Il vous reste trois représentations pour vous plonger dans ce concentré, la somme de toute une vie de création d’un compositeur et d’un librettiste réunis de génie, à savoir Richard Wagner. Et pour vous retrouver fasciné et troublé par ce mélange de religiosité et d’érotisme intense, mais oui !! Pari gagné au Théâtre du Capitole.
Vous pouvez retrouver aussi mes deux articles d’annonce ainsi que celui de Jérôme Gac.
À l’applaudimètre, c’est pour Frank Beermann. Mission accomplie pour ce chef que la scène du Capitole n’avait pas encore accueilli et qui nous a conduit par le bon chemin jusqu’au Graal. C’est lui qui détermine cette forme d’enchantement qui nous prend dès le Prélude et nous tient en haleine jusqu’au bout, sans aucune obsession du gain de temps, avec une dimension affective non ostentatoire, sans excès de piété musicale, mais un encens instrumental diffusé généreusement, sans rien atténuer, une corrélation entre lui et le plateau évidente, et bienvenue, en un mot, une synergie totale entre action et musique et chant. Le tout, facilité par une mise en scène qui coule comme ce flot musical ininterrompu dans lequel les silences sont aussi, musique. Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole recueillent des tonnerres d’applaudissement pour la prestation d’abord et, aussi, pour une certaine forme de stoïcisme car il faut tenir !!
L’orchestre est bien le protagoniste premier, comme l’a voulu Wagner. Le chant dépouillé suit. Quant à la scène, elle vient après et exige ici des ruses infinies, techniques, esthétiques, humaines et semble avoir joué quelques tours à Aurélien Bory qui, avec ses acolytes, n’ont pas trouvé toute la lisibilité requise par une partie du public. Au moins, reconnaissons à la production, une qualité pour moi primordiale dans un spectacle de plus de quatre heures, et surtout pour une œuvre comme Parsifal : sous-tendu par un travail conséquent, tout est fait pour un écoulement sans gêne aucune des flots de musique et de chant. Ni clichés médiévaux, ni anachronismes incongrus et irritants, ni Allemagne nazie, ni gerbes de sang, ni scènes d’hystérie sexuelle, ni gore, ni trash, ni bric-à-brac, ni attaque atomique, ni grenades, ni Folies-Bergère pour les filles-fleurs. C’est peut-être ce qui a manqué à certains qui aiment la scène envahie, parce que finalement, la musique les ennuie. Pas même de vidéos abracadabrantesques. Pollution visuelle inexistante, tout ou presque pour les oreilles. Même les intervention des masses chorales se font sans accroc aucun. Ça rentre sur le plateau, et ça ressort en toute simplicité. Le pic de l’ouvrage se déroule à deux, Kundry et Parsifal séparés par un triangle noir grâce à un subtil jeu de lumières, merci à Arno Veyrat, devant un mur nu dressé, c’est tout. Et tout est là. Et tous les costumes avec, pour tous, de Manuela Agnesini, en accord avec le parti-pris d’Aurélien Bory. Jusqu’à l’évocation des filles-fleurs flétries qu’on ne fait qu’entrevoir, supposées nu.
Avant d’oublier, un grand bravo pour le travail des Chœurs et de la Maîtrise mené par Alfonso Caiani, troupe renforcée par les Chœurs de l’Opéra de Montpellier chapotés par Noëlle Gény, chœurs au rôle déterminant. Ils font partie intégrante de la réussite, tout comme les circassiens, les Filles-Fleurs, les Chevaliers et les Écuyers, et Julien Véronèse dans le rôle de Titurel.
Gurnemanz est campé par Peter Rose, voix suffisamment ferme et puissante, le personnage reflétant toute la sagesse lucide et attentive requise, du haut de sa stature conséquente. Pierre-Yves Pruvot a la voix de baryton noire et agressive à souhait, tranchante, et lyrique quand il faut, entre deux imprécations sardoniques. Matthias Goerne est Amfortas dans toute sa douleur et détresse traduites par une voix de baryton sombre, celle d’un chanteur au sommet d’un art magistral. Et quand la prosodie enfin reste d’une profonde justesse, chez chacun, fondant en accents identiques les inflexions de la parole et celles de la courbe musicale, comme il en était autrefois du Chant grégorien surgi de l’intonation des textes latins, on est tout simplement au royaume du Graal. Quelle réussite dans ce type de chant !
Nikolai Schukoff est un Parsifal crédible de bout en bout. Certains anciens le rapprochaient d’un Parsifal entendu autrefois, un certain John Vickers. Pas besoin de s’agiter pour rien, de faire grand chose dans les trois actes. Tout ou presque doit passer par les expressions du visage. De l’ado de l’acte I, tels qu’on peut les connaître !! puis la perplexité, la naïveté et ensuite la révélation clamé avec des aigus rayonnants !! Voilà un ténor de timbre presque solaire, plein de vaillance vocale, pile pour un Parsifal messianique. Un rôle travaillé, parfait pour ce chanteur actuellement. Est-ce le fait d’avoir enfin rencontré sa Kundry ? Sophie Koch aurait fait une erreur impardonnable de passer à côté de ce rôle. Des graves que l’on connaît à l’investissement dans les aigus, pleine de tempérament, la chanteuse nous a “scotchés“. Jusqu’aux cris qu’elle fait chant. Et actrice de surcroit avec toute l’animalité du personnage, ardente et subtile. Voluptueuse à souhait dans sa robe noire, qui n’a pas suffi pour faire “craquer“ un Parsifal plus adulte, mais toujours aussi pur !
Un Parsifal pour lequel, le public n’aura pas eu besoin de hurler : « Où êtes-vous Wagner ? » Difficile de rendre la perfection formelle de son œuvre ultime, aux multiples facettes, perfection qui ne concerne pas seulement la conception poétique mais aussi l’expression musicale qui en est inséparable. Pour moi, cette production en a réussi le pari.
« le raffinement dans l’alliance de la beauté et de la maladie n’est jamais allé aussi loin dans la décadence qu’à la fin de Parsifal. » dénonçait Friedrich Nietzche.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
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