et à mesure, sans modèle. On ne sait pas encore dans quelles conditions on va pouvoir rouvrir, comment mettre en place le protocole sanitaire, les distances de sécurité dans la salle, quid de la possibilité d’ouvrir le bar, etc… mais on va réinventer. Et pas « réinventer « comme l’entend la présidence : si les formes nouvelles c’est faire de l’éducation artistique, que l’on fait déjà de façon très impliquée depuis très longtemps, bonjour la pauvreté du discours et la méconnaissance du travail des structures ! Cela ne remplacera jamais le cœur de notre métier qui est la création ».
Retrouver les gens
SB : « Pendant le confinement, on ne pouvait pas rester sans rien faire vis-à-vis du public. Pour moi le théâtre est un art de la relation, l’important c’est le rassemblement, le partage alors on a mis en place des liens vers la mémoire du lieu, des petites vignettes, des captations sur facebook. Dans cette drôle de période, on a reçu beaucoup de retours du public, beaucoup de témoignages d’affection, de nombreux spectateurs ont fait don de leurs places pour maintenir la rémunération des artistes. Il y a eu une grande générosité. J’aimerais aujourd’hui qu’on entende les gens sur leur envie de revenir au théâtre et qu’on donne la parole aux lieux pour réenclencher le lien et retrouver cette énergie collective très forte qui nous rassemble ».
Enfin revoir des spectacles
SB : « A la lumière de cette crise, je crois qu’il y a urgence à voir certains spectacles, à nous frotter à quelques thèmes indispensables, à retrouver le sens des mots rassemblement, collectif, rituel, liberté, cérémonie. La saison qui s’annonce, même pleine d’incertitudes, sera riche et intense. Je ne la dévoile pas, mais voici quelques scoops : on ouvrira avec le Raoul collectif dans Cérémonie, l’histoire d’un groupe de musique qui devait être présentée à Avignon. Le festival Supernova fera la place aux très jeunes, les moins de trente ans, les témoins forts comme Rebecca Chaillon en ouverture (Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute). Ce sera aussi le retour de Marion Sieffert (avec une variation sur Jeanne d’arc et la question de la virginité, de la sexualité), Stanislas Nordey, Valérie Dréville et un joyeux, magnifique Pippo Delbono (la Gioia). Pour ma part je travaille à ma prochaine création avec Pascal Sangla, Peut-être pas, une écriture de plateau autour d’un théâtre à l’arrêt sur un scénario qu’on avait écrit en juin 2019, revisité après le corona). Tout ceci comme d’habitude en forme de mélange de grandes références (élargi à la dimension européenne), bricolé avec l’émergence, les artistes à découvrir, des petits bijoux qui arrivent. Ça va être la fête ! »
THÉÂTRE SORANO • CULTURE 31
35 Allées Jules Guesde – Toulouse
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