Vous aurez lu auparavant le premier volet de cette annonce qui, de par sa longueur a été divisée en deux ! les quatre heures de musique et chant, et théâtre qui va avec, nécessitant quelques commentaires, même en souhaitant faire court.
« Wagner est un magicien noir. C’est un mancenillier (ou arbol de la muerte) à l’ombre mortelle – des forêts sombres prises à la glu de sa musique, il semble que ne puisse s’envoler aucun oiseau. » Julien Gracq.
Avant de revenir à l’une des créations les plus magistrales de Wagner, le personnage le plus fascinant et le plus complexe, celui de Kundry, et pour s’accorder avec les propos de Julien Gracq, on espère qu’à la direction d’orchestre, on n’aura pas à subir une sorte de radiographie de la musique à la Boulez, tendant à présenter le “squelette“ d’une partition desséchée. Sainte et pècheresse, juif errant au féminin, Kundry est la messagère du Graal mais, en même temps, elle reste une séductrice, condamnée à séduire, « la première des diablesses », « la rose de l’Enfer », condamnée toutefois à renaître à jamais puisqu’elle a refusé sa pitié au Christ portant la croix et que, au contraire, elle s’est moquée de lui, elle a ri. Dans sa seconde nature, elle est tentatrice comme le serpent du Paradis, qui promet la reconnaissance et la divinité. Cette Marie-Madeleine est aussi l’initiatrice, la mémoire, sans qui le rédempteur ne prendrait pas conscience de sa mission. C’est après le baiser de Kundry que Parsifal comprend « tout ».
« So rief die Gottesklage
Furchtbar laut mir in die Seele
Und ich – der Tor, der Feige,
Zu wilden Knabentaten floh ich hin ! »
(J’entends le cri de Dieu
terrible dans mon âme
et moi, le fou, le lâche,
j’allais à des jeux puérils et sauvages !) Parsifal, Acte II, 2è tableau
Comme le jeune Parsifal parvient ainsi à résister à ses charmes, il la libère du sort qu’on lui avait jeté : elle sera baptisée par lui et conduite jusqu’au Graal. Elle est femme rédemptrice. De concert, Parsifal continue à mûrir grâce à sa pitié clairvoyante, à son discernement, grâce aussi au fait qu’il reconnaisse et comprenne toute chose vivante. Mais si Parsifal, tout comme Siegfried sont purs, et si ce dernier agit uniquement par instinct, Parsifal lui, agit par amour et par pitié. Amour, Pitié et Compréhension comme contrepoids positifs face à la critique virulente que le compositeur ne manquait pas de faire de son époque qu’il vilipendait. Ce sont là des constantes dans la pensée du vieux Wagner.
Il y a bien dans Parsifal, un schéma dramaturgique de base. Wagner utilise ce dont s’étaient servis le théâtre de moralités du Moyen-Âge avec ces explications allégoriques et le théâtre du début du Baroque, dramaturgie où la lutte entre la vertu et le vice était représentée comme le rite initiatique, le symbole du processus de maturité d’un jeune homme. La lutte que mène le héros lors de sa rencontre avec une jeune femme à la beauté séductrice est rendue exemplaire : il faut qu’il résiste à la belle, s’il veut, en prenant la bonne décision, gagner la reconnaissance de la vertu. La grande scène entre Kundry et Parsifal dans le deuxième acte est bien le pic de l’action. Là, quelle que soit la mise en scène, on ne peut déroger à ce fait du livret. De même que le modèle iconographique de la morale transparaît dans les données scéniques des décors : le château du Graal est le symbole de la chrétienté dans les montagnes du Nord de cette Espagne gothique austère, tandis que le jardin maléfique de Klingsor est perdu dans sa luxuriante végétation. Ici, le traitement scénique peut être considéré de deux façons, matériellement et spirituellement. Aurélien Bory aura fait son choix.
En dehors de ces deux pôles opposés, on peut signaler un troisième décor, la nature libre et innocente de la forêt entourant le château du Graal, et les prairies enchantées du Vendredi saint. La Nature se doit d’être comme une forme de révélation du divin. Wagner nous prévient : « On voit ici deux mondes en lutte pour l’ultime délivrance. » Il s’agit bien de la lutte entre les principes du Bien, de la vérité révélée par l’Ecriture et représentée par les Chevaliers du Graal et leur roi, Titurel, père d’Amfortas, et son opposant, les forces démoniaques du Mal incarnées par le magicien païen Klingsor l’Enchanteur, un chevalier qui a trahit l’Ordre, a commis un péché et a subi le châtiment de la castration (à moins qu’il ne se soit mutilé lui-même ?). Lui aussi cherche à s’emparer du pouvoir du Graal. Dans une telle richesse de références, motifs, et interactions diverses, on se demande comment Wagner ne s’y perd pas, et nous avec !!
Courte incursion dans les influences hindoues du compositeur en évoquant l’histoire de Kalki, roi initié à la science sacrée, qui nous apprend que la Femme ne peut être conquise sans dommage que par le héros rédempteur. Tout autre, du fait même qu’il désire une certaine Padmavati, est transformé en …femme !!, c’est-à-dire, perd sa « virilité spirituelle ». On est bien au plus profond du mythe : Amfortas, à l’âme pas suffisamment sainte pour hériter du Graal, est blessé, sa virilité est atteinte et son pays se meurt. N’oublions pas que la femme « n’est un péril qu’en temps que convoitise. Ce n’est que sous cet aspect qu’elle incarne la tentation luciférienne et provoque la blessure de la virilité qui dégrade et paralyse Amfortas. » (NB : ce n’est pas moi qui le dit !!)
Mais on sait que Parsifal n’a jamais été destiné à devenir un opéra de répertoire, en un mot un opéra pour touristes. C’est un drame mythique qui ne doit pas être transformé en un « drame populaire». Il était sensé n’être monté qu’à Bayreuth sur un délai de trente ans après la mort du compositeur. Requête respectée jusqu’à la fin de 1913, avec une entorse faite à New-York en 1903. D’autre part, s’il fut réservé un temps à la Semaine sainte, on le retrouve maintenant distribué tout au long de l’année. Du Festspielhaus, on retiendra l’héritage d’une salle plongée dans l’obscurité la plus complète, événement, et l’orchestre enfoui sous le plateau, mais pas complètement !! De même que Wagner exigera de ses chanteurs qu’ils modifient leurs habitudes et cessent par exemple de s’adresser au public, mais plutôt, de préférence, à leurs partenaires, tout en gesticulant le moins possible. Quant à la gestion des applaudissements,……
Avec Parsifal, nous sommes dans une conception du monde dramatique wagnérien soumis au contexte chrétien, ou plutôt, pré-chrétien ? Alors, la rédemption est possible. On l’a vu dans Le Vaisseau fantôme avec le Hollandais volant, grâce au sacrifice de Senta, dans Lohengrin, le héros éponyme parvient à restaurer l’ordre monarchique légitime, et dans Tannhäuser, le héros est sauvé par la pure Elizabeth grâce au miracle de la crosse papale. Parsifal parcourt le monde à la recherche du chemin qui doit le conduire au temple du Saint-Graal, le trouve et il est fait roi. Parsifal, c’est « le chaste fol » qui entreprend un long voyage initiatique. Ignorant de ses origines comme un certain Siegfried, il lui sera donné d’accéder à la sagesse en apprenant la compassion, ce qui fera de lui un possible rédempteur de l’humanité. Celui qui pourra réconcilier les contraires et abolir l’espace et le temps.
Dans son ouvrage, Souffrances et grandeur de Richard Wagner, 1933, Thomas Mann ne rate pas un certain Nietzsche qui lâche le compositeur après l’avoir encensé, tout en nous éclairant. « Et si Nietzsche présente les choses comme si Wagner, vers la fin de sa vie, était subitement devenu un homme dépassé, écrasé par le poids de la croix chrétienne, il néglige – ou il voudrait que l’on néglige – le fait que le monde des sentiments de Tannhäuser annonce déjà celui de Parsifal, et que ce dernier représente le bilan d’une carrière teintée du plus profond romantisme chrétien, carrière qu’il a menée jusqu’au bout avec une conséquence magistrale. La dernière œuvre de Wagner est également la plus théâtrale, et peu de carrières d’artistes ont été aussi logiques que la sienne. Un art de la sensualité et de la formulation symbolique (car le leitmotiv est une formule – plus encore, il est un encensoir, déjà, il revêt presque une autorité religieuse), un art qui se rapporte nécessairement aux fastes de la religion. »
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole