Ernest Chausson occupe une grande partie du concert du 15 février, Ravel le complétant, le tout placé sous la direction de Tugan Sokhiev, avec pour soliste, le violoniste Renaud Capuçon. Le 28, ce sera une symphonie de Mozart , la n° 25 suivi d’un monument, la Neuvième de Bruckner avec, à la direction, le surprenant et talentueux Kahchun Wong.
Pour le concert du 15, il débute par l’ineffable Poème pour violon, op. 25 d’Ernest Chausson et pour suivre, Tzigane, rhapsodie de concert pour violon, M. 76 de Maurice Ravel, une pièce courte, d’une dizaine de minutes, plutôt diabolique pour le violoniste qui, en principe, la termine, éreinté !. Puis, ce sera la fameuse Symphonie en si bémol majeur, op. 20 du même E. Chausson.
Quelques mots sur Ernest Chausson dont les deux œuvres interprétées ici sont quasiment contemporaines de la Neuvième d’Anton Bruckner arrivant quinze jours plus tard à la Halle.
Maître de l’élégie, musicien fin et sensible, Ernest Chausson figure relativement peu dans les programmes de concert. Ses œuvres que d’aucuns qualifient d’hautaines, très achevées, le classent parmi les plus grands musiciens de la fin du XIXè. En son temps, il s’attachera à donner un élan nouveau à la musique de chambre et à la musique symphonique, sans oublier des Mélodies, l’ensemble permettant de le qualifier de “musicien de l’intimité“. Le Poème est de1896, créé en 1897 par le dédicataire Eugène Isaye, et la Symphonie, esquissée dès 1889, créée le 18 avril 1891, sous la direction “chaotique“ du compositeur ! Une symphonie de moins de trente minutes, en trois mouvements : Lent – Allegro vivo suivi de Très lent et enfin Animé, avec un orchestre relativement dense, et proche de celle plus connue de César Frank, la Symphonie en ré mineur. Le second mouvement, très lent, est une page de très grande beauté, d’une expression très concentrée et secrètement pathétique. Son élaboration fut particulièrement laborieuse. Après ces accents émouvants, l’ardente flamme du chant final nous transporte dans un univers totalement différent : après l’héroïsme et la joie, une douce mais grave sérénité, avec une conclusion réapparaissant dans une atmosphère de choral religieux traduisant comme l’acceptation, faite de résignation douloureuse et d’inquiétude chrétienne.
Concert du 28 février 2020
Quant au 28 février, après une délicate entrée occupée par la Symphonie n° 25 en sol mineur, K 183 de Wolfgang Amadeus Mozart, ce sera Anton Bruckner et l’une de ses cathédrales qui vous saisissent dès leurs premiers accords et ne vous lâchent plus. C’est parti pour près de soixante minutes avec sa Neuvième.
Il vous faut donc en savoir un peu plus avant d’écouter ce fleuve musical hors-dimension, mais on peut le faire aussi, vierge de toute info et se laisser emporter, sans couler ! jusqu’à la dernière mesure, l’ultime note.
Ci-dessous donc, Anton Bruckner et sa Neuvième.
Anton Bruckner, ou l’ascension opiniâtre du petit maître d’école jusque vers les plus hautes destinées, grâce à une foi indéfectible dans la musique et une probité absolue à l’égard de son art. Ou, quand les flèches de ses cathédrales sonores se fondent dans le ciel.
« Ceux qui ont écrit une Neuvième étaient trop près de l’au-delà. » Arnold Schönberg
I. Feierlich, misterioso (solennel et mystérieux) ~ 25 mn
II. Scherzo (Bewegt, lebhaft – mouvementé et vif) – Trio : Schnell (rapide) ~ 10 mn
III Adagio (Sehr langsam, feierlich – très lent et solennel) ~ 25 mn
« J’ai dédié mes premières symphonies à l’un et à l’autre respectable amateur de musique, mais la dernière, la Neuvième, devra maintenant être offerte au bon Dieu, s’il veut bien l’accepter. »
dem lieben Gott gewidmet (« dédié à Dieu »)
Esquissée dès l’été 1887, continuée en avril 1891 et le troisième mouvement terminé le 30 novembre 1894.
Ebauches multiples du Finale qui ne sera jamais achevé.
Création le 11 février 1903 à Vienne, sous la direction de Ferdinand Löwe. Les trois mouvements auraient été présentés suivis du Te Deum comme le compositeur l’avait suggéré.
A partir de 1932, on revient à la version originale, en laissant de côté les interventions de F. Löwe.
C’est l’Originalfassung.
Création le 2 avril 1932 à la Tonhalle de Munich ; à ce même concert furent données consécutivement la version 1903 et l’originale !
Effectif orchestral : il est impressionnant avec tout d’abord les bois non par 2 mais par 3 ; 4 cors et 4 « tuben wagner » ; 3 trompettes ; 3 trombones, 1 tuba ; timbales ; les pupitres de cordes au grand complet.
Bruckner meurt le 11 octobre 1896. En septembre 1894, il confiait à un visiteur : « J’ai rempli mon contrat sur cette terre, j’ai fait ce que je pouvais. Il y a encore une chose que j’aimerais : qu’il me soit seulement donné le temps de finir ma neuvième symphonie ! Trois mouvements sont à peu prés terminés ; l’Adagio est pratiquement fini. Reste le quatrième mouvement. Espérons que la mort ne me retirera pas la plume trop tôt… ».
La Neuvième est bien celle de l’Adieu. Œuvre indéniablement d’essence religieuse, messe sans parole, elle magnifie les multiples rappels qu’elle contient de fragments ou motifs issus d’œuvres antérieures, Kyrie et Miserere de la Messe en ré mineur, ou Benedictus de la Messe en fa, citations du Finale de la N°5, du thème principal de la N°7, de l’Adagio de la N°8… Elle va dépasser en solennité toutes celles qui l’ont précédée avec une instrumentation plus colorée que jamais et les limites de l’harmonie franchies définitivement de la façon la plus audacieuse.
Quant à sa tonalité – ré mineur – c’est celle de la Neuvième de Beethoven et … du Requiem de Mozart. C’est en quelque sorte la tonalité du Destin. Il l’avait déjà choisie pour sa Nulle Symphonie – 1864 -, pour la Troisième et pour la première de ses grandes Messes pour orchestre.
De tous les symphonistes du XIXe siècle, c’est Anton Bruckner qui a le mieux traduit par la musique la situation de l’individu livré à lui-même, en proie à la solitude, à l’isolement, et à l’incompatibilité de la vie intérieure avec son environnement.
Aussi a-t-on interprété l’unisson brutal du premier thème du premier mouvement comme une manifestation de l’abandon existentiel, le deuxième thème comme l’expression d’un désir amoureux inassouvi. Quant au troisième, il serait comme une vision d’une nature idyllique, pastorale et tranquille. Le Scherzo symboliserait l’apathie du monde et l’Adagio, l’aspiration enfin à la Lumière, et l’affirmation d’un espoir.
Que c’est long et toujours pareil ! Voilà bien une réflexion dans l’air du temps. Qui n’est pas « speed », est mou, et long, et ennuyeux. A quoi peut tenir, bien trop souvent, le succès de ce type d’œuvre, si ce n’est à son Scherzo ou à l’Allegro plus qu’à son Adagio. Quant aux effrayantes longueurs des symphonies d’Anton Bruckner, …. De quarante-cinq minutes pour la n°0 à près de quatre-vingt pour la n°5 ou la n°8, sans pouvoir se détendre entre les mouvements, et pas d’entracte : une véritable épreuve. Cependant, si vous faites l’effort, vous serez alors tellement récompensé. Avec Bruckner, vous pourrez vous abandonner à la durée existentielle, goûter à l’exploitation des exceptionnelles lignes mélodiques d’une admirable beauté, surtout dans cette Neuvième, exploitation qui nécessite bien sûr une durée suffisante pour la plus ample des respirations.
Quelques mots sur la Neuvième et ses trois mouvements : cliquez ici
Quelques mots sur la récupération du compositeur par le pouvoir nazi, cliquez ici
Billetterie en Ligne de L’Orchestre National du Capitole