Le roman qui clôture la trilogie et l’histoire d’Octave Parango était attendu, comme chaque sortie littéraire de l’auteur. Frédéric Beigbeder a ses lecteurs. Et ses censeurs. Octave Parango a ses admirateurs. Et ses détracteurs. Dans 99 francs, Beigbeder déboulonnait le monde de la publicité, dans Au Secours Pardon, l’industrie du luxe était généreusement charriée. Avec L’Homme qui pleure de rire paru en janvier aux Editions Grasset, c’est la question du Rire et notamment du rire à l’antenne radiophonique qui est examinée. Pourquoi faut-il toujours et encore rire et faire rire ?
Evincé de la matinale de France Inter après une désastreuse non-chronique qui ressemble fort à un auto-sabordage dans les règles de l’art, Frédéric Beigbeder peut débuter son nouvel opus. L’incipit est évident, la situation initiale posée et Freddy et son double littéraire déglingué peuvent tous les deux s’inviter à discourir sur … le Rire !
Le romancier connaît son sujet, rien à dire, il sait son Bergson et identifie formellement les personnalités du monde de la radio et de la télévision spécialistes des tranches de bonne marrade de gauche. Car on les reconnaît tous. L’onomastique est claire. On sait qui est qui dans cette dictature du rire. On sait qui fait quoi. Freddy n’a pas peur. Freddy dit.
Le contexte est le nôtre, celui des « gilets fluos » comme il l’écrit, et celui de Beigbeder qui finalement raconte heure par heure le jour d’avant son musèlement. Octave narre le chaos de sa vie nocturne, l’alcool, la drogue, les femmes. Et Freddy n’est jamais très loin, on le sait bien…
Car en effet, Octave/ Freddy n’est plus le mondain débauché prince des nuits parisiennes, il est marié, il est père, il est même peut-être un peu ennuyeux si, si … Et il est terriblement nostalgique de sa liberté d’antan, refusant de se laisser aller à vieillir et à se ranger des voitures. Dans ce monde d’un autre monde révolutionné par le consentement, l’usage intempestif des smartphones, le langage semble avoir véritablement perdu son sens. Il ne rime plus à rien. Il est comme un smiley mort de rire apposé en un clic pour répondre à tout et à rien. Le langage est devenu absurde. Normal, le monde l’est aussi. On peut aisément s’identifier à l’homme / l’écrivain désabusé qui a connu une autre version de l’existence plus libertaire et plus porteuse de sens.
Ceci n’est pas un roman. C’est plus, c’est moins. C’est peut-être un essai, peut-être un plaidoyer, peut-être une satire, peut-être une autobiographie, peut-être une longue plainte de l’Homme inadapté à ce nouveau cosmos. Je ne sais pas.
Mais c’est du Beigbeder. C’est parfois drôle, parfois méchant. Parfois méchamment drôle. Je n’ai pas pu m’empêcher de surligner quelques phrases, j’aurais pu y ajouter un smiley hilare mais je n’ai pas osé. Je préfère écrire.
Frédéric Beigbeder n’est pas un humoriste. C’est un écrivain. Et peut-être davantage encore un sociologue …
» Le pouvoir du Lol est la seule calomnie sans appel. Il permet d’être constamment dégradant, en toute impunité et avec beaucoup de popularité. L’humour des insolents chroniqueurs de France Publique consiste à saper les fondements de la démocratie en se faisant passer pour son dernier rempart. »
« Finalement, tous mes métiers auraient pu avoir le même nom : illusionniste …cette stérilité nous ronge et finit par faire de nous de pauvres loques, des zombies titubant au bord de piscines anthracite, montant et descendant d’Uber aux vitres opaques, coupables de n’avoir rien fait pour la planète, à part trier les déchets, avant d’en devenir un. »
« J’adore l’air naïf que prennent les femmes ayant le plus bourlingué ».
Face à face avec Frédéric Beigbeder
Les digressions que vous vous autorisez ne tendent-elles pas à faire de votre roman un essai sur le rire, davantage qu’un roman finalement ? J’aime les romans composites. Le roman contemporain est une auberge espagnole, on peut y mettre tout ce qu’on veut. La seule chose qu’il faut essayer d’éviter est l’ennui.
Vous réglez en direct des comptes avec une certaine radio, c’est un gage de sincérité et de transparence alors pourquoi vous cacher derrière Octave ? De quoi Freddy a-t-il peur ? D’écrire un livre qui ne durera que quelques semaines. C’est pourquoi je modifie les noms : pour transformer des individus provisoires en personnages immortels.
Octave est un homme de l’ancien monde qui tend à devenir meilleur. Où vous situez-vous vous même ? Quelle est votre « utilité » selon vous ? Je revendique ma complète inutilité et j’en suis fier.
Cela vous gêne-t-il qu’on vous envisage comme un amuseur public ou pire, un paresseux, alors que vous écrivez un livre tous les deux ans ou presque ? Non, je bosse énormément pour qu’on me trouve léger et nonchalant.
Qu’est-ce qui vous fait franchement rire ? Récemment, la tête d’Adèle Haenel apprenant que le César de la meilleure actrice est attribué à Anaïs Demoustier.
Vous aimez penser que la littérature a le mérite de tromper l’ennui en dérangeant. Quels sont les livres qui vous ont le plus secoué ? En ce moment je lis « Don Quichotte » de Cervantès. Tout ce qui a été écrit ensuite n’a fait que répéter ce qu’il y a dans ce roman.
L’Homme qui pleure de rire, Editions Grasset. Janvier 2020.