Les Misérables, un film de Ladj Ly
Le premier long de Ladj Ly nous met ko debout. D’autant que le thème de l’affrontement entre flics de banlieue et cités interdites ne donne ici lieu à aucun jugement. Histoire d’une tragédie ordinaire.
Avouons-le humblement, nous ne connaissions pas Ladj Ly et voilà qu’il faut irruption, pour ne pas dire éruption dans le paysage cinématographique avec un premier long qui marque d’ores et déjà le cinéma hexagonal.
Il nous met dans les pas de Stéphane, Chris et Gwada, trois policiers composant ce que l’on appelle une BAC, Brigade Anti-Criminalité, dont le champ de manœuvre se situe en Seine Saint-Denis, à Montfermeil et plus particulièrement dans la Cité des Bosquets. Qui pouvait mieux nous parler de cette zone de non-droit que le réalisateur ? Il y est né et il y vit ! Dans ce trio, il y a un nouveau, Stéphane. Il n’est rien de dire combien son bizutage va être sévère. Telle une cocotte-minute laissée trop longtemps sous le feu, la cité vit un drame en devenir. En effet, des Gitans sont venus planter le chapiteau de leur cirque en plein cœur de Montfermeil et voilà que des gamins n’ont rien trouvé de mieux que d’aller voler un jeune lionceau. Le Maire de Montfermeil est prévenu, il a 24h pour rendre le lionceau, sinon… Le trio va se mettre en quête du petit félin. Grâce aux réseaux sociaux, ils trouvent sa trace. C’est un adolescent, Issa, qui le détient. Les différents indics de la brigade positionnent le gamin et voilà notre trio en route pour éviter une effusion de sang. S’en suit une bavure dans laquelle Assi manque de perdre un œil. Quelques jours de soins et il n’y paraîtra plus. Pa si simple.
En effet la bavure en question a été filmée par un drone. La course-poursuite pour récupérer le film devient un enjeu majeur pour la Brigade mais aussi pour l’image de la Police plus généralement. Sans le savoir, Stéphane, Chris et Gwanda vont se faire piéger. C’est la dernière demi-heure de ce film et je vous la garantis anthologique. Avec un dernier plan tragique qui se fond au noir comme le plus sanglant des Caravage, vous laissant en apnée, libre de votre conclusion. Et en fait face à votre conscience. C’est là l’un des secrets de ce film : pas de jugement, juste des faits tout ce qu’il y a de plus véridiques (y compris l’affaire du lionceau). Et pour filmer tout cela, un incroyable virtuose de la caméra dont la lumière, le sens du cadrage et de l’action ne sont jamais pris en défaut. Pour un premier long nous ne sommes pas loin du miracle. D’autant que la mise en scène et la direction des acteurs, dont beaucoup sont amateurs, tiennent d’un équilibre qui par sa précarité ajoute à la –fausse – perspective documentaire de ce film. Si les nombreux gamins jouent « naturellement », avec les scories bien légitimes que cela sous-entend, il n’en est pas de même du trio infernal. D’un côté, Stéphane, le bleu et ses illusions. Damien Bonnard porte ici notre regard « évangélique » sur cet univers que nous ne connaissons pas. Face à lui, si l’on peut dire, Gwada, monumental Djebril Didier Zonga, l’enfant de cette banlieue dont il connaît les codes par cœur. Enfin, et ce n’est pas le moindre, Chris, colossal Alexis Manenti, le flic qui endosse dans ce film les pires vices du métier : violence, racisme, combines, etc.
Vous sortirez de salle avec l’impression d’avoir reçu un énorme coup de poing dans le plexus. Et en vous posant plein de questions…
Ladj Ly – Un cinéaste est né !
D’origine malienne, Ladj est né en France, il y aura bientôt 40 ans. Passionné de vidéo, Ladj Ly va très vite intégrer le monde du documentaire. Avec succès ! Puis vient le moment d’une fiction. Ce sera un court intitulé « Les Misérables », nominé au César du Meilleur court métrage en 2018, ce qui amènera naturellement le réalisateur à se tourner vers le format long sur le même thème. Résultat, le film est lauréat du Prix du Jury à Cannes en 2019. Un cinéaste est né, sans doute aucun.