Dans le cadre de, Les Musicales Franco-Russes, Saison II, le cycle Grands Interprètes frappe un grand coup avec trois soirées d’affilée. Les 10 et 11 mars, ce seront deux opéras qui se succèdent, en version concert, à savoir Mazeppa puis Eugène Onéguine du même compositeur Piotr Ilyitch Tchaïkovski.
Sont sollicitées, les troupes de l’Orchestre et du Chœur du Théâtre du Bolchoï de Russie, distribution vocale comprise. Le 12, suivra un concert symphonique avec des œuvres d’Alexandre Borodine et de Serge Rachmaninov. Les trois concerts seront, bien sûr, dirigés par leur chef attitré et Directeur musical Tugan Sokhiev.
Les soirées concernées étant surtout dédiées à la musique et au chant russe, disons quelques mots sur l’opéra qui est un art appartenant aussi à ces contrées, si lointaines autrefois mais si proches finalement par leur art. L’épistolier forcené qu’était Tchaïkovski – plus de cinq mille correspondances répertoriées – n’avait-il pas écrit ses premières lettres…en français ?
Pour aller au plus simple, on considère que l’opéra russe proprement dit a été inauguré par Mikhaïl Glinka (1804-1857) dont les œuvres fondatrices et les plus connues sont bien La vie pour le tsar et Rousslan et Ludmilla. Bien sûr, on ne peut ignorer, plus tard, le Boris Goudounov (1874) de Modeste Moussorgsky, ni le seul opéra complet d’Alexandre Borodine, le Prince Igor. Quant au marin et musicien et compositeur, Nicolaï Rimski-Korsakov, la liste est plus longue. On peut citer, Ivan le Terrible, Sgniegourotchka, Mlada, Sadko, La Fiancée du Tsar, Kitège, Le Coq d’or.
Mais le compositeur russe le plus célèbre de son temps est sans nul doute Piotr Ilyitch Tchaïkovski, né en 1840 (à Votkinks – Oural) et mort à Saint-Petersbourg en 1893. On a coutume de voir en lui, le représentant du cosmopolitisme universel opposé au nationalisme, mais ses principales objections au fameux Groupe des Cinq (Borodine, César Cui, Balakirev, Moussorgsky, Rimski-Korsakov) visaient leur culte du caractère primitif de la musique et leur tendance autodidacte tandis que lui était fasciné par l’héritage musical de la France et de l’Allemagne, et par le théâtre lyrique italien. Toutefois, sa sensibilité ne pouvait être plus slave, et personne n’aurait pu se tromper sur ses origines. En outre, il entretint des relations personnelles intenses et amicales avec certains membres du Groupe, en particulier Rimski-Korsakov. « Je suis russe, russe jusqu’à la moelle des os. » : cette phrase est bien de lui.
A l’égard de ses propres possibilités dans le domaine de l’opéra, le compositeur écrira : « Il me semble que je possède réellement l’aptitude d’exprimer en musique, avec véracité, simplicité et sincérité, les sentiments et les états d’âme suggérés par un texte. En ce sens, je suis un réaliste, et un Russe par excellence. {…} Un mélomane sensible juge cela avec beaucoup plus de justesse que les musiciens professionnels. Toute la presse russe a longtemps nié en moi un compositeur vocal, et s’obstinait à croire que je ne pouvais aller plus loin que la symphonie. »
Des dix opéras qu’écrivit Piotr-Illyitch Tchaïkovski, neuf subsistent. Ses opéras de la première époque sont, de toute sa production, les œuvres dont on se souvient le moins, car les moins personnelles. En 1877, c’est le tournant avec, justement, les débuts de la composition d’Eugène Onéguine, celui qui va nous occuper le soir du 11 mars. Son abondance mélodique, le travail sur l’intimité des personnages, des ambiances de cour romantique, tout cela associé à une maîtrise de la danse et de la comédie de salon font de cet opéra un véritable petit bijou musical.
Ils seront véritablement deux seulement à passer à la postérité, de façon unanime : Eugène Onéguine, et La Dame de pique. L’un comme l’autre sont en même temps, deux véritables livres ouverts sur les déchirements du for intérieur de leur illustre compositeur, sur ses sentiments exacerbés, sur ceux vécus et plus encore ceux enfouis, avec tous ces tiraillements contraires, deux livres ouverts dans lesquels s’exprime toute la nostalgie de tant de regrets. Nous aurons donc la chance d’en entendre un autre, plus rare, Mazeppa, dont les notes n’ont encore jamais retenti à Toulouse, mais qui semble de plus en plus apprécié de nos jours.
Parmi ses opéras qualifiés d’historiques de par le contenu du livret, un seul, Mazeppa, l’est le plus authentiquement, et peut être reconnu comme un succès réel. En effet, il forge la tragédie des destinées individuelles au souffle d’événements décisifs pour l’avenir de l’Empire russe. Mais le souffle en question, c’est bien de Pouchkine qu’il émane. Il s’inscrit ainsi dans la tradition du grand opéra historique russe (Rimski-Korsakov, Moussorgski, Prokofiev, Chostakovitch).
L’influence des écrivains russes est primordiale sur quantités d’ouvrages musicaux produits alors. La constatation s’impose ici, même sans qu’il y ait nécessairement une relation de cause à effet : les trois opéras les plus réussis de Tchaïkovski, si différents soient-ils de par leurs sujets, furent tous trois “pouchkiniens“.
Septième opéra du compositeur, Mazeppa fut composé entre juin 1881 et avril 1883. Le livret de Victor Bourenine ne le satisfaisant guère, il ne le citera même pas. Il fut créé au Théâtre du Bolchoï le 15 février 1884. Il subira par la suite encore des modifications. Il s’appuie sur Poltava, un poème épique de Pouchkine, relatant la bataille historique qui eut lieu le 8 juillet 1709 entre l’armée de Pierre le Grand et celle de Charles XII de Suède, ce dernier étant vaincu. Il est en trois actes et six scènes et d’une durée d’environ trois heures.
Sachons que sa création en France, en version simplement de concert, ne remonte qu’à …septembre 1978 !! et 2006 pour une version scénique.
Rarement un livret aura autant peint de noir tous ses personnages. C’est le tableau d’une tyrannie de tous les temps qui est dépeint. Ce ne sont qu’intrigues, alliances, mésalliances diverses. Mazeppa comporte son lot de drames, duels, exécutions, champs de bataille, ruines. On sombre avec Tchaïkovski, corps et âmes, dans la dénonciation de la cruauté humaine, assoiffée de pouvoir, dans toute sa splendeur. La saga de feu et de sang se déroule sur fond d’opposition séculaire entre Russie et Ukraine, encore pertinente aujourd’hui, semble-t-il.
Sujet délicat à aborder, Mazeppa étant d’un côté célébré comme un héros national (Ukraine), de l’autre comme un tyran sanguinaire (Russie), au point que l’Eglise russe prononce encore tous les ans un anathème contre lui. Dans l’opéra de Tchaïkovski, on ne s’étonnera pas que le point de vue russe l’emporte, ni que l’amour vienne pimenter le conflit : pendant que son ami d’enfance, le jeune Andreï chante son désespoir face au choix de sa tendre aimée, Maria, celle-ci devient enjeu de pouvoir entre Mazeppa, son parrain et son vieil ami Kotchoubeï, père de la jeune fille, grand propriétaire terrien. Il est en conflit avec son ami car ce dernier lui refuse de bénir son union. Mazeppa a gardé pouvoir et séduction, et il enlève l’objet de ses désirs, objet au demeurant, tout à fait consentant. Le père n’aura de cesse que de se venger de cette désobéissance en révélant au tsar que Mazeppa le trahit en s’alliant aux Suédois. Mazeppa apprend la traîtrise et le fait décapiter, ni plus ni moins, avec son acolyte, Iskra, malgré les supplications de la mère et de la fille.
Elchin Azizov (baryton) Mazeppa
Denis Makarov (basse) Kotchoubeï, le père
Agunda Kulaeva (mezzo-soprano) Lioubov, la mère
Anna Nechaeva (soprano) Maria, la fille
Oleg Dolgov (ténor) Andreï, le jeune amoureux
Alexander Borodin (basse) Orlik, le complice de Mazeppa
Ilya Selivanov (ténor) Iskra, l’ami du père
Ivan Maksimeyko (ténor) Cosaque ivre
Si le premier, Mazeppa, fait d’une puissance absolue la condition nécessaire au triomphe de ses idées, jusqu’à piétiner conscience, amitié et loyauté, le second, accroché aux valeurs traditionnelles, fomente un complot perdu d’avance, qui provoquera sa mort. Fidèle à sa trame historique, l’opéra n’épargne rien, ni les tortures contre le père emprisonné au fond des cachots de la forteresse, ni la scène publique d’exécution, ni, au dernier acte, la mort en longue agonie d’Andreï, tué par son rival, en fuite. Attention, on est loin du jeune héros romantique attaché nu sur un cheval sauvage en punition d’un adultère, mis en vers par Byron et Victor Hugo (Les Orientales), et en musique par Franz Liszt. Le Mazeppa de Tchaïkovski n’est plus maintenant qu’un chef de guerre vieillissant. Il est le hetman – chef – des cosaques, nommé gouverneur de l’Ukraine par le tsar en récompenses de ses prouesses militaires. Mais, vous avez plus loin son histoire un peu plus précisée !
Ainsi Mazeppa a-t-il déclenché la catastrophe finale en poursuivant si loin pour l’Ukraine son rêve d’indépendance, trahissant le Tsar, déclenchant, le cataclysme de la bataille de Poltava – une des pages symphoniques les plus haletantes de Tchaïkovski – et la folie de Maria, pauvre gamine écervelée attirée par l’argent et le pouvoir. Autour d’eux, les autres personnages dérivent de désespoir en violence, de fourberie en résignation.
La partition est un feu permanent, lyrisme et vigueur étant les maîtres mots qui animent des pages d’une puissance éloquente et virtuose. Desserrant parfois l’étau, quelques rares plages de tendresse ou d’élégie comme respirations indispensables, devront être saisies. Aucun répit pour les principaux protagonistes : Mazeppa et son rêve d’Ukraine, Maria à ses côtés, personnage complexe, ambitieux, rusé mais aussi exalté et amoureux. Kotchoubei et sa naïveté politique, décapité avec son acolyte Iskra. La mère Lyubov, rôle pour mezzo, déchaînée dans la défense de son mari mais aussi de sa fille. Maria et ses rêves simplistes de richesse et de maternité et qui finit folle, l’opéra se terminant par une très belle scène de la folie, en effet.
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Billetterie en Ligne des Grands Interprètes
Les Grands Interprètes
Crédit Photos
Théâtre du Bolchoi © Pyotr Ushanov – Tugan Sokhiev © Marco Borggreve – Elchin Azizov © Damir Yusupov